Il avait juré qu'on ne l'y reprendrait plus, et qu'Hôtel Transylvanie 2 serait son dernier opus de la saga lancée en 2013. Mais c'est bien Genndy Tartakovsky que l'on retrouve au poste de réalisateur de ce troisième opus, qui nous invite à passer Des Vacances monstrueuses aux côtés de Dracula, ses amis et sa famille. Quelques années après l'annulation de son Popeye, le metteur en scène reprend le large, et cette légende de l'animation a accosté pour nous présenter le dernier né de sa riche carrière.
AlloCiné : "Hôtel Transylvanie 2" était censé être votre dernier. Et vous revoilà. Pourquoi avoir changé d'avis ?
Genndy Tartakovsky : Je pensais effectivement en avoir terminé avec la saga. Mais l’année où j’ai terminé le deuxième film, ma belle-famille nous a fait la surprise de nous offrir une croisière. J’allais me retrouver coincé avec eux pendant une semaine, mais il fallait que j'y aille. Et pendant que j’embarquais sur le bateau, j’ai commencé à voir toutes ces familles. C’était une croisière de vacances. Et alors je me suis dit que c’était un cadre parfait pour notre famille de monstres. C’était toujours un hôtel, mais sur l’eau. On pourrait reprendre beaucoup de nos blagues, les faire sortir de leur lieu habituel, et développer ce grand univers de monstres.
Ça m’a semblé judicieux. Je suis rentré de la croisière, j’ai pitché mon idée, ils ont adoré et je me suis mis au travail. J'ai pu écrire le scénario avec un autre auteur [Michael McCullers], et je me suis dit que c'était le bon moment pour moi de réaliser le film. Car plus le temps passait, plus le film grandissait en moi et plus j'étais excité à l'idée de le faire.
En somme, vous avez vécu le film avant de le réaliser...
Oui, exactement.
Et il y a de nouvelles têtes dans cette nouvelle aventure.
Oui. De nouveaux humains et de nouveaux monstres, notamment le chupacabra [créature mythique appartenant à la culture populaire de l'Amérique latine, ndlr], qui a un petit rôle dans l'histoire. Il y a quelques petites nouveautés, mais c'est Ericka Van Helsing [doublée par Kathryn Hahn en VO, ndlr] qui prend le plus de place chez les nouveaux. Nous en avons fait un rival de Dracula, et c'est vraiment drôle de les voir face-à-face.
Dans le premier, Dracula voyait sa fille sortir avec un humain. Puis il est devenu grand-père, et aujourd'hui c'est à lui d'avoir des sentiments pour quelqu'un. Peut-on dire que c'est lui le coeur de la saga ?
Oui, surtout que, dans le premier volet, il devait gérer sa fille adolescente, alors que c'est lui l'ado dans ce film et que Mavis doit jouer le rôle de parent. Nous avons inversé la dynamique, ce qui fonctionne très bien car c'est une idée très actuelle, avec cette relation entre ce père célibataire et sa fille. Et elle progresse de façon très organique, et nous ne nous sommes pas dits que nous allions faire un troisième film pour l'argent. Nous avions une histoire à continuer de raconter.
Êtes-vous d'accord pour dire que la saga vous permet de parler de votre famille à travers le prisme du fantastique ?
Absolument. Nous prenons des choses qui nous arrivent, au sein de nos familles respectives, et essayons de les injecter dans le récit d'une façon ou d'une autre avec les autres personnes qui travaillent à mes côtés sur ces films. Cela rend le récit plus réel car, même si nous sommes tous différents, nous avons tous une famille et pouvons évoquer cette dynamique simple, qui nous semble intéressante. Et nous le faisons de la façon la plus exagérée et la plus folle possible sur le plan visuel.
Quand il est à son meilleur, le cinéma peut vous transporter ailleurs
Votre style et vos personnages sont très particuliers et très faciles à identifier. Avez-vous des références ou des influences précises ?
J’aime beaucoup de choses différentes. Le Laboratoire de Dexter ou Samouraï Jack, par exemple, sont très différents de la trilogie Hôtel Transylvanie. Mais, en gros, je veux que toutes mes œuvres aient un point de vue très marqué. C’est important pour moi qu’elles se démarquent. La pire chose qu’on puisse me dire, c’est : "Oh ! Ça ressemble à du Pixar, ou à du Disney, ou à du Dreamworks !" Ça ne veut pas dire que c’est mauvais, mais ça signifie que j’ai copié, ou que j’ai fait la même chose que les autres. Je veux être aussi unique que possible et je pense que c’est ça, le travail d’un réalisateur. Je veux faire quelque chose que moi seul sois capable d’accomplir. C’est comme ça qu’on vous recrute : "Il nous faut Genndy, parce qu’il est le seul à faire ça."
