C'est entourée de très nombreux experts, qu'ils soient neuroscientifiques, psychiatres de renom, directeurs de recherche, professeurs ou pionniers de l'innovation en matière d'éducation, que la réalisatrice et journaliste Stéphanie Brillant est partie à l'assaut de son mystérieux et fascinant sujet : comment se façonne le cerveau de nos enfants et, plus globalement, le nôtre...
Difficulté productive, état d'esprit fixe ou évolutif, pleine conscience... Tourné en anglais aux Etats-Unis, Le Cerveau des enfants, en salles ce mercredi, offre de nombreuses et passionnantes notions sur le potentiel humain et ce qui peut ou a pu le limiter. Le tout en donnant des éclairages sur le fonctionnement des enfants - dont le cerveau passe de 400 grammes à la naissance à un kilo à 1 an - et des clés pour leur apprendre à vivre en paix avec leurs émotions, à apprendre et à progresser. Rencontre avec son auteure et réalisatrice, Stéphanie Brillant.
AlloCiné : Comment avez-vous eu l'idée de ce documentaire au départ. Qu'est-ce qui vous y a poussée ?
Stéphanie Brillant : On va dire que c'est un peu un puzzle qui s'est constitué. J'ai commencé à découvrir des notions sur le cerveau de l'enfant et ça m'a beaucoup éclairée sur mon cerveau d'adulte. Je me suis dit qu’il était assez passionnant de se dire qu’en fait, beaucoup de choses et de programmations qui font qui je suis aujourd'hui ont été déterminées durant mon enfance et j'ai compris comment mon cerveau s'était câblé. Du coup, ça m'a donné envie de creuser davantage, pas uniquement dans une idée de dire "voilà ce qui est important pour l'éducation des enfants" mais aussi pour permettre aux adultes d'avoir un miroir de leur propre fonctionnement, de leur propre structure cérébrale et, donc, de pouvoir mieux se comprendre et, ainsi, être davantage libre parce que lorsqu'on devient conscient de nos programmations cérébrales, eh bien, on peut les changer, potentiellement.
La plupart des adultes ont du mal à gérer leurs propres émotions
C'était un peu ça le point de départ et surtout la lecture d'un livre de Dan Siegel qui s'appelle "The Neurobiologie of 'We' : How Relationships, the Mind, and the Brain Interact to Shape Who We Are". Dans ce livre, il parlait de la neurobiologie interpersonnelle, ce qui m'a absolument fascinée. C'est en somme la notion que nos relations créent l'architecture de notre cerveau de façon totalement invisible. Les relations sont absolument capitales dans le fonctionnement de notre cerveau.
Est-ce que l'on peut dire que vous avez eu une sorte de prise de conscience et que, sans cette prise de conscience, on ne peut pas vraiment comprendre comment notre cerveau et celui des enfants fonctionnent ? Comment s'est passée votre propre prise de conscience par rapport à tout ça ?
Je pense en effet que tout adulte, tout éducateur, tout parent, toute personne en contact avec des enfants doit commencer par prendre conscience, doit commencer par s'interroger sur son propre cerveau. En somme, souvent je prends une parabole qui est de dire : "Est-ce que vous apprendriez à quelqu’un à piloter un avion si vous ne connaissez que le pilote automatique ?" C'est ce qu'on fait avec les enfants. On n'a pas la moindre idée de la façon dont fonctionne notre cerveau. Pour autant, on entend être des guides pour eux. Mais, on est très souvent démunis que ce soit face à la gestion de leurs émotions parce que la plupart des adultes ont beaucoup de mal à gérer leurs propres émotions, à améliorer leurs capacités d'apprentissage…
Il me semble important de découvrir, pour l'adulte, comment fonctionne le cerveau de façon générale et, après, les spécificités du cerveau de l'enfant, c’est dans la continuité. Quand vous parlez de prise de conscience, oui, c’est le point de départ de s’interroger sur soi. C’est un peu "charité bien ordonnée commence par soi-même", c’est logique.
La différence entre "faire" et "être"
Lorsqu'on voit le film, on réalise d'ailleurs qu'on doit avoir des habitudes ancrées depuis l’enfance mais c’est également compliqué de se libérer des clichés qu’on a pu recevoir et des réactions habituelles que l’on peut avoir face aux enfants. Est-ce que vous avez trouvé ça difficile de changer ça chez vous et de le montrer dans le film ?
