Comme un coup de tonnerre dans un ciel d'airain... Dans la nuit de vendredi à samedi, le fameux studio Telltale Games, spécialisé dans les jeux d'aventures narratifs, a annoncé un plan social colossal, le plus gros de son histoire, avec le licenciement sans préavis de 225 des 250 salariés du studio; soit 90% de ses effectifs. Dans un communiqué, lePDG du studio, Pete Hawley, a confirmé le plan social et a expliqué la situation par des ventes décevantes :
"Ça a été une année incroyablement difficile pour TellTale, qui a travaillé dur pour rebondir. Malheureusement, nous manquions de temps. Nous avons lancé quelques-uns de nos meilleurs contenus cette année et avons reçu des retours incroyablement positifs, mais cela ne s’est malheureusement pas traduit dans les ventes. Le cœur lourd, nous voyons aujourd’hui nos amis s’en aller répandre notre savoir-faire en matière de narration dans le reste de l’industrie".
Conséquences immédiates de cette décision drastique : l'annulation de la saison 2 du formidable jeu The Wolf Amongst us, qui était très attendue par les fans, ainsi que le jeu Stranger Things signé avec Netflix. Plus problématique : on ignore si les 25 salariés restant vont terminer le Season Final (la 4e en fait) du jeu emblématique du studio, The Walking Dead, alors même qu'un épisode est déjà sorti il y a peu de temps. De son côté, le site US Gamer affirme que les 25 salariés restants plancheront sur le projet Netflix Minecraft : Story Mode.
Fondé en 2004 par des anciens membres de LucasArts, autre studio mythique, Telltale Games s'était spécialisé dans les jeux d'aventures narratifs à épisodes. Le studio a connu le sommet de sa carrière en 2012 avec la sortie de The Walking Dead. Vendu à plus de 20 millions d'exemplaires, le jeu, pensé et conçu comme une série TV avec ses Cliffhangers, ses épisodes et ses saisons, a durablement marqué le paysage vidéoludique de ces dernières années. Couverte de récompenses, cette première saison mettait en scène deux personnages liés pour le meilleur et surtout pour le pire. L'afro américain Lee Everett, accusé de meurtre et libéré de ses entraves sur le chemin de la prison alors que la voiture de police qui l'emmène percute un zombie, et surtout l'adorable Clémentine, que Lee décide de prendre sous son aile. Cruauté parfois subtile, emballements poignants (un final doté d'une charge émotive à fendre les pierres en deux !) obligation de prendre régulièrement des décisions terribles et sous la contrainte -anxiogène- du temps, doublage vocal en VO formidable et immersif... The Walking Dead a frappé très fort, donnant l'impulsion à toute une série de jeux qui se sont nourri de son mécanisme de gameplay, comme le récent Life is Strange, du studio parisien Dontnod, ou même les productions du studio de David Cage, Quantic Dreams, Plus fidèle au comics que la série TV, certains trouvent d'ailleurs la série vidéoludique très supérieure à son pendant du petit écran diffusé sur AMC.
Mais le ver était dans le fruit depuis un moment. Déjà, en 2017, le studio avait dû faire un plan social en licenciant 90 personnes. Connu pour ses périodes de Crunch, autrement dit ces périodes de très (très) intenses charges de travail, Telltale Games s'était lancé ces dernières années dans une politique d'achat de licences à tours de bras, de Batman en passant par Game of Thrones ou les Gardiens de la galaxie. Des achats et développements coûteux qui ont fini par sévèrement endetter la compagnie, et sans que cela ne se traduise systématiquement par des ventes à la hauteur des investissements engagés. Ajouté à cela une recette -à la fois narrative et technique- que le studio peinait depuis un moment à faire évoluer, et l'on comprend mieux le funeste destin du studio, même s'il reste encore sous perfusion. Reste que c'est une page de l'Histoire du jeu vidéo qui semble se tourner...