AlloCiné : Pourquoi choisir la forme du conte, même si c'est un conte horrifique ?
Marco Dutra : C'est une forme qui nous plaît. Les Bonnes Manières a toujours été conçu comme un fantasme. J'avais rêvé de deux femmes dans un endroit isolé avec un bébé qui n'était pas humain. J'en ai parlé à Juliana et elle a aimé l'idée, donc on a commencé à parler d'en faire un film. On a rapidement décidé que le bébé serait un loup-garou, car on aimait l'idée de la dualité entre l'humain et la bête et plus largement, la dualité que ça impliquait dans le film, à plein de niveaux. On s'est dit que la narration se devait d'être fantastique autant que l'esthétique et que la forme du conte était idéale. Il y a aussi un côté très populaire qui nous plaisait. De plus, si l'origine des contes est orale, beaucoup ont des narrateurs féminins, c'était donc cohérent avec l'histoire qu'on voulait raconter. On adore tous les deux les Disney des débuts, Blanche-Neige, La Belle au bois dormant, Dumbo, ainsi que le film La Nuit du chasseur, qui est mis en scène comme un contre gothique.
La dimension sociale est très présente dans Les Bonnes Manières. Ça parle de maternité, de solitude. Comment avez-vous trouvé un équilibre entre tous ces éléments ?
Juliana Rojas : Pour nous, le plus important, c'était les personnages. Bien sûr, il y a un regard politique du fait de la forme du conte et du choix du loup-garou, car c'est un monstre auquel on peut tous s'identifier. Il y a un aspect très universel. Au-delà de ça, on a joué sur les oppositions, entre les deux parties de la ville, par exemple, les personnages sont aussi de différentes classes sociales, de différente couleur de peau, mais ce qu'on voulait plus que tout, c'était être fidèles à leur trajectoire, à leurs émotions. C'est uniquement ça qui nous a permis dans un second temps de pouvoir jouer sur plusieurs tableaux. On a pu mélanger les genres, utiliser la forme du conte en y ajoutant des éléments de suspense, en utilisant la musique comme élément narratif, l'humour, la passion amoureuse… Finalement, tout ça s'est fait de manière assez intuitive.
Parlez-nous de cette construction en deux parties, avec cette rupture au milieu au moment de l'accouchement.
MD : Le film est un peu fondé sur cette idée. Quand on a commencé à discuter de sa structure, on a décidé que la naissance du bébé interviendrait au milieu. Naturellement, on s'est dit qu'il serait d'abord question de la grossesse, et puis d'un enfant. L'histoire a beaucoup évolué au fil de l'écriture, mais ça, c'était là dès le début. Ce qui a constitué un changement radical, c'est quand on a déterminé qu'on voulait que Joel, dans la deuxième partie, soit un enfant plutôt qu'un bébé, qu'il soit capable de communiquer et de comprendre des choses à propos de lui-même. C'est ce processus qui nous a permis de comprendre que notre personnage principal, c'était Clara. C'est elle qui nous emmène dans l'univers d'Ana, puis qui nous conduit dans l'univers de Joel après cette ellipse de 7 ans.
La ville de São Paulo est comme un personnage à part entière. C'était quelque chose que vous aviez en tête dès le début ?
JR : La plupart de nos films se passent à São Paulo, c'est très important pour nous d'inclure la ville dans nos histoires. Marco est né à São Paulo, moi je suis née dans une petite ville à côté et j'y ai emménagé lorsque je suis entrée à l'école de cinéma. On a des expériences différentes de la ville. Elle nous intéresse parce qu'elle brasse tellement de cultures différentes, et en même temps on y perçoit de manière très claire et géographique les clivages de la société brésilienne. Dans cette histoire, ça revêtait un enjeu particulier, c'était crucial qu'on comprenne que le quartier dans lequel vit Ana est en opposition complète avec celui où vit Clara. On voulait aussi en montrer une version stylisée, fantastique, qui s'intègre à la fable et qui ne soit pas naturaliste.
Concrètement, comment vous y êtes-vous pris ?
JR : Pour créer cet univers, on a utilisé une technique qui s'appelle le match painting. On fabrique des paysages artificiels – parfois complètement artificiels, parfois partiellement en intégrant des prises de vues réelles. Aujourd'hui, cette technique est souvent utilisée dans une démarque réaliste, avec le CGI (dans Game of Thrones ou Le Seigneur des Anneaux par exemple), mais nous, on voulait vraiment l'utiliser comme dans Mary Poppins, Pas de printemps pour Marnie et les films d'Hitchcock de manière générale. Pour tous les paysages du film, les extérieurs, à chaque fois qu'on voit par la fenêtre, on a utilisé cette technique. C'est Eduardo Schaal, artiste spécialiste du match painting, qui a créé tous les décors.
Quel est votre film d'horreur préféré ?
MD : C'est Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock, qui est très certainement mon film préféré tout court. J'aime comment le film joue avec le genre, d'une manière qu'il n'est pas pure, il y a de la comédie, du mélodrame. Il n'abuse pas d'effets d'ambiance, il n'y a pas de musique, c'est très abrupt, c'est comme ça que j'aime le genre.
JR : C'est difficile pour moi de répondre. J'aime énormément Les Innocents de Jack Clayton, à cause de son personnage féminin très fort, plein de contradictions. Elle est très pieuse et en même temps, elle a de vraies pulsions sexuelles, qui sont étouffées par la société. C'est un film très pervers, avec une atmosphère incroyable. Mais j'aime aussi beaucoup La Nuit des morts-vivants de George Romero, qui est un film politique très puissant.
La bande-annonce des Bonnes Manières, en salle dès aujourd'hui :