Très dur, je le vis quotidiennement (rires). J’essaie de m’améliorer au fur et à mesure et de changer des réflexes qui sont naturels, parce que je me suis programmée de la sorte. Donc, quotidiennement, oui, c’est très difficile. Mais, quand on voit qu’on arrive à s’en sortir, c’est une satisfaction immense. La première chose, c’est vraiment d’essayer d’être attentif, de se regarder. De se dire : "Oula, d’accord, là j’ai réagi comme ça à tel moment" ou "Tiens, c’est cette croyance-là qui m’est venue, c’est la première pensée que j’ai eue" et puis de "se rééduquer". C’est passionnant toutes les recherches [qui existent]. Il y a un scientifique qui s’appelle Bruce Lipton qui a vraiment montré que la pensée structurait notre cerveau.
Contrôler davantage nos pensées, c'est très important
Donc, de contrôler davantage nos pensées c’est très important. Ce n’est pas de la méthode Coué et de ne se faire que de l’autosuggestion au niveau conscient, il faut aussi que notre inconscient l’accepte. Parce qu’en gros, si vous n’avez pas vraiment la foi, vous avez beau vous répéter sans cesse quelque chose, ça ne va pas fonctionner et, avec nos enfants, c’est pareil. Si on leur transmet des messages qui ne sont pas les choses auxquelles nous croyons nous, ça ne passera pas. Ils y resteront hermétiques. La même façon, la valeur de l’exemple. Plutôt de leur dire de faire quelque chose, il faut qu’on leur montre, qu'on soit l’exemple de cette chose-là.
C’est en effet un travail quotidien, qui est long, mais je pense que les transformations à terme sont très bénéfiques et qu’on peut faire des choses pour nos enfants pour leur faciliter la vie plus tard. Il y a une chose qu’on a complètement revue à la maison dans l’éducation, c’est justement la notion d’état d’esprit évolutif. On était plutôt partis sur un état d’esprit fixe, donc en suggérant que chaque être avait des talents. On félicitait donc beaucoup le résultat. Chez un enfant, c’est : "Wouah qu’est-ce que tu es doué en construction !" Et maintenant, on félicite la progression. Donc, plutôt que de dire que c’est formidable et que c’est magnifique, on dit : "Mais tu te rends compte, quand tu avais un an de moins, tu n’étais pas capable de réaliser une structure aussi belle" ou "cette fois, tu l’as construit beaucoup plus rapidement". Et c’est pour l’enfant, une perception complètement différente de se sentir valorisé dans son progrès et non pas parce qu’il est bon ou qu’il est doué. Ca va provoquer chez lui l’envie permanente de s’améliorer et aussi la compréhension que c’est ça qui est intéressant à faire.
C’est des choses qui se mettent en place petit à petit, il n’y a pas un résultat qui se fait en un mois ou deux surtout si les enfants ont débuté avec une éducation qui est plus fixe où l’on valorise vraiment le talent et le résultat. Si on le fait dès le plus jeune âge, si on reprend les choses en main, entre guillemets, on va voir les résultats un an ou deux ans plus tard. Avec mon fils, en l’occurrence, on a dû commencer à appliquer ça il y a vraiment un an et, aujourd’hui, très souvent, il me dit : "Maman, tu te rends compte les progrès que j’ai faits ?" Et il a complètement changé. Avant, quand il n’était pas très bon à quelque chose il avait plutôt tendance à se désengager et à dire qu’il ne voulait plus le faire, maintenant, il continue, il persévère. Il se rend compte qu'il peut s'améliorer, que ce n’est pas un problème de ne pas être ultra doué au départ.
Ce qui m'intéresse, c'est de travailler au développement du potentiel humain
C’est quelque chose de très intéressant dans le film, cette notion d’état d’esprit fixe ou évolutif. Ce n’est pas forcément très connu. On réalise que ça a pu réduire notre univers, le champ des possibles pour, même presque toute la vie, pour certaines personnes…
J’en suis convaincue. Et de toute façon, dans votre entourage, vous les voyez les gens qui ont cet état d’esprit de progression et ceux qui l’ont fixe. Ça saute aux yeux une fois qu’on en a un peu conscience. Ce que j’ai remarqué aussi, c’est que je faisais partie de la catégorie "doués" entre guillemets et il y a plein de gens, qui n’étaient [soit-disant] pas très "doués" dans mon enfance qui, finalement, m’ont complètement dépassée parce que c’était des bosseurs. C'est super d’être "doué", mais si vous n’en faites rien, ça sert à quoi ? (rires) Ceux qui sont plus opiniâtres et qui ne pensent pas avoir de talents particuliers, qu’est-ce qu’ils font ? Ils se mettent au boulot, ils avancent et ils construisent.
Carole Dweck [Professeure de psychologie à l'Université de Stanford] a mis en place une formulation très intéressante, qui est le "pas encore". Plutôt que de dire : "je n’y arrive pas", on apprend à dire : "je n’y arrive pas encore". Sur des bulletins scolaires, on pourrait mettre que l’enfant n’est "pas encore au niveau" plutôt que "n’est pas au niveau". Déjà, le message qu’on envoie est complètement différent.
