AlloCiné : On apprend beaucoup de choses méconnues sur Whitney Houston tout au long de ce documentaire. Une fausse image d'elle a souvent été véhiculée. Cela devait être un challenge intéressant pour vous...
Kevin Macdonald, réalisateur : Le mystère est forcément intrigant pour un réalisateur. Si vous savez déjà à quoi ressemblera votre histoire dès le départ, c'est un peu ennuyant. Mais c'est aussi risqué quand vous ne savez pas. Je n'avais aucune idée de là où allait me mener cette histoire. Je ne savais pas grand-chose d'elle : j'avais juste une sensation qu'il y avait quelque chose de plus que ce qui vous sautait aux yeux. Il y avait quelque chose qui ne ressortait pas dans l'image très people et très superficielle qu'on avait d'elle. Il devait y avoir quelque chose de plus profond.
J'ai donc commencé à interviewer des gens, 75 personnes, certaines 3 ou 4 fois. On m'a beaucoup parlé, ça représentait beaucoup d'interviews. J'ai petit à petit appris des choses sur elle, les langues se sont déliées avec le temps. C'est devenu comme une enquête de détective, une investigation. J'aimerais que le public ait cette même impression en découvrant le film. Où tout cela va-t-il nous mener ? Y a-t-il une réponse à tout ça ? Y a-t-il un moyen de la comprendre ?
Je pense que les gens ont une vision assez simpliste de la vie de Whitney Houston. La vérité est en fait beaucoup plus complexe, et plus « sociologique » que beaucoup peuvent s'imaginer. Avec un bon documentaire, vous rendez les choses plus compliquées et non pas plus simples. On aime bien mettre des étiquettes sur les gens, les mettre dans des cases. Mais quelle que soit la personne dont vous décidez d'explorer la personnalité, vous trouvez des choses bien plus complexes que ce que vous imaginiez.
Avez-vous pu accéder à tous les interlocuteurs que vous souhaitiez ? A-t-il été difficile de convaincre les personnes que vous avez interviewé de participer ?
Il y a eu quelques personnes pour lesquelles il a été plus compliqué de décrocher une interview, comme Kevin Costner ou Bobby Brown par exemple. Il a été plus difficile de les convaincre. La plupart des personnes ont accepté assez facilement. Mais parfois, elles ne donnaient rien, des réponses de communicant. D'avoir des interlocuteurs qui parlent d'humain à humain, et pas comme un communicant, ça c'était plus difficile. Il y a certaines personnes que j'ai donc dû interviewer plusieurs fois. La plupart des personnes importantes du film, je les ai rencontrées plus d'une fois. Parce que comme j'en savais de plus en plus, j'avais envie de leur poser d'autres questions. Et puis en faisant connaissance, par exemple pour ses frères et sœurs, certaines personnes me faisaient davantage confiance et je pouvais leur en demander plus.
Avez-vous filmé beaucoup d'heures de rush en tout ?
Oui, beaucoup de rushs. J'avais des milliers d'heures d'interviews et d'archives. D'ailleurs, beaucoup d'archives étaient de mauvaise qualité, car la période 80-90, avant la HD mais après le 16 mm, a été tourné ou conservé en Beta-cam, etc., dont le rendu est horrible aujourd'hui. Mais dans un sens, ça donne au film une certaine saveur, un côté fait à la maison, avec beaucoup de grain. Ce n'est pas joli, mais ça donne un côté 80-90.
Nous avons donc passé beaucoup de temps avec le monteur et l'assistant monteur à visionner toutes ces images, qui en devenaient presque fous à devoir regarder toutes ces heures ! Mais des anciennes interviews de Whitney Houston, il n'y en avait pas tant que ça qui étaient intéressantes. C'est assez surprenant d'ailleurs. Mais c'est quelqu'un qui restait beaucoup sur la réserve. Elle n'aimait pas donner des interviews, et quand elle le faisait, c'était très superficiel. Ce qui était assez frustrant en visionnant toutes ces archives, c'est qu'il y avait assez peu de choses fortes, avec du sens. C'était vraiment une quête !
Combien de temps le montage a-t-il nécessité ?
En tout, cela a du prendre 14 mois. C'est donc très long. On a mis presque deux ans pour le faire au total. Mais j'ai fait une pause au milieu pour pouvoir faire quelque chose d'autre. Quand on me demande si c'était sympa de faire un film sur Whitney Houston, je réponds que non, c'est la chose la plus difficile que j'ai faite jusqu'ici. Ca paraît étrange car c'est une chanteuse pop, pourquoi est-ce que ça devrait être si difficile ? C'est juste une star de la pop, mais en fait, c'était très complexe psychologiquement et très exigeant.
Je me sentais parfois comme un thérapeute, en particulier pour ses frères, qui sont toujours addicts et n'ont jamais vraiment parlé de Whitney auparavant. Après les avoir interviewés quelques fois, ils m'ont dit que c'était comme une thérapie pour eux. C'est la thérapie que je n'ai jamais eu, on devrait faire ça à nouveau.
Je lisais dans une précédente interview que vous avez donné qu'il y avait une similarité étonnante entre le destin de trois stars des années 80, Prince, Michael Jackson et Whitney Houston...
