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    Nobody's Watching : "Il était très important de ne pas réduire l’immigration à une question de légalité"
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Cinéphile omnivore, Vincent « Michel » Garnier se nourrit depuis de longues années de tous les cinémas, sans distinction de genres ou de styles. Aux côtés de Yoann « Michel » Sardet, il supervise la Rédac d’AlloCiné et traque les Faux Raccords.

    Avec "Nobody's Watching", son deuxième long métrage, Julia Solomonoff renouvelle le point de vue sur l'immigration en se concentrant sur le parcours d'un jeune Argentin perpétuellement en marge. Rencontre.

    D.R.

    AlloCiné : Pour commencer, intéressons-nous au titre. Que signifie Nobody's Watching ?

    Julia Solomonoff : Nobody’s Watching (Personne ne nous regarde) signifie plusieurs choses dans le film. Nico, acteur connu quitte l’Argentine pour faire un film indépendant à New York, mais ce qu’il cherche vraiment c’est s’échapper d’une relation toxique et retrouver sa liberté (et peut-être lui-même) dans l’anonymat. Mais, plus le temps passe et plus il se sent invisible dans la ville, l’anonymat devient isolement. Alors le regard des autres lui manque cruellement (amis, acteurs, publique)… Nico est un personnage avec plein de façades, de masques… C’est un séducteur, alors il dépend un peu trop du regards des autres, il veut plaire, devenir ce que l’on attend de lui, c’est comme ça qu’il se perd lui-même….On a l’impression que personne ne le connaît vraiment, les gens le regardent, mais est-ce qu’ils le voient ? Peut-être que la seule personne qui le voit vraiment est Théo, le bébé ! Ce manque de retour, de regard, l’amène à faire des petites improvisations pour les caméras de surveillance… mais ces caméras n’ont pas de regard, elles enregistrent mécaniquement…personne ne regarde derrière ces caméras. « Nobody’s Watching» c’est aussi ce que l’amant de Nico lui dit quand il revient, c’est une invitation, le frisson d’une relation clandestine. Mais c’est trop tard, Nico a fait un chemin personnel, il est désormais prêt à le quitter.

    C'est aussi une référence à ces invisibles que sont les immigrés aux États-Unis ?

    Oui. Il y a aussi le cliché des immigrés, diabolisé par la xénophobie pendant la campagne de Trump.

    Votre film fait preuve d'une grande subtilité dans son traitement des immigrés. Ils ont tous un parcours unique, et leurs situations sont bien différentes.

    Oui, pour moi il était très important de ne pas réduire l’immigration à une question de «légalité » mais explorer des questions d’identité, de déracinement…Je voulais explorer comment la langue, l’ethnicité et la classe sociale/économique jouent dans le sentiment d’appartenance. Beaucoup de films ont été fait sur les passages de frontières, les obtentions de visas, j’ai voulu me concentrer moins sur les aspects légaux et plus sur les questions identitaires. Il y a les nounous qui sont pour la plupart Latinos sans papiers, leurs expériences sont plus dures que celle de Nico. Elles ont venues à NY pour fuir des situations économiques et politique extrêmes. Il y a Nico, qui peut « passer » pour un Européen, qui a un certain confort dans son Pays mais qui n’a que très peu à New York – même s’il est trop fier pour admettre sa précarité. Et il y a aussi le couple Andrea/Pascal, les parents du bébé, qui sont des immigrés assimilés, qui veulent se fondre, faire partie de la culture et partager les valeurs américaines, bref devenir américain.

    Vous rappelez également un point essentiel : la vraie discrimination est celle de l'argent. Il y a ceux qui en ont et les autres.

    Bien sûr. Impossible s’échapper aux questions de classe dans une ville si chère ! L’argent devient l’unité de mesure de la liberté, de l’appartenance, du pouvoir. Dans les métropoles du capitalisme, l’argent s’invite dans nos relations, dans notre emploi du temps, notre générosité, c’est ce qu’on appelle à NY, de façon cynique en détournant une logique de marché, notre « investissement émotionnel ».

    Votre héros ne semble jamais à sa place, dans sa vie sexuelle, personnelle ou professionnelle. Cinématographiquement cela se traduit par un décalage entre le rythme infernal de New York et le rythme lent en comparaison du héros. New York était pour vous la ville idéale pour souligner cette différence ?

    New York est au centre du film : sa séduction, sa beauté et aussi sa cruauté. C’est une ville que je connais bien, une relation amour/haine de presque 20 années… je voulais capturer son rythme, sa fascination et son optimisme et sa froideur. J’évite la vision édulcorée ou carte postale de la ville, on voit une ville très réelle et vivante dans le film, très proche de Nico, de son vélo. C’est une ville qui change beaucoup avec les saisons et j’ai essayé de capturer ses vrais couleurs et de les utiliser pour décrire le parcours de Nico : le contraste entre l’été vibrant, l’automne dorée et l’hiver sombre et froid…

    La bande-annonce de "Nobody's Watching" :

     

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