Dans le documentaire, vous faites justement l'observation à un moment donné qu'en France, culturellement, nous ne sommes pas entraînés à faire des erreurs.
C'est mon observation de la société française. C'est mon analyse, ce sont les recoupements que j'ai faits. C'est qu'en effet, on ne nous entraîne pas à l'erreur et que l'erreur n'est pas du tout quelque chose de valorisé dans notre société de façon générale. Vous faites faillite en tant que chef d'entreprise, vous allez avoir du mal à trouver une banque pour vous suivre la deuxième fois. Alors que, dans certains pays, on se dit que l'on va vous suivre puisque, comme vous avez fait faillite une fois, vous avez tiré les leçons de la première fois, donc il y a moins de chance finalement aujourd'hui que vous fassiez faillite une seconde fois. Donc vous êtes quelqu'un qui a une valeur parce que vous avez déjà expérimenté.
Il y a des gens qui n'ont pas peur de faire des erreurs mais ce qu'on apprend et les "moules" dans lesquels on nous met, à mon sens, ne favorisent pas la prise de risque et le fait de faire des erreurs. Je pense que, dans les salles de classe, c'est toujours un peu la même chose si je compare par rapport à mon enfance, qu'on n'ose pas dire tout et n'importe quoi. A l'école américaine, un jour, mon fils rend un devoir et il avait fait une erreur. Donc, il a raturé son erreur et recommencé à côté et, là, je lui dis "Mais, ça va pas, tu effaces ou tu reprends une feuille, tu ne peux pas rendre quelque chose comme ça". Et il me dit : "Ah mais si. La maîtresse, elle nous interdit d'effacer nos erreurs." Et là, je comprends qu'en effet, dans l'idée de la maîtresse, l'erreur doit rester visible parce qu'elle fait partie du processus. Je ne connais pas beaucoup de cas, en France, où c'est ce qu'on suggère aux élèves de faire.
Pourquoi avoir choisi de faire le film aux Etats-Unis avec des intervenants américains ?
Initialement, je n’ai pas du tout pensé le film pour le marché français. J’ai fait un film en anglais au départ et il se trouve qu’il est distribué en France.
La construction du cortex
Vous déclarez avoir eu, à un moment donné de votre vie, envie de vous consacrer à des projets qui avaient un impact positif sur le monde. A quel moment et pourquoi cette quête de sens a eu lieu ?
Je produisais des sujets de reportages et je voyais assez ce qui excitait les rédacteurs en chef et les émissions et c'était toujours un peu des sujets anxiogènes qui mettaient en valeur les choses qui se passaient mal. Donc, j'avais l'impression d'alimenter quelque chose qui n'était pas ce en quoi je croyais. Car je crois que diffuser de l'information positive et qui est utile est bien meilleur que d'essayer de garder les gens sous une coupe en leur disant : "le monde va mal, vivez dans la peur et vous ne pouvez rien y faire".
Il y a cinq ans maintenant, j'ai créé une émission pour les jeunes femmes entrepreneures, une série de docu-réalité qui était sur la chaîne June, qui s'appelle maintenant Elle TV. C'était un peu la première pierre, j'étais moi-même entrepreneure, je m'intéressais aux questions de l'entreprenariat, je voyais que, pour les femmes, c'était particulièrement délicat parfois parce qu'aussi, on n'avait aucune idée de ce que c'était l'entreprenariat et de comment ça se passait. J'ai donc voulu créer une série qui en montrait les coulisses et qui permettait de comprendre à travers le parcours de cinq jeunes femmes ce que ça impliquait, comment faire pour mieux réussir, apprendre aussi de leurs propres échecs, considérer que c'était normal d'avoir des difficultés sur le parcours...
Ca a été un peu la bascule et je me sentais aussi beaucoup plus à l'aise avec ces thématiques-là. A partir de là, je me suis dit qu'il fallait que je m'intéresse à ça. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est de travailler au développement du potentiel humain, de faire des choses qui permettent aux gens de s'émanciper, de se sentir libres et d'avoir des outils pour grandir par eux-mêmes. De pouvoir inspirer et de pouvoir aider à libérer les potentiels. Je trouve qu'il y a trop de potentiels gâchés, trop de gens qui ne sont pas bien dans ce qu'ils font, trop de gens qui prennent des antidépresseurs. Et on pourrait changer ça juste en aidant les gens à éclore. Donc, j'ai décidé d'en faire la ligne conductrice de mon travail.
