Adapté du roman homonyme d'Ernest Cline, paru en 2011, Ready Player One, qui vient d'offrir à Steven Spielberg son meilleur démarrage depuis 10 ans, se déroule dans un futur post-apocalyptique où la Terre n'est plus que l'ombre d'elle-même. Face à la désolation, les êtres humains ont fini par se réfugier dans l'Oasis, un système unique de réalité virtuelle qui a fini par dépasser les tristes promesses qu'ils pouvaient attendre de la réalité. Cet Oasis est l'oeuvre d'un homme, James Halliday, véritable génie solitaire et visionnaire qui, à sa mort, a lancé la plus grande aventure planétaire : une gigantesque chasse aux trésors "pop culturelle" au sein de l'Oasis.
En 2h20 pour le film et plus de 600 pages pour le roman*, Ready Player One propose un univers foisonnant et explore des thématiques plus riches les unes que les autres. Futur Vs passé, réalité Vs virtualité, enfance Vs âge adulte, prises de vues réelles Vs CGI... Ready Player One installe tout un tas d'oppositions pour mieux pouvoir les brouiller ou simplement les lier par la suite.
Outre ces oppositions, le film interroge en effet sur notre propre présent et sur un futur qui semble n'être pas si éloigné que cela. Il pose la question de nos propres générations connectées, de l'isolement, des risques de s'oublier derrière un avatar, de ceux de la célébrité instantanée et fait aussi entrevoir une planète ravagée et désespérée. Pour autant, le monde d'Ernest Cline est, dans un même mouvement, une source d'émerveillement et un puissant catalyseur d'émotions. En un rien de temps, il parvient à générer de la nostalgie, un retour à l'enfance et/ou à l'adolescence par le biais de l'aventure proposée par Halliday.
Pour gagner le trésor, c'est-à-dire l'Oeuf d'Halliday caché dans l'Oasis, il est nécessaire de trouver des clés et de franchir des portails. Et pour ce faire, il faut connaitre toutes les oeuvres des années 80, l'obsession de James Halliday. Qu'il s'agisse de films, de musiques, de séries ou de jeux vidéo, l'histoire immerge donc le public dans un passé et des souvenirs d'une période où le futur ne pouvait qu'être imaginé.
Film doudou, tout écran, auto-régulation... Pour tenter d'éclairer ces axes et ces thématiques, liés au film mais aussi à nos propres comportements, nous avons pu rencontrer Robin Fender, pédopsychiatre à Lyon mais également spécialiste de Ready Player One.
Qu'est-ce que la culture doudou ?
Le tout écran... Est-ce inquiétant ?
Robin Fender : "C'est une inscription de la génération actuelle, c'est-à-dire le "tout connecté". Tout est accessible de nos jours, en tout cas dans certaines sociétés. Il y a un accès facilité à la culture, alors, effectivement, Wade Watts ressemble à un adolescent d'aujourd'hui qui peut avoir accès à un film, une musique, très rapidement, quasi instantanément.
Ce n'est pas une demande ou une plainte qui émane des jeunes que je peux rencontrer mais plutôt des parents qui sont débordés par rapport à ça et qui demandent des conseils de guidance parentale. Souvent, j'ai des parents qui me disent que leur enfant est tout le temps devant la télé et qui se demandent ce qu'ils doivent faire. Je pense que tout est une question de dosage et d'encadrement. Si c'est encadré, il ne faut pas forcément être dans quelque chose d'extrême et des deux côtés. C'est-à-dire d'être dans l'illimité ou dans la restriction totale.
Il faut, je pense, le percevoir comme une boîte de Pandore. C'est un outil qui est formidable mais qui peut aussi avoir ses limites, qui peut être dangereux dans certaines circonstances. Et c'est un peu ce que dit le roman Ready Player One d'ailleurs. C'est ce que j'essaie d'indiquer lorsque je reçois des familles et des adolescents. C'est l'encadrement et la mise en place de limites qui soient structurantes pour le développement. C'est ce que j’appellerais de la fermeté bienveillante. Ne pas être dans l'autoritarisme parce que ça, c'est déviant et ça ne peut que créer des rapports très conflictuels. Ne pas non plus être dans quelque chose qui serait flottant où tout est illimité et sans limites. Ça, vraiment, c'est dangereux aussi.
