Son père Philippe est réalisateur. Sa mère Brigitte Sy également. Et on ne présente plus son frère Louis, lauréat d'un César du Meilleur Espoir en 2006, qui est récemment passé derrière la caméra avec Les Deux amis. Qu'Esther Garrel se soit elle aussi dirigée vers le monde du cinéma n'est donc pas plus surprenant que cela, mais la comédienne a su se faire un prénom au fil des années, grâce à des films comme Camille redouble, 17 filles ou le récent Call Me By Your Name. La sortie de C'est qui cette fille et sa présence au Champs-Elysées Film Festival constituaient une occasion en or de faire une interview-portrait de cette jeune actrice avec laquelle il faudra sans aucun doute compter à l'avenir.
SON ACTUALITÉ
Esther Garrel incarne Clémence dans C'est qui cette fille, film franco-américain présenté au Champs-Elysées Film Festival et que le synopsis décrit comme "l'anti-comédie romantique de l'été". Mais à quel point ?
Je ne saurais pas quoi dire à ce sujet car j'ai du mal à définir le genre d'un film. Mais ce qui m'a plu c'est que le réalisateur, Nathan Silver, n'avait pas de scénario au départ. C'était davantage un séquencier, une structure de ce qu'il voulait, pour mieux nous laisser improviser et construire nos personnages. J'ai ensuite retravaillé avec lui, avec un vrai script dialogué pour le coup, mais la manière de fonctionner est restée la même : nous étions aussi impliqués et des comédiens actifs, ce qui peut parfois être moins le cas. Pour ce qui est de mon rôle, franchement, je ne sais pas quoi vous dire non plus (rires)
Ce qui est agréable, quand on joue, c'est de laisser échapper des trucs qu'on ne contrôle pas trop. Et ce sont ces petits bouts qu'on laisse échapper qui construisent un personnage que nous n'avions pas vraiment défini nous-mêmes. Les comédiens ont toujours une idée précise de ce qu'ils veulent faire, de ce que cela va donner, mais c'est complètement autre chose qui se passe. Car nous avons décidé de faire quelque chose, mais d'autres éléments entre en compte. Du coup je ne sais pas vraiment qui est Clémence : je l'ai su avant de le faire, et maintenant elle est telle qu'elle est dans le film.
Réalisé par Nathan Silver, à qui l'on doit l'inédit Uncertain Terms, C'est qui cette fille contient des dialogues en français et en anglais. Mais la barrière de la langue n'a pas été un souci pour Esther Garrel sur le tournage. Et pour cause.
Je peux quand même dire qu'elle n'est pas extrêmement gentille tout le temps, et ne fait pas trop l'effort de parler anglais. Un peu exprès. Donc la langue n'a pas du tout été un problème sur ce film (rires)
Avec cette présentation, la comédienne s'est offert une double actualité au Champs-Elysées Film Festival 2018, puisqu'elle était également membre du Jury Courts Métrages. Une expérience sur laquelle elle est revenue à notre micro, quelques heures seulement après la délibération.
Moi j'étais en tournage à l'étranger [pour les besoins de Red Snake, ndlr], donc je n'étais pas allée au cinéma depuis fin mars. Le premier film que j'ai vu en revenant, c'est celui de John Cameron Mitchell, How to Talk to Girls at Parties. Un film très punk et que j'ai beaucoup aimé donc je suis très contente, car ça m'aurait vachement déprimée de voir un film que je n'aime pas après deux mois de rien. Et ça m'a ensuite menée vers tous ces courts métrages, ce que je trouve chouette. Ce n'est pas une question de flemmardise mais, même pour les gens qui travaillent dans le cinéma, les courts métrages sont très inaccessibles en fait : ils sont très mal distribués et nous sommes des spectateurs comme les autres, qui allons dans les salles de cinéma à Paris. Mais les courts métrages ne sont pas là.