Vous évoquiez les sujets anxiogènes. Dans un monde où l'on voit toujours des sujets angoissants et inquiétants, notamment lorsqu'on devient parents, voir des films qui disent que les enfants ont une prédisposition naturelle à la bonté et que leur potentiel est infini, c'est quelque chose de très rassurant. En cela et pour d'autres raisons, votre film est très optimiste sur l'avenir.
Je n'ai pas voulu traiter quoi que ce soit de négatif. J'aurais pu faire "la violence créé des séquelles sur le cerveau", etc. Mais, je me suis dit : "Ca sert à quoi ?". Traitons de ce qui est positif et intéressant et qui va être utile aux gens et dont ils vont pouvoir se servir pour se sentir plus en possession de leurs moyens dans leur parentalité, dans leur façon d'éduquer. Et faisons quelque chose d'utile aussi pour les enfants. Je pense que tout le monde peut faire ce choix-là. On peut effectivement parler des choses qui ne se passent pas bien mais on peut aussi parler de ce qui se passe très bien. C'est important de faire des choses qui sont utiles aux autres.
Selon vous, quelles sont les promesses de cette future génération ? Evidemment, tous les enfants n'ont pas accès à ce qu'on peut voir dans le film mais il y a des tentatives qui semblent un peu éclore un peu partout pour faire avancer les choses. Est-ce que selon vous, c'est assez global et cela représente-il une promesse pour cette génération qui vient ?
Je pense que c'est une génération qui, potentiellement, pourra coopérer davantage, qui peut être plus consciente de qui elle est dans un ensemble. Il y a beaucoup de classes maintenant où les élèves partagent ce qu'ils ressentent. Il y a quelque chose de très important à comprendre dans nos cerveaux, c'est le côté social. Nous sommes avant tout des êtres sociaux et notre cerveau est avant tout social. Donc il y a des douleurs qui sont absolument invisibles, parce que ce n'est pas comme si on se cassait un bras, mais, en revanche, dans notre cerveau la douleur est aussi forte.
Etre exclu d'un groupe par exemple, c'est aussi violent et aussi fort. Ce sont des choses qu'on n'avait pas du tout l'habitude de prendre en charge et, aujourd'hui, je trouve que quand on permet aux enfants de comprendre chimiquement ce qui se passe en eux, ça leur permet de mieux communiquer les uns avec les autres et de moins se sentir séparés des uns et des autres. Pour moi, le plus grand mal qu'on a, c'est d'être séparé, dans le sens de croire qu'on est complètement différent de quelqu'un qui vient d'un milieu différent du nôtre ou d'un pays différent du nôtre. Dès qu'on se sent séparé, la béance se fait. Je crois que c'est une génération qui, potentiellement, va pouvoir être plus connectée et avec davantage d'échanges, de solidarité et de coopération. Ce serait bien qu'on mène à ça dans les écoles. On sait que la coopération, en termes d'apprentissage justement, c'est essentiel. Lorsqu'on demande aux élèves d'enseigner ce qu'ils viennent d'apprendre, ça renforce leur capacité à l'avoir intégré.
Une dernière question pour tous les parents qui ont déjà été confrontés à une crise soudaine de leur enfant sans savoir comment réagir. Comment gérer ce genre de crise violente ?
Il y a deux choses. Il y a une chose qui est d'ordre "disciplinaire", c'est-à-dire qu'on ne valide pas ce qu'il est en train de faire. En revanche, l'enfant est en détresse donc on prend cette détresse en considération, notamment avec un contact physique. Le fait de le prendre dans ses bras, de le toucher, de le caresser pour justement faire baisser le stress, d'un point de vue chimique, c'est assez essentiel. L'ignorer, le regarder avec des yeux réprobateurs, cela ne va rien faire pour calmer la crise. Alors que quand on a un contact, même si l'enfant se débat et qu'il ne le veut pas, quand même, c'est ce dont il a besoin.
Il faut penser à ça et, surtout, essayer de ne pas trop s'impliquer émotionnellement. Souvent, lorsqu'on surréagit en tant que parents et qu'on s'énerve, c'est parce qu'on est au même niveau émotionnel que l'enfant. Nous-mêmes, on a perdu le contrôle de notre émotion. Mais, si on considère que c'est normal, l'enfant n'arrive pas à gérer ce déversement émotionnel qui lui arrive, on peut se dire : "ok, donc ce n'est pas grave". Cela ne joue pas sur le fait que vous soyez un bon ou un mauvais parent, l'enfant ne fait pas ça pour vous embêter... Prendre du recul en voyant cela comme simplement une étape d'évolution de votre enfant fait que vous-mêmes vous ne le voyez pas au premier plan, donc vous pouvez répondre de façon calme.
"Le Cerveau des enfants" est à découvrir en salles cette semaine :