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    Shéhérazade : "Etre au plus juste et au plus près du réel"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après la Semaine de la critique à Cannes et le Festival d'Angoulême, "Shéhérazade" arrive sur les écrans : une histoire d'amour, sur fond de prostitution et de mafia, située dans les quartiers Nord de Marseille. Rencontre avec l'équipe du film.

    AlloCiné : Shéhérazade est une histoire d'amour, un film de prison et de mafia, un thriller... Il mêle brillamment différents genres. Pouvez-nous parler de ce choix ?

    Jean-Bernard Marlin, réalisateur : Je n'ai pas réfléchi au genre ou même au mélange des genres. J'ai juste mis comment je voyais les choses. Le point de départ était d'écrire une histoire d'amour, c'était ce qui était prédominant.

    C'est vrai que le film flirte avec le documentaire, le film naturaliste, le thriller de temps en temps, ou le film un peu plus noir. Comme on dit, c'est l'expression à la mode, il est transgenre, il est entre plusieurs genres. Aujourd'hui, ça devient plus difficile de qualifier un film ; on est dans un cinéma où tout est hybride. Ce n'était pas une intention, ça s'est fait naturellement de manière assez inconsciente.

    Ad Vitam

    Vous évoquiez une approche documentaire. Vous êtes à la fois parti de votre vécu puisque vous venez de Marseille, mais il y a aussi eu tout un travail pour aller à la rencontre de ces jeunes. En quoi a consisté le travail préparatoire du film ?

    J'avais déjà fait un documentaire sur un mineur délinquant que j'avais suivi sur presque un an. J'avais déjà cette approche d'être sur le terrain. Pour ce film, je suis resté entre 6 et 8 mois avec de jeunes prostituées de Marseille, dans le quartier près de la gare Saint Charles. Je les ai écoutées, observées dans la rue, elles m'ont raconté leurs histoires d'amour, leurs relations amoureuses. J'avais trouvé ça bouleversant. L'écriture du scénario vient aussi de tout ce temps d'observation ou d'écoute pour être au plus juste et au plus près du réel, d'être dans quelque chose de vrai. 

    C'est un film de fiction, romanesque, mais toute l'assise est extrêmement réelle et documentaire

    C'est un film de fiction, romanesque, il y a une histoire d'amour, mais toute l'assise est extrêmement réelle et documentaire. Pour moi, c'était important de gommer au maximum les articulations de fiction pour être au plus près de la vie et du réel. C'est ça que l'on cherche aussi quand on fait un film, c'est d'être au plus près d'une certaine réalité.

    Et vous êtes parti précisément d'un fait divers dont vous aviez entendu parler…

    Je me suis inspiré d'un fait divers qui se passait dans le quartier où j'ai tourné. Cela racontait l'histoire d'un jeune de 17 ans qui vivait de la prostitution de sa copine et vivait dans des chambres d'hôtel. A partir de ce point de départ, j'ai construit une histoire. Mais chaque élément est tiré du réel, a une justification proche de ce que j'ai vu ou connu.

    Ad Vitam

    Parlons des comédiens qui sont des diamants bruts. Comment avez-vous su que c'était eux qu'il vous fallait pour votre film ? Qu'est-ce qui vous a plu ?

    J'ai fait du casting sauvage. Ma directrice de casting, ses assistants et moi aussi, nous sommes allés dans la rue pour trouver les héros du film. Ca représente 8 mois de casting sauvage. On a vu vraiment plein plein de jeunes. Je les ai choisi car d'une certaine manière ils étaient proches des personnages du film. Par exemple, Dylan [Thomas] sortait de prison au moment du casting, et la coïncidence est que mon personnage sortait de prison aussi au début du film. Ils avaient eu des parcours un peu similaires.

    Leur capacité à vivre une émotion authentiquement, ne pas la fabriquer

    Ensuite, la base, c'est le travail de l'acteur, leur capacité de jeu devant une caméra, et c'est sur ça que je les ai choisi, c'est à dire leur capacité à vivre une émotion authentiquement, ne pas la fabriquer. Il y avait plein de paramètres. Ensuite, je trouve que le couple allait extrêmement bien ensemble et il se trouve que la coincidence est que Kenza et Dylan se connaissaient. Ils ont grandi dans le même quartier, ils se connaissent depuis tout petits. Quand j'ai vu leur entente, je me suis dit que c'était évident, que c'était le couple de mon film. 

