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    "Chris the Swiss est un film anti-guerre sur la brutalité qui détruit les familles, les générations et les sociétés."

    Avec "Chris the Swiss", Anja Kofmel se lance sur les traces de son cousin, tué en 1992 en Croatie au cœur de la guerre, et sur les zones d'ombre de celui qui fut son héros d'enfance. Un documentaire animé, dans la lignée de "Valse avec Bachir".

    Urban Distribution

    Croatie, janvier 1992. En plein conflit yougoslave, Chris, jeune journaliste suisse, est retrouvé assassiné dans de mystérieuses circonstances. Il était vêtu de l’uniforme d’une milice étrangère. Anja Kofmel était sa cousine. Petite, elle admirait ce jeune homme ténébreux. Devenue adulte, elle décide d’enquêter pour découvrir ce qui s’est passé et comprendre l’implication réelle de Chris dans un conflit manipulé par des intérêts souvent inavoués.

    AlloCiné : Vous avez réalisé un court métrage en 2009, "Chrigi", puis ce long métrage, tous deux sur le même sujet. En quoi cette histoire vous hante t-elle et hante-elle votre famille ?

    Anja Kofmel : La mort de Chris -en particulier les circonstances dans lesquelles il a été tué et le fait qu’au moment de sa mort il portait un uniforme et faisait manifestement partie d’une brigade de mercenaires- a profondément affecté, voire détruit la famille. C’est probablement pour cette raison que, dans le film, son frère qualifie Chris de connard. Et il le fait avec beaucoup de colère et de frustration dans la voix, mais aussi avec une énorme part d’amour. La famille proche de Chris a appris à vivre avec cette histoire, mais les cicatrices resteront toujours. C’est comme un fantôme qui revient de temps en temps, surtout aux environs de Noël et du Nouvel An. C’est la période de l’anniversaire de Chris et aussi de son meurtre. Avec moi, c’est un peu différent : à cause de la différence d’âge de seize ans entre Chris et moi, notre relation est restée plutôt abstraite. Je l'ai toujours vu comme un héros à cause de ses voyages et de ses aventures, sans vraiment savoir qui il était vraiment. Cela m'a permis de prendre du recul émotionnellement et de faire ce film. Je suis capable de fermer le livre maintenant, de le laisser partir.

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    Comment décririez-vous "Chris the Swiss" par rapport à "Chrigi" : une version longue ? une version améliorée ? un regard différent car séparé d'une dizaine d'années ?

    Mon court-métrage Chrigi peut être considéré comme "la graine" de Chris the Swiss. Le court métrage reste cependant dans la perspective du petit cousin et n'aborde pas le sujet de la guerre et des mercenaires. J'ai terminé Chrigi en 2009 et c'était l'année où l'ancien commandant du PIV, Eduardo Rosza Flores "Chicco" a été tué par des forces spéciales en Bolivie. Ce fut le moment où j'ai décidé que l'histoire de Chris et de la brigade PIV méritait d'être racontée.

    Vous avez mené l'enquête sur les traces de votre cousin disparu, vingt ans après. Qu'a représenté ce voyage pour vous et quels souvenirs en gardez-vous ?

    En fait, vingt-six ans s'étaient écoulés depuis l'assassinat de Chris ... Alors pourquoi faire un film sur lui ?! Mes recherches et ce film sont mes tentatives pour trouver des réponses. Non seulement sur qui était mon cousin et quelle était sa motivation, mais aussi sur des questions beaucoup plus générales. Pourquoi les jeunes hommes sont-ils attirés par la guerre ? Qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains si créatifs en matière de torture et de massacres ? Et quels sont les intérêts et les mécanismes en coulisses qui poussent ces conflits ? En fin de compte, je pense que Chris the Swiss est un film anti-guerre sur la brutalité qui détruit les familles, les générations et les sociétés. Pas seulement en ex-Yougoslavie, mais partout. Et malheureusement, j'ai l'impression que le film est beaucoup plus actuel qu'il n'aurait pu l'être il y a quelques années. En ce sens, l’histoire de famille et de mon cousin n’est que le "point de départ" qui nous amène à des questions beaucoup plus générales sur ce que cela signifie d'être un humain. Et sur le "potentiel obscur" à l'intérieur de chacun de nous.

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    Votre film s'inscrit dans la lignée de "Valse avec Bachir", mais contrairement au film d'Ari Folman, vous alternez les séquences animées et les séquences documentaires. En quoi ces retours réguliers au réel vous semblaient nécessaires ?