Oui, il y a des similarités incroyables entre la mort de ces trois personnes. Ils sont de la même génération. Ils viennent de familles noires, venues du Sud des Etats-Unis, ayant fui le racisme de cette partie des Etats-Unis, pour s'installer dans le Nord, à la recherche d'une vie plus libre, d'une vie meilleure. Tous les trois étaient apolitiques, leurs parents ne les ont pas encouragés à s'impliquer dans des mouvements politiques. Et en l'espace de quelques années, ils ont tous les trois trouvé la morts successivement, une mort souvent liée à des problèmes de drogue. Ils étaient tous les trois assez isolés du monde, avaient un comportement assez excentrique, étaient très présents dans la presse people. Et on se pose forcément la question de ce qui pourrait expliquer ces similarités entre eux. Mais je n'ai pas la réponse. A vrai dire, j'ai quelques théories, mais elles sont un peu compliquées.
J'imagine que tout le monde vous parle de ce passage de ce documentaire dans lequel vous faites des révélations inédites sur le passé de la chanteuse, qui aurait été abusée sexuellement dans son enfance. Vous êtes-vous beaucoup interrogé sur le fait de laisser ce sujet dans votre film ?
Quand j'ai eu les preuves que Whitney Houston avait été sexuellement abusée quand elle était enfant, ça a répondu à beaucoup de questions que je me posais. Cela faisait 18 mois que je travaillais sur ce documentaire à ce moment là. J'étais frustré, je n'arrivais pas à la comprendre. Et j'ai trouvé ça. Quand l'assistante de Whitney Houston m'a expliqué ce que ça représentait dans la vie de Whitney, soudainement, ça a éclairé des choses que je n'arrivais pas à m'expliquer jusque là. Ca n'explique pas tout, mais ça en dit beaucoup sur elle.
Je n'ai pas hésité sur le fait de le laisser dans le film, car pour moi, c'était la fin de cette « quête ». Mais d'un autre côté, j'étais assez anxieux de ce que la famille allait penser, et de ce que d'autres personnes allaient penser. De savoir si ça ne posait pas de problèmes légaux, et est-ce que, moralement, éthiquement, c'était la bonne chose à faire ? Donc on en a beaucoup parlé. On a discuté avec des juristes. On nous a dit que ça ne poserait pas de problèmes juridiquement car la personne concernée, accusée de l'avoir brutalisée, en l'occurrence la cousine de Whitney Houston, est décédée. L'autre aspect était la question éthique : on a beaucoup débattu. C'était en octobre, novembre de l'année dernière, et je crois que parce que c'était au moment du scandale Weinstein, le mouvement Me Too, ça semblait être le moment où les gens pouvaient prendre la parole sur ces sujets et nommer les gens et ainsi retirer le pouvoir aux personnes qui ont abusé. Même si elle est décédée, le fait de nommer la personne, vous encouragez d'autres personnes à donner des noms de leurs persécuteurs.
Une chose apparemment très courante dans ce genre d'affaires, c'est que les victimes ont le sentiment qu'elles ne peuvent pas en parler, parce qu'elles ont honte. Donc vous avez envie de vous débarrasser de cette honte. C'est l'assistante de Whitney Houston qui m'en a beaucoup parlé, qui m'a dit que sa propre sœur avait été abusée, et qu'elle savait les répercussions que cela avait eu sur sa vie, d'où l'importance d'en parler. C'est le dernier point qui m'a donné la confiance pour dire 'ok, c'est la bonne chose à faire'.
Comment la famille a-t-elle réagi ?
Elle était choquée et triste. Au départ, elle a dit qu'on ne pouvait pas laisser ça dans le film. Mais à présent, elle l'a accepté et est très satisfaite du film. Ils sont heureux d'avoir pu s'exprimer sur certaines choses qui sont dans le film. Au départ, elle ne voulait que rien de négatif ne soit évoqué. Mais cela a eu un effet préjudiciable, négatif, sur leurs vies, particulièrement pour les frères -qui sont accros à la drogue-, et toute la famille étendue. Quand j'ai rencontré toute la famille à l'avant-première du film à New York, elle était très contente et a dit que le message du film était que les familles afro-américaines devraient pouvoir aller en thérapie, car c'est encore tabou dans ces familles. Elles n'aiment pas parler de leurs problèmes à d'autres personnes. Donc ça a eu un gros impact pour eux et c'est une forme de soulagement que tout cela soit sorti.
Autre sujet que vous n'occultez pas, mais sans trop l'appuyer ou insister, est celui de la bisexualité de Whitney Houston...
La seule preuve que j'avais que Whitney Houston était bisexuelle ou sexuellement fluide, c'est parce que je savais qu'elle avait une relation avec cette très bonne amie à elle, Robyn Crawford, qui est lesbienne et à présent mariée à une femme. Mais Robyn, malheureusement, n'a pas souhaité me parler, donc je n'ai pas pu rentrer dans les détails. Mais on m'en a beaucoup parlé et il y avait des archives.
Je ne voulais pas que ce film soit comme un tabloïd « choc, horreur, la relation homosexuelle de Whitney Houston ! ». Pour moi, Whitney Houston était très moderne dans sa sexualité. Elle tombait amoureuse d'une personne : ce n'était pas le genre qui déterminait de qui elle tombait amoureuse. Comme Robyn ne voulait pas venir devant la caméra pour confirmer, expliquer, je me suis dit que j'allais l'aborder simplement et directement avec la confirmation que certaines choses s'étaient produites et pourquoi, sans en faire tout une affaire.
La bande-annonce du documentaire Whitney :