Ils passent à 1h du matin à la télévision - et encore, s'ils ont été achetés. Ils sont très très peu visibles et se retrouver dans le jury des courts métrages d'un festival comme celui-ci, c'est l'occasion d'en voir plein d'un coup. Et c'est très rafraîchissant de voir des premiers films, pour la plupart. C'est vraiment cette idée de voir une forme que j'aime beaucoup mais que je vois vraiment rarement qui m'a motivée à venir. Et je n'avais jamais été jurée auparavant.
À noter qu'Esther Garrel et le reste du jury, emmené par la réalisatrice Katell Quillevéré (Réparer les vivants) ont remis leurs prix à The Shivering Truth et Plus Fort que moi.
PREMIER SOUVENIR DE SPECTATRICE
J'en ai deux : je suis allée voir Nanouk l'Esquimau, film en noir et blanc muet, avec mon père quand j'étais petite au cinéma ; et chez ma grand-mère, qui avait beaucoup de cassettes, j'ai regardé Le Père Noël est une ordure trente-six milles fois quand j'étais petite. Et Titanic aussi. Quarante-deux fois (rires)
L'ENVIE DE DEVENIR ACTRICE
Je ne pense pas que ce soit l'un de ces films qui m'ait donné envie de faire du cinéma. J'ai beaucoup réfléchi à cette question et le souvenir le plus ancien d'une envie de jouer, c'était en regardant Florence Janas au théâtre, mise en scène par Guillaume Vincent quand elle n'avait que 18-20 ans. Et c'était peut-être sa première mise en scène à lui, car il n'est pas vieux du tout. Elle était toute seule sur scène, et elle était tellement drôle et dramatique en même temps que ça m'a énormément plu. C'est la première fois que j'ai eu ce sentiment qu'on ne peut pas avoir au cinéma, où l'écran empêche de rentrer dans le plan : cette envie d'aller jouer avec les comédiens quand ce que l'on voit nous plaît.
Le fait de grandir dans une famille qui baignait déjà bien dans le le cinéma a-t-il influé sur cette envie ? A-t-elle sentie qu'elle y était prédestinée ?
Non, car je n'ai pas commencé par vouloir faire ça. Au départ je voulais être musicienne, puis avocate. Puis musicienne, avocate ET comédienne (rires) Le droit est ensuite parti, suivi par la musique, et il ne m'est resté que le cinéma. Donc ça n'est pas ma famille qui m'y a invitée. C'est un directeur de casting qui m'a envoyé un message sur internet. Sur MySpace (rires) Il m'a demandé de passer un essai pour un film et j'étais hyper contente. Mais sinon je n'aurais osé demander à quelqu'un de passer des essais. Je n'ai jamais demandé à quelqu'un de travailler avec lui. J'en ai envie, mais je suis beaucoup trop timide pour ça (rires) Et ce contact c'était pour le film de Christophe Honoré, La Belle personne. J'avais 16 ans.
C'est allé vite car j'ai tourné pendant trois jours. Christophe Honoré nous avait donné rendez-vous dans une salle de répétition, pour faire une lecture avec plein de comédiens de mon âge. On était très jeunes et j'ai rencontré des gens que je croise toujours et que j'aime bien, en tant que comédiens et dans la vie aussi. C'était la première fois que je rencontrais vraiment des jeunes comédiens de mon âge dans le milieu du cinéma. Je ne m'en suis pas rendue compte à l'époque, je ne pensais pas que j'allais continuer à les voir.
Esther Garrel apparaît à 0'12 dans la bande-annonce du film :
TOURNER EN FAMILLE
Deux longs métrages sous la direction de son père (La Jalousie et L'Amant d'un jour), un autre sous la direction de sa mère (L'Astragale) et même un court métrage devant la caméra de son frère (Mes copains) : Esther Garrel joue régulièrement pour les membres de sa famille, ce qui ne change pas grand-chose à son travail habituel.
Je ne me dis pas que j'ai un défi quand je tourne pour quelqu'un de ma famille. Dans la construction du projet, c'est très personnel. On fait quelque chose entre nous, et il se trouve que c'est ensuite projeté dans une salle de cinéma. Donc c'est quelque chose d'intime qui devient public. Mais au terme d'un long chemin, parfois jusqu'à un an après, donc ça ne nous implique plus trop au moment où la chose devient publique. Tout ce que l'on partage entre nous pendant la construction, en revanche, ça nous reste. Et en cela, ça nous convient.
