AlloCiné : Comment avez-vous sélectionné les détenus présents dans Après l'ombre ? Combien de temps a duré le tournage ?
Stéphane Mercurio : Je n’ai pas sélectionné les protagonistes du film. Didier Ruiz, le metteur en scène a rencontré un certain nombre d’anciens prisonniers, mais pas tant que ça, et peu d’entre eux pouvaient se joindre à l’aventure. Il fallait être assez disponible, ne pas avoir été trop détruit par la prison pour pouvoir s’investir dans cette aventure collective. Il fallait bien entendu aussi un désir de leur part. Mais si j’avais du faire un "casting", je n’aurais pas fait mieux. Ils sont extraordinaires et si différents les uns des autres. En documentaire on a parfois des cadeaux du réel et dans ce film il y en a eu beaucoup. Je n’imaginais pas à quel point en plus de parler de la prison, du travail théâtral ce serait un film sur la confiance et le collectif. Il y a un souffle et un enthousiasme qui les portent et portent le film. Le tournage se déroule essentiellement autour d’une résidence qui a duré une dizaine de jours. Il y a eu aussi les premiers entretiens et les premières représentations.
Êtes-vous à l'origine de la pièce de théâtre à laquelle participent les détenus ? Ce dispositif est particulièrement ingénieux en ce qu'il permet d'éviter toute forme de confessions mal maîtrisées.
Je travaillais sur un projet de film sur L’après tout à fait diffèrent sur la forme mais bien entendu quand j’ai croisé Didier Ruiz, j’ai tout de suite eu envie de voir. Et dès les toutes premières rencontres, j’ai décidé de filmer. Le potentiel cinématographique était inouï. Les personnages magnifiques. Mais c’était Didier qui était aux commandes de sa création théâtrale et moi aux commandes de mon film. L’enjeu évidemment était pour moi de ne pas faire une pièce filmée ce qui n’aurait eu aucun intérêt. Mais très vite j’ai senti que quelque chose allait se construire au delà de la pièce grâce à ce travail et j’ai filmé ce processus de confiance qui aboutit à pouvoir dire l’indicible.
A aucun moment le spectateur n'est animé d'une curiosité malsaine sur les raisons qui ont conduit ces personnes en prison. On voit simplement des êtres humains.
C’était une ambition simple et pourtant essentielle. Etre toujours dans leur dignité et permettre une rencontre avec des hommes et cette femme, Annette, compagne de l’un d’entre eux. - Raconter ce qui a mené à la prison c’est retomber dans le sempiternel débat un peu café du commerce et vain qui constitue à discuter de la punition. Est-elle assez lourde ou pas ? Je voulais débarrasser le film de cette question pour en laisser apparaître une autre. Comment les gens sont-il traités en prison et comment en sortent-ils ? Cette question nous concerne tous. Aujourd’hui la prison telle qu’elle est pensée offre l’illusion dune sécurité mais en fait elle fabrique l’insécurité de demain. J’aimerais que les spectateurs rencontrent ces hommes et cette femme, les écoutent et à partir de leur expérience se posent des questions. Qu’ils prennent le temps d’une séance de cinéma pour partager un moment avec eux. On ne sait rien de la réalité carcérale, de la façon dont elle s’inscrit dans la chair à jamais. Il faut que l’on prenne le temps de savoir. Il faut arrêter de croire qu’il suffit d’enfermer de plus en plus pour être en sécurité. Cela paraît simple mais c’est faux.
La bande-annonce de "Après l'ombre" :