    La situation extrême de la guerre est une condition hautement émotionnelle où la perception devient très subjective. Je veux dire, nous connaissons tous le sentiment que pendant un accident, le temps s'étire et reste immobile - juste avant l'accident. L'animation est un excellent outil pour les images subjectives et le symbolisme. Dans Chris the Swiss, cela me permettait en quelque sorte "d'entrer dans la tête" de mes protagonistes. Mais l'animation a ses limites. L'information n'est pas seulement transmise par le langage et les mots, mais aussi par les gestes, les expressions faciales et le langage corporel. Les images filmées sont capables de capturer ces "informations entre les lignes", elles sont capables de montrer le chagrin d'une mère parlant du meurtre de son fils. Tandis qu'une image dessinée deviendrait juste plate.

    Quelle a été votre approche graphique sur les segments animés ?

    Pour moi, il était important que le style graphique de l'animation corresponde aux croquis que je réalisais pendant mes recherches et sur le terrain, en Croatie - comme si l'animation sortait de mes carnets de croquis. C'était pour souligner que les scènes animées sont mon imagination et ma façon de voir l'histoire. Et pas la vérité absolue. En cherchant un symbole de la guerre et des soldats, je me suis souvenu des essaims de sauterelles d'Afrique qui volent à travers les champs. En peu de temps, elles mangent tout et détruisent le fondement de la vie - comme le fait la guerre. La région où se trouvait Chris - la Slavonie - était considérée comme un "panier d'élevage" de la Croatie. Il y a d'immenses champs de céréales et de maïs. Mais après la guerre, les paysans ne pouvaient plus cultiver leurs champs - à cause des mines. Ce n'est qu'en 2016 que les régions de l'est de la Croatie ont été déclarées déminées. Donc ça a pris 25 ans ...

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    Les différents intervenants et témoins que vous avez rencontrés ont-ils accepté facilement de se livrer sur cette histoire ? Quelles cicatrices leur a laissé cette guerre ?

    C'est toujours une question de confiance que de faire parler les protagonistes devant la caméra. Et la confiance a besoin de temps. Le fait que je sois membre de la famille de Chris m'a aidé, en tout cas. Parce que je sentais que les gens voulaient me rendre quelque chose en retour et m'aider à trouver la paix avec cette histoire. 

    Le film, malgré votre enquête, ne donne pas toutes les réponses à vos questions : avez-vous toutefois le sentiment, après ce film, de pouvoir tourner la page ?

    Oui définitivement. Travailler sur ce film - en particulier sur la recherche - était important pour moi personnellement, bBien que tout se passe pour le mieux. J'ai en fait plus de questions qu'au début. Mais je suis capable de lâcher prise.

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    Quels souvenirs gardez-vous de votre cousin ? Est-ce que "Chrigi" et "Chris the Swiss" vous permettent, d'une certaine manière, de lui permettre de continuer à vivre ?

    À travers les témoignages et les interviews, j'ai essayé de reconstruire une image de Chris, de découvrir qui il était vraiment et quelle était sa motivation. Et malgré cela, je ne pourrai jamais capturer sa personnalité. C’est l'absurdité de tout ce processus : j’essayais de découvrir la vérité sur mon héros d’enfance, mais je ne pourrai jamais comprendre pleinement sa personnalité. Il y a encore tellement de choses que j'aimerais quand même lui demander ... Mais Chris est devenu plus humain pour moi. Il n'est définitivement plus le héros qu'il était pour moi quand j'étais encore enfant. Mais il est devenu humain, un personnage complexe avec différentes couches - certaines admirables, d'autres plutôt sombres et très contradictoires. Il était définitivement quelqu'un qui était fasciné par la guerre et les armes mais qui posait en même temps des questions très importantes et très humaines. Chris et moi avions une différence d'âge de seize ans : quand il a été assassiné, j'étais encore une enfant. Ce fait était pertinent pour le fondement de notre relation : pour lui, je n'étais probablement que la petite cousine agaçante. Mais pour moi, il était mon héros. Je le regardais, l'admirais pour ses voyages et ses aventures. À l'époque, je ne savais pas qu'il était en Afrique pour les forces territoriales du sud-ouest de l'Afrique et non pour les lions...

    Chris the Swiss, actuellement au cinéma

     

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