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    Ma fille : "Le regard ou l'absence de regard de nos pères fait de nous les femmes que nous sommes..."
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Rédactrice en chef adjointe
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    A l'occasion de la sortie de "Ma Fille", premier long métrage de Naidra Ayadi emmené par Roschdy Zem, rencontre avec la réalisatrice et son acteur complice, présents au festival d'Angoulême...

    AlloCiné (à Roschdy Zem) : J'ai lu qu'il avait été un temps question que vous soyiez le réalisateur de Ma fille...

    Roschdy Zem : Plus précisément lorsque j'ai été contacté pour le film, on m'a demandé si j'étais intéressé par le fait d'y jouer et de le réaliser. Très rapidement j'ai dit oui avec plaisir pour le jouer mais pas pour le réaliser. Le rôle est trop important pour faire les deux et je suis mégalo comme beaucoup d'acteurs mais pas suffisamment sur un projet comme celui-là (sourires). Et le nom de Naidra est arrivé très vite pour l'écriture évidemment mais aussi pour la réalisation. On ne se connaissait pas, je connaissais uniquement son travail d'actrice mais j'ai tout de suite validé ce choix car je devinais à travers son travail de la sensibilité et l'investissement nécessaire pour raconter cette histoire. Et je savais qu'on parlerait le même langage. Ce qui était le cas ! (En s'adressant en souriant à la réalisatrice) N'est-ce pas ?

    Naidra Ayadi : Oui carrément ! (Rires) 

    Et vous Naidra, où en étiez-vous de vos propres désirs de réalisation à ce moment-là?

    N.A : J'avais commencé à écrire un film qui j'espère sera le prochain. Les producteurs de Ma fille ont dû entendre que je souhaitais me mettre à la réalisation. Ils voulaient adapter un livre pour Roschdy Zem. Quand j'ai lu ce livre (Le voyage du père de Bernard Clavel), il m'a plu. Le parcours en tant qu'acteur de Roschdy, sa présence, son engagement, ses choix me parlaient. Il y avait un lien évident entre nous autour du "pourquoi on est là". Roschdy a fait sa carrière sur des refus et cela me plait car c'est là qu'on le voit l'engagement. Et c'est aussi l'un des premiers acteurs d'origine maghrébine qui a tout fait. C'est un acteur français, il n'est plus dans une case.

    A ce propos Roschdy, vous avez d'ailleurs dit : "Aucun acteur de ma génération ne sait jouer le bledard..." Quelle différence y a t-il entre votre génération et celle d'après ?

    R.Z : Cela fait 53 ans que je vis à Paris. Je ne peux pas jouer de façon sincère et authentique un mec qui débarque. Je pourrais faire une caricature de cela mais de façon crédible non. On a voulu ce personnage cultivé et posé à Paris. S'il venait de débarquer, le rôle n'était pas pour moi. Ce n'est pas péjoratif du tout, le bledard est quelqu'un qui vient du bled. Ce serait trop difficile et caricatural.

    Vous vouliez Naidra, raconter une histoire d'amour entre un père et sa fille, car cela vous était devenu nécessaire. En quoi exactement?

    N.A: Le regard de nos pères ou l'absence de regard fait de nous les femmes qu'on est. C'est aussi un hommage que je rends à mon père. C'est lui qui a fait de moi la femme que je suis avec ses silences, ses maladresses, son histoire. Cela dit, je suis très positive : quand on décide de se parler, de mettre des mots, de se livrer, tout est possible.

    R.Z : Cela nous a manqué de ne pas pouvoir parler avec nos parents qui eux étaient des déracinés. Et on s'en veut aussi parce qu'on n'a pas non plus tenté d'en savoir plus. Il y a cette façon exacerbée de vouloir protéger sa progéniture en ne racontant pas ce qu'on a vécu. Et on croit bien faire mais en fait il faut raconter. Bon même si aujourd'hui on parle trop à nos enfants qui nous disent volontiers "mais tu me saoûles! " (rires)

    N.A: Ce père-là ce n'est pas un héros. Il en devient un et de manière crédible. Ce qu'il fait c'est faisable, on peut le faire, mais cela demande un effort énorme. C'est le père qu'on rêve d'avoir et je voulais mettre en scène ce père-là.

    Dans quelle mesure le fait d'être tous deux acteurs et réalisateurs a influé sur votre collaboration?

    R.Z : Etre passé derrière la caméra a déclenché chez moi une indulgence naturelle pour les metteurs en scène. Cela m'a rendu plus patient, plus laborieux aussi. Je sais que cela prend du temps de trouver la place de la caméra et la bonne direction à prendre. Il y a trente façons de jouer la même scène. Je suis disponible pour essayer les choses. Avant je pensais que tout devait arriver rapidement. Et le fait d'être acteur tous les deux permet la communication, évidemment. Un dialogue naturel, sans tabou s'est installé entre nous. Sans complexité, avec complicité.

    N.A : Moi le fait d'être comédienne m'a fait me dire que qu'il ne fallait pas que je joue dans mon film.

    R.Z : Tu aurais joué quel rôle? Pas ma fille quand même ! Tu rêves ou quoi ? (Rires)

    N.A : Ah j'en avais un, je te dirai ! Je ne peux pas en parler là, excusez moi c'est un secret ! Plus sérieusement on est vulnérable quand on est comédien et j'avais besoin d'être forte pour être avec lui. C'était important, Roschdy était de tous les plans. Après, je le reconnais j'ai eu le sentiment de jouer avec lui un peu tous les rôles...

    Propos recueillis par Laetitia Ratane au festival d'Angoulême, le 23 Août 2018.

    Cadre de la vidéo ci-dessus : Brigitte Baronnet / Montage : Julien Lambert

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