Il faudrait définir quelle est la frontière entre la norme et la pathologie
Car l'usage abusif des écrans, des jeux vidéo, c'est quelque chose qui existe, qui est décrit. Il y a des considérations controversées dans la communauté psychiatrique. Certains pensent qu'il y a une vraie dépendance comme à certains produits, l'alcool, le tabac, etc. D'autres se positionnent différemment en disant que non, car lorsqu'on arrête on n'a pas de symptômes de manque comme avec une substance.
Mais, les addictions sans substance, ça existe. Les cyber-addictions, ça existe. Il faut juste effectivement définir un peu ce que c'est et comment on peut y répondre au mieux. Quel serait la frontière entre la norme et la pathologie ? Et comment essayer au mieux de tendre vers la norme pour éviter la déviance, l'usage abusif en termes de fréquence, de périodicité et aussi d'exposition à des images qui pourraient être violentes, heurter les sensibilités et qui ne soient pas ajustées à l'âge de l'enfant. Ca aussi, c'est très dangereux. Et encore une fois tout est question d'encadrement et de guidance. Encore une fois, si les parents se sentent débordés, il ne faut pas qu'ils hésitent à faire appel à des tiers, auprès de thérapeutes qui soient formés, voire même auprès d'amis.
Peut-être aussi qu'il y a une dissonance entre les parents et les ados aujourd'hui, qu'il faut peut-être plus essayer de trouver un pont, d'essayer de retrouver des axes de parole, de communication. Je pense que les parents aujourd'hui ont tout intérêt à régresser un peu, à redevenir aussi un peu des ados et à s'émerveiller comme leurs enfants et, du coup, à avoir aussi accès à cette culture que les ados ont et à cette connectique. Je trouve toujours dommage les parents qui se privent eux-mêmes de jouer, de regarder des films. C'est un moyen de mieux connaître son adolescent et son enfant et, du coup, c'est tout à leur bénéfice."
La réalité virtuelle peut-elle aller au-delà du divertissement ?
Robin Fender : "C'est un outil qui est utilisé en médecine, il faut le savoir. La réalité virtuelle, de nos jours, [est utilisée] en thérapeutique. Il y a ce qu'on appelle la TCC, la thérapie cognitive et comportementale. Par exemple, les gens qui ont des phobies comme la peur de l'avion. Les techniques thérapeutiques, ça va être de les sensibiliser et de les exposer progressivement à ce stimulus qui, pour eux, est angoissant pour essayer de traiter leur peur. La réalité virtuelle permet l'immersion. Elle les met dans une situation où ils pourraient avoir l'avion à prendre par exemple. Je n'ai pas vraiment vu mais je l'imagine comme cela.
C'est un outil qui peut être formidable, qui peut permettre de mieux traiter certaines peurs, certaines angoisses. Ça marche aussi dans la question des troubles du comportement alimentaire avec des mises en situation de repas, de la confrontation avec quelque chose qui pourrait être angoissant, à une image corporelle, le fait de se regarder dans le miroir, de se peser sur la balance. C'est un outil qui est aussi utilisé dans ce champ-là. C'est un outil merveilleux mais, je pense que, là, nous n'en sommes qu'aux balbutiements. On ne le connaît pas encore, on ne le maîtrise pas encore. C'est utilisé uniquement dans des protocoles de recherche. Pour l'instant, il n'y a pas encore d'autorisation de mise sur le marché pour ces outils-là. Mais, c'est amené à l'être j'imagine et, à mon avis, dans un futur plus proche qu'on ne l'imagine."
RV, réseaux sociaux... Est-ce que l'être humain est capable de se réguler face à tous ces outils à sa portée ?
Robin Fender : "Pour moi, la dernière phrase du roman répond à cette question-là. Sans spoiler, je pense que le propos du roman et qui, du coup, fait sens dans notre réalité, dans notre monde actuel, c'est que les gens n'oublient pas qu'il n'y a rien de plus galvanisant que de célébrer le présent et le réel. Par rapport au virtuel, par rapport au passé. Je pense que les gens se retrouvent par rapport à ce propos-là.
Pour moi, le roman est une ode à l'imaginaire. Par là, un outil comme la réalité virtuelle, il faut le percevoir comme ça, comme un moyen de célébrer la réalité. Est-ce qu'il peut y avoir des déviances ? Oui. Mais comme pour tout. Est-ce qu'il faudra un cadre, structurant, même légal ? Oui, sans doute."
Le monde d'aujourd'hui n'est-il pas plus angoissant pour la jeunesse ?