Si l'on devait imaginer que le cinéma était fait autrement et que le tournage se déroulait devant un public, comme au théâtre, nous ne pourrions pas faire cela. Ce serait autre chose. Déjà quand on ne travaille pas avec sa famille, c'est quelque chose de très intime, mais là c'est encore plus personnel. Après je ne travaille pas qu'avec eux (rires)
"L'Amant d'un jour", sorti en 2017 :
UN TOURNANT ?
Évidemment le film de Luca Guadagnino, Call Me By Your Name, qui a eu une visibilité immense et l'a encore aujourd'hui. Au point que certains s'étonnent que d'autres ne l'ait pas vu. C'est magique, comme un tube que tout le monde connaît. C'est dingue d'en arriver là. En général, quand on explique ce sur quoi on travaille, il faut davantage détailler qui est le réalisateur, quel est le sujet. Là on dit juste "Call Me..." et les gens réponde "Ouah, c'est trop cool !" (rires) On sait tout de suite de quoi il s'agit.
Il faut dire que le long métrage, passé par divers festivals à partir de janvier 2017, a connu une longue carrière, et eu de nombreuses occasions de faire connaître son nom.
Entre un an et un an et demi, oui, depuis la présentation à Sundance. Surtout que la France a été l'un des derniers pays dans lesquels il est sorti, ce qui est assez bizarre. Mais j'ai appris que c'était souvent comme ça. Et j'ai senti dès Sundance que nous tenions un phénomène : Timothée [Chalamet] m'a dit qu'il y avait eu une standing ovation immense, que ça n'arrêtait pas d'applaudir... Puis j'ai commencé à regarder les critiques, qui étaient assez dithyrambiques. C'est là que le bruit a commencé à enfler, puis le film a été demandé partout et j'ai moi-même commencé à être invitée. Alors que s'il n'y avait pas eu ce film, vu que j'ai un second rôle, je n'aurais pas été autant invitée et impliquée. C'est bien parce que ça a fait boule de neige qu'on a tous commencé à participer à la vie du film.
Je n'en garde pas une image en particulier, car j'en retiens tout. Franchement, si chaque film pouvait se tourner de la façon dont Call Me By Your Name s'est tourné, si on pouvait connaître d'autres histoires comme celle-ci où tout le monde s'entend aussi bien dans l'équipe, ce serait merveilleux.
Une histoire qui pourrait bien se répéter puisque le réalisateur a plus d'une fois fait part de son envie d'une suite, visiblement bien avancée.
Luca est en train d'écrire pour le moment, avec l'auteur du roman [André Aciman, ndlr]. Il dit qu'il aimerait qu'Elio ait 25 ans, et Timothée en a 22 actuellement. Mais il voudrait que le film sorte en 2020, donc je ne comprends pas très bien parce que c'est dans deux ans. Je ne comprends pas très bien son calcul (rires) Ou peut-être que Timothée va prendre un coup de vieux à un moment. On va voir. Mais comme Lucas a beaucoup de projets en tête, il va attendre le bon moment pour le faire.
Interrogée sur son retour sous les traits de Marzia, qui serait logique dans l'histoire, Esther Garrel tente de botter en touche et nous répond en riant qu'elle ne peut rien dire de plus. Ce que nous prenons pour un oui.
DERNIER COUP DE COEUR AU CINÉMA
How to Talk to Girls at Parties. Parce que c'est le dernier film que j'ai vu. Sinon ça remonte à la saison des Oscars et aux films américains qui sont sortis à ce moment-là. Ce que j'ai aimé dans celui de John Cameron Mitchell, c'est Elle Fanning et Alex Sharp, les deux acteurs principaux. Ils sont fantastiques et, à partir du moment où j'ai deux protagonistes qui m'épatent et me touchent, je suis embarquée. Complètement. Et j'aime le style du film, qui est super particulier mais il ose et c'est très agréable. C'est très rafraîchissant de voir un film comme celui-ci.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 18 juin 2018