    Est-ce qu'ils ont tatonné un peu ou c'est comme s'ils étaient faits pour être comédiens ? Car ils sont tellement spontanés, il y a une telle énergie qu'on pourrait avoir l'impression que c'était facile, mais sans doute que non !

    Sur le plateau, pour les premières prises, souvent, il faut les pousser, pour les mettre dans le jeu. Sinon, ils ne jouent pas, ils sont comme dans la vie. Je veux qu'ils soient comme dans la vie, mais il y a une impulsion à donner au début. Et pour qu'ils soient aussi spontanés, ils apprenaient un texte le matin. Ils connaissaient leurs dialogues, les intentions de la scène. Ils savaient où allait la scène et les articulations. Je leur laissais aussi un peu de liberté à l'intérieur de chaque séquence pour s'exprimer avec leurs propres mots, leur propre langage. Et puis, je choisis les prises où ils sont le plus juste et le plus naturel. Tous les réalisateurs fonctionnent un peu comme ça.

    Ad Vitam

    Esthétiquement, on a l'impression que le film a été tourné en pellicule ? En tout cas, il y a un grain...

    Le film a été tourné en numérique. Après, il y avait un travail photographique que le chef opérateur et moi-même voulions faire sur le film. Je ne voulais pas avoir une approche trop naturaliste, trop documentaire dans la façon de filmer le réel. Je ne voulais pas être dans la captation. J'avais story-boardé tout le film. Nous avons fait avec le chef opérateur un travail de préparation sur la lumière. Nous sommes allés vers des lumières assez osées, assez saturées, avec du grain.

    Assez étonnamment la référence était Apocalypse Now pour la lumière.

    J'ai fait l'Ecole Louis Lumière. J'ai grandi avec la pellicule. J'ai été formé avec l'argentique et pas le numérique. Je me sens assez proche de cette esthétique. Pour les intentions esthétiques, c'est vrai qu'on est allés vers du « flare », vers des couleurs saturées, de la sous-exposition, de la sur-exposition... Les références étaient le cinéma de Coppola des années 80. Assez étonnamment la référence était Apocalypse Now pour la lumière.

    Ad Vitam

    Et pour la musique, vous êtes allé piocher dans Miami Vice entre autres ! Il y a de l'électo au début, puis on bascule vers de la musique classique. Pourquoi ce choix ?

    A la base, je ne suis pas extrêmement mélomane. J'écoute assez peu de musique. Je voulais que mon film soit musical. J'ai réuni tout ce qui me plaisait. J'ai fait des recherches sur Youtube, etc, et réunit ce qui me plaisait. Je voulais une musique qui me rappelle un peu le cinéma des années 80, notamment la musique de Moroder, qui est assez électro.

    Je voulais une musique qui me rappelle un peu le cinéma des années 80, notamment la musique de Moroder, qui est assez électro.

    Pour la musique classique, j'aime la grande musique. J'ai choisi L’Été des Quatre saisons de Vivaldi. Pour la petite histoire, je ne viens pas d'un milieu très culturel, cultivé. Mais la seule chose que mon père écoutait quand j'étais petit, c'était les Quatre saisons de Vivaldi. C'était un son de mon enfance et je l'ai mis dans le film.

    Un petit mot sur la séquence d'ouverture également… On y voit des images d'archives de Marseille…

    J'ai ouvert mon film avec des images d'archives de Marseille du début du XXe siècle et on voit Marseille se construire à travers ces images d'archives. On voit aussi les vagues d'immigration marseillaises. J'avais envie que Marseille soit vue comme un personnage à part entière et dire que Marseille, ce sont plusieurs vagues d'immigration. Moi-même j'ai des origines étrangères. Quand j'étais à l'école, on était tous d'origine étrangère : algériens, arméniens, italiens… Je voulais présenter Marseille de cette manière et c'était un hommage aussi à Scarface de Brian de Palma, qui s'ouvre aussi sur des images d'archives et d'immigration cubaine.

    Angoulême 2018 : Shéhérazade et L'amour flou au palmarès du festival

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