Le cinéaste et acteur Lucas Belvaux est présent au 10ème festival international du film policier de Beaune comme président du jury Sang Neuf (qui remet un prix au meilleur regard décalé sur le thriller). Il est revenu pour AlloCiné sur le genre policier qu'il a plusieurs fois exploré en tant que réalisateur.
AlloCiné : Vous avez abordé le polar de différentes façons dans votre filmographie, mais pourquoi selon vous le polar a-t-il perduré jusqu'à aujourd'hui ?
Lucas Belvaux : Parce que c'est le genre le plus ouvert qui soit. On peut y faire de la comédie, des films sociaux, politiques, des thrillers psychologiques, on peut y mettre du sang ou pas, des policiers ou pas : tout est possible. Il faut simplement garder une idée motrice qui est la tension. C'est une contrainte créatrice.
Un polar qui vous a marqué ?
Vous savez, je suis d'une génération qui a grandie avec les images. Pas autant que vous, mais je suis la première génération qui grandit avec la télé. Mon premier souvenir marquant policier, je dirais que ça doit être une série télé : Les Incorruptibles avec Robert Stack. (...) Petit, on ne va pas voir des choses comme ça au cinéma. Mais autrement, mon polar de référence c'est M le maudit de Fritz Lang, car ça mélange tout ce qui est possible dans le film noir. C'est à la fois un film politique, moral, sur un serial killer...
Avec une esthétique incroyable.
Oui, c'est un très grand film, comme un autre Lang qui est Furie, qui est un de mes films préférés. (...) C'est un film sur la morale, sur la justice et sur la morale dans la justice.
Qu'est-ce qui fait un bon polar ?
Il faut une tension. Je préfère quand il est stylisé que le pseudo-réalisme. On peut parler de son époque tout en étant stylisé. Le polar est fort lorsqu'il est tendu, stylisé et qu'il va droit au but. Je préfère cela au polar baroque comme Tarantino en a fait, notamment avec Reservoir Dogs et Pulp Fiction. Je préfère Jackie Brown ou Kill Bill.
Quel est le film qui vous a donné l'envie d'être un gangster ?
Je réfléchis car c'est probablement plus des westerns que des polars qui ont eu cet effet-là sur moi. Je serais plus Billy le Kid qu'Al Capone. Je suis très classique en matière de westerns : Ford ou Hathaway. Je suis moins fan de Sergio Leone. C'est bien, mais c'est déjà post-moderne.
Quel est le film qui vous a donné l'envie de devenir flic ?
Ce serait Eliot Ness dans Les Incorruptibles. Parce qu'il y a les Thompson à camemberts et une sorte de rectitude. Il y a aussi de grands polars français mais qui tirent vers le romantisme, c'est Le Quai des brumes, Le Jour se lève.
Pépé le moko était un vrai film de truands.
Ah c'est vrai.
Dans votre polar "La Raison du plus faible", on peut dire que votre truand est engagé.
Oui, enfin, il s'engage quand il ne veut plus [participer au casse], lorsqu'il veut dissuader les autres au nom d'une violence qui n'a pas de sens.
Et dans "Cavale" vous aviez un personnage engagé d'une autre manière...
Oui, façon Action directe. C'est une violence qui n'a plus aucun sens non plus, pour autant que la violence en ait eu un jour.
Ces deux personnages sont très différents et comme celui de "Rapt" d'ailleurs, soumis au regard des autres.
Les personnages de Cavale et de la Raison du plus faible sont hors époque. Ils sortent de prison et leur passé est gelé. Celui de Cavale ressort inchangé car il a fait 15 ans de taule, il ne veut pas qu'ils aient été faits pour rien donc il revendique [ses méfaits] et de continuer sinon c'est une négation de sa vie entière. L'autre, il est ramené à son passé par le regard des autres. Il est ramené à sa mythologie, à ce qu'il représente. Les flics lui disent "de toute façon tu vas recommencer" et les autres qui "l'héroïsent" en lui disant "ton existence seule nous donne l'idée [de commettre un délit]". (...) Le héros de La Raison du plus faible est un personnage de fiction, on projette de la fiction sur lui et il essaye de s'en extraire. Voilà pourquoi il apporte de la réalité face aux fantasmes [de ses amis].
Et on revient au western avec "Liberty Valance", car la question du mythe et de la réalité sont au coeur du film.
Absolument, c'est un très très grand film que j'aime beaucoup. C'est un peu différent car en déléguant l'acte héroïque à celui qui représente la loi, il se "déshéroïse" lui. Il y a un suicide du mythe pour la justice et la loi.
Et puisqu'on parle de mythe, on peut dire que dans le polar, les mythes du gangster et du flic perdurent.
Je supporte de moins en moins l'héroïsation du gangster, le côté Tony Montana [de Scarface, NdlR]. Car c'est une glorification du capitalisme et du libéralisme. La truanderie c'est la loi du plus fort, c'est le fascisme. (...) Ce n'est en aucun un modèle. C'est aussi pour cela que lorsque vous me demandez un gangster qui m'a inspiré j'ai du mal à trouver. Ou alors si, un truand à la Simenon comme le personnage de Delon dans La Veuve Couderc. Des mecs qui ne sont pas des vrais truands mais qui se laissent porter par le vent.
Si vous refaisiez un polar aujourd'hui, quelle direction prendriez-vous ?
Je pense que je resterais dans la même veine, un réalisme épuré, un peu stylisé, tirant plutôt vers Fritz Lang. Ce qui m'intéresse dans le film noir, c'est le point de vue moral. Poser un regard moral et donc humain sur une situation.
Et d'ailleurs, votre prochain projet est-il un polar ?
Non, nous recherchons le financement actuellement, c'est une adaptation d'un roman de Laurent Mauvignier qui s'appelle Des hommes. C'est sur les conséquences de la guerre d'Algérie et les anciens combattants de cette guerre.
Bande-annonce de "La Raison du plus faible", polar de et avec Lucas Belvaux :