La saga "Hôtel Transylvanie" confronte des humains et des créatures fantastiques. Ne s'agit-il pas, un creux, d'un autoportrait : celui d'un homme qui évolue dans des univers fantastiques ?
(rires) Je cherche toujours à m'évader de la réalité. Je ne veux pas faire un film sur le fait d'aller à l'école car c'est réel. Je trouve que la réalité est assez réelle pour voir encore plus de réalité dans un film. Je veux m'évader et il s'agit d'une vision artistique : vous pouvez entrer dans cet hôtel plein de monstres sans aller autre part. C'est ce que je trouve stimulant. Et si vous prenez un film comme Avatar, il a eu autant de succès car il nous fait découvrir un autre monde dans lequel on peut se perdre. C'est pareil pour Star Wars. Quand il est à son meilleur, le cinéma peut vous transporter ailleurs.
Cela ferme-t-il la porte à ce vous vous essayiez aux prises de vues réelles ?
J'y arriverai peut-être un jour. Mais l'animation est mon premier amour et, aussi longtemps que quelqu'un voudra produire mes films, je continuerai (rires) Et si je trouve la bonne histoire pour mes premiers pas dans le "live action", je m'y tournerais à ce moment-là.
En quoi consiste réellement le travail d'un réalisateur sur un film d'animation ?
Un peu comme pour les prises de vues réelles : il y a toujours des lieux, il nous faut gérer des acteurs, des performances... Notre action se fait à l'aide d'un crayon, ou d'images de synthèse, donc le travail reste le même sur le fond, mais c'est la forme qui change. Je dirige beaucoup en dessinant, car il m'est beaucoup plus facile de communiquer une expression en faisant un rapide croquis qu'en expliquant sa complexité. Et il est aussi question de rythme, de récit...
Quels seraient vos commandements en matière d'animation ? Ce que vous cherchez à appliquer ou éviter sur chaque film ou série.
Il faut constamment apprendre et s'améliorer. De mon côté, ce que je cherche à tout prix à être le plus sincère possible. Je ne vais pas faire une série sur les pirates parce que ceux-ci sont à la mode. Il faut que les idées viennent de façon organique et qu'elles soient honnêtes. Surtout si vous travaillez dans le divertissement pour les enfants : ne cherchez pas à les prendre de haut et souligner ce qui est drôle ou le message que vous voulez faire passer. Je suis convaincu qu'ils sont très intelligents et comprennent les choses d'eux-mêmes. Nous essayons donc de faire preuve de respect à leur égard.
Il faut que les idées viennent de façon organique et qu'elles soient honnêtes
Et quel conseil donneriez-vous à quelqu'un pour créer un bon personnage ?
Il faut qu’il soit sincère aussi, qu’il ait un vrai passé, et qu’il soit unique. Si vous voulez qu’il ne ressemble à aucun autre, essayez de trouver quelque chose qui lui soit très spécifique.
Racontez-nous comment vous êtes arrivé sur le premier "Hôtel Transylvanie" à l'époque.
Je cherchais du travail. Je développais un autre film avec Sony, mais pas en interne. La série sur laquelle je travaillais à l’époque, Sym-Bionic Titan, a été annulée. J’avais besoin de retrouver du travail et j’ai dit à Sony que j’étais capable de faire davantage s'ils avaient besoin d’aide sur autre chose. Ils m’ont parlé de ce film, j’ai intégré le projet. On m’a pitché les personnages. C’était dans les tuyaux depuis à peu près huit ans. Il y avait des personnages qui venaient de telle version du film, d’autres qui venaient de telle version…
Je me suis rendu compte que c’était un grand bac à sable bizarre, avec plein de designs différents. Mais j’ai tout de suite eu beaucoup d’idées. Cette nuit-là, j’ai rempli quatre pages d’idées. Je suis arrivé le jour suivant, je leur ai tout pitché, ils ont adoré ma sensibilité comique et loufoque. Je leur ai dit que je devais re-designer Dracula pour me l’approprier. Ils ont été d’accord, et on a commencé.
Propos recueillis par Thomas Imbert & Maximilien Pierrette