Robin Fender : "Aujourd'hui, il y a un accès aux soins qui est plus facile. Une démocratisation aussi de la plainte psychique. C'est-à-dire que les gens osent dire qu'ils ne vont pas bien, qu'ils sont déprimés ou angoissés. Dans notre métier, on le voit, il y a une augmentation des demandes. Par exemple aux urgences, tous les ans, il y a une augmentation - pour moi, des adolescents et des enfants - pour un motif psychique. Est-ce que c'est lié aussi à des données épidémiologiques parce qu'il y a une augmentation de la population ou simplement une démocratisation ? Je ne sais pas trop à quoi c'est dû. Je pense qu'il y a des facteurs environnementaux, on peut le lire de plein de manières différentes. Je pense qu'une cause/ un effet, ce n'est pas possible, on aura du mal à pouvoir lire ça comme ça.
Mais, est-ce que ça témoigne de notre monde et de ce qu'est notre monde aujourd'hui ? Je ne suis pas sûr. Les thèmes comme la perte des ressources, les changements climatiques, le terrorisme... Je pense que c'était déjà là il y a X années en arrière, sous d'autres formes. Des craintes sous d'autres formes. Je pense que c'est plutôt un questionnement qui est propre à l'être humain. Je pense que ça a toujours existé. Ca se manifeste différemment aujourd'hui. J'essaie de le percevoir comme ça... Est-ce que c'est parce que je suis optimiste ? Je ne sais pas, peut-être, mais j'essaie de conserver cet optimisme-là.
Le roman, finalement, est une célébration de ce qu'est la vie. Je pense que Spielberg a compris cela. Dans l'adaptation, il y a cela, une célébration. Ça a toujours irrigué son cinéma et c'est encore là aujourd'hui. Il y a vraiment quelque chose du style : Émerveillez-vous de ce qu'il y a autour de vous, il y a plein de choses, le monde, il est génial et il faut s'émerveiller. Et si on conserve ça, le monde avancera, toujours."
Le personnage de James Halliday souffre-t-il d'autisme ?
Robin Fender : "Dans le roman, il est décrit qu'il souffre d'une forme d'autisme, ça s'appelle le Syndrome d'asperger. Ca parlera à tout le monde, le personnage qui illustre le mieux ça, c'est Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory. C'est le syndrome d'Asperger par excellence. C'est un personnage asocial, qui a des difficultés d'interactions sociales tout en ayant des connaissances très approfondies dans un domaine, avec des centres d'intérêt restreints, avec des comportements un peu répétitifs, qui a un vocabulaire très soutenu et qui a souvent un Q.I. élevé. James Halliday semble effectivement correspondre à cette définition-là. Est-ce qu'il souffre d'une forme d'autisme ? Peut-être effectivement.
Il y a aussi ce côté fascinant d'essayer d'apprendre à le comprendre. Souvent, quand des parents me demandent ce qu'est l'autisme, je leur dis toujours que c'est une autre manière de communiquer, d'interagir, une autre manière d'exister. C'est un autre rapport aux gens et à la réalité. C'est comme si on se faisait se rencontrer quelqu'un qui parle chinois et quelqu'un qui parle français, par exemple. Ils ne vont peut-être pas se comprendre. C'est une autre forme de langage et c'est ça un peu l'autisme, c'est un autre type de fonctionnement.
Est-ce qu'il faut définir l'un comme la norme et l'autre comme la pathologie ? Je ne pense pas. C'est deux types de fonctionnement différents. Ce personnage, on a l'impression qu'il a un autre type de fonctionnement, qu'il interagit différemment. On a envie de le comprendre, on a envie de percer le mystère."
Qui sont les geeks aujourd'hui ?
Robin Fender : "Avant, il y avait une image, une connotation très négative des geeks. C'était l'adolescent boutonneux, souvent obèse, avec des lunettes, devant son ordinateur, qui ne faisait que ça, [quelqu'un de] très isolé socialement, etc. Je ne sais pas si ça vraiment été un jour ça. Je ne sais pas d'où cette image-là est venue.
En tout cas, de nos jours, on le voit avec les cartons de Star Wars ou Marvel, ce n'est pas ça les geeks. Les geeks, c'est tout le monde. De nos jours, il y a vraiment cette aspiration totale. Je le lis un peu comme ça, le geek, c'est quelqu'un qui a une connexion émotionnelle avec une œuvre. Le geek, c'est chacun d'entre nous. Celui qui va se retrouver, se reconnaître dans une œuvre et puis, peut-être aller peut-être plus loin."
* Suivant les versions évidemment !