Alors que sortent en salles Stronger de David Gordon Green et Le 15h17 pour Paris de Clint Eastwood, deux films adaptés d'attentats réels, AlloCiné est allé à la rencontre de Pascal Laëthier, psychanalyste, pour comprendre les enjeux de ces films.
On peut en effet s'interroger sur le besoin que des films adaptés d'attentats réels d'être tournés aussi vite. La double explosion du marathon de Boston montrée dans Stronger date de 2013 et l'attaque du Thalys seulement de 2015. Manque-t-on de recul sur ces événements ? Faut-il impliquer les victimes/témoins/acteurs du drame dans le film ? Le psychanalyste Pascal Laëthier nous répond :
"Il est important que quelque chose soit fait, car on ne peut pas rester comme ça sans réagir. Il faut que [ces événements] soient mis en mots ou en films". Sauf que Stronger comme Le 15h17 pour Paris sont très différents : "Le premier se place du point de vue de la victime", analyse Laëthier, "sur la façon dont on revit lorsqu'on a perdu ses jambes, là où le second est un film patriote, un film de propagande, sans que cela soit péjoratif".
Le cinéma de fiction a souvent cherché à recréer le passé réel et les traumatismes, découlant notamment des Guerres mondiales : "Souvent dans un premier temps, les productions de fiction sont patriotiques -comme le film d'Eastwood- puis le temps passant, il y a, d'après Laëthier, la possibilité d'élaborer autre chose, de faire un travail pour comprendre ce qui s'est passé. Et il permet de tordre la première image (qui est de l'ordre du mythique) pour en faire autre chose". C'est notamment ce qui s'est passé avec le cinéma américain sur la Seconde guerre mondiale, d'abord propagandique, puis plus nuancé avec les années.
Le débat se déplace aussi sur la question de savoir si les images de fiction de films comme Le 15h17 pour Paris ne vont pas prendre le pas sur les images réelles et authentiques. Une question à laquelle Laëthier apporte une réponse cinéphile : "c'est la fin de L'homme qui tua Liberty Valance : "on s'en fout de la vérité, imprimez la légende". Il fut un temps où ce qu'on avait à dire était plus important que ce qui s'était passé. Aujourd'hui on est dans la vérité objective, on a les moyens de montrer la vérité. Mais d'un point de vue psychique ce qui s'est passé dans votre vie n'est plus là, vous n'avez plus en tête que des traces mnésiques qui vous permettent de former des souvenirs. Ce qui a eu lieu n'aura plus jamais lieu autrement qu'en étant remémoré par quelqu'un à partir des traces de ce qui s'est passé".
En bref, un événement reconstruit pour le cinéma ou la télévision ne sera jamais exact, et on ne peut que se rapprocher de la vérité sans jamais l'atteindre vraiment. Surtout lorsque les gens qui partagent leur témoignage ont vécu un traumatisme important.
La notion de traumatisme
Il est juste de dire que Traque à Boston pour l'attentat de Boston (film sorti l'an dernier) et Le 15h17 pour le Thalys sont des films patriotiques (Traque à Boston s'appelle d'ailleurs Patriot's Day en VO et présente la traque des deux terroristes responsables de l'attaque), là où Stronger offre déjà autre chose. Ce long métrage est centré sur l'une des victimes de l'attentat et son processus de reconstruction après un traumatisme. Une notion que Pascal Laëthier nous a expliqué :
"Quand un événement traumatique se passe (contre un pays, un individu), il faut que du temps passe. Il y a un moment de sidération dans lequel il faut laisser le sujet se remettre de cet événement. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire".
Stronger et Traque à Boston : découvrez deux histoires complémentaires sur les attentats du marathon de BostonCe traumatisme, Pascal Laëthier le décrit comme une "effraction", quelque chose "qui rentre en vous violemment, qui n'a rien à faire là, et qui vient péter le système. Le problème est que ça ne casse pas tout pour tout le monde de la même manière. Il y a des gens pour qui c'est une catastrophe, et d'autres qui s'en arrangent, parce qu'ils sont foutus comme ça". Dans ce cas alors, la façon de s'en sortir est, selon le psychanalyste, "de faire du traumatisme une rencontre, un élément de sa vie. (...) Et si vous n'arrivez pas à faire ce travail, ce traumatisme va se répéter, votre psychisme bégaier, et cet événement va revenir en souvenir, en obsession, en rêve et en angoisse".
Il poursuit : "Pendant très longtemps dans un cas de traumatisme, on a pensé en psychanalyse qu'il fallait faire parler les patients. En réalité, ce n'est pas forcément tout à fait souhaitable de les y replonger mais ce n'est pas impossible. Il faut juste faire attention au moment où ça se passe". Il faut dire, comme nous l'a expliqué Laëthier, qu'interroger les victimes d'accident ferroviaire sur les lieux de l'accident ne donne pas du tout les mêmes résultats qu'une interrogation qui se déroulerait dans une pièce coupée du lieu du drame. Voilà aussi pourquoi le FBI dans Stronger ne vient pas interroger Jeff Bauman (Gyllenhaal) aussitôt après l'explosion des bombes, mais une fois à l'hôpital, après un certain délai.
Dans le film de Clint Eastwood, il n'est pas question de traumatisme car "les trois héros [du film] ne sont pas traumatisés, leur question à eux est plutôt "pourquoi on a touché le gros lot ?", selon Laëthier. "C'est le traumatisme à l'envers, ce sont les difficultés du mec qui a gagné au loto. Les gens jouent pour perdre, pas pour gagner, car si un jour ils gagnent, c'est une catastrophe. Pourquoi ? Parce que vous organisez votre vie autour d'un travail, pour toucher un salaire et tout à coup vous touchez l'équivalent de 10 années de salaire. Donc vous vous demandez pourquoi aller travailler ? Et qu'est-ce que cela jette sur la vie que vous aviez avant ? Tout le monde vous regarde autrement. Les acteurs du film d'Eastwood sont dans ce cas".
Quid d'un téléfilm sur le Bataclan ?
L'acte courageux des trois hommes du 15h17 fait déjà l'objet d'un livre et d'un long métrage seulement deux ans après les faits. Interrogé pour cette enquête, le passager du Thalys Mark Moogalian, que l'on retrouve dans le film d'Eastwood, a déclaré "je trouvais que [2 ans pour faire un film sur l'attentat du Thalys] c'était suffisamment longtemps, largement. L'histoire reste fraîche dans nos mémoires". Mais parfois, l'adaptation est annoncée trop tôt.
Ce fut le cas avec France Télévision, qui avait annoncé une fiction sur l'attentat du Bataclan (2015), qui fut mise en pause pour sujet jugé trop sensible. Le producteur s'est depuis engagé à rencontrer les associations de victimes avant de poursuivre son projet. Une décision que commente Laëthier : "Les attentats du Bataclan c'est une catastrophe nationale pour nous. Ce n'est pas un événement glorieux pour nous, les victimes ont été exécutées par une bande organisée, un événement extrêmement traumatisant. (...) Cela ne peut pas être traité à chaud. Il faut prendre la mesure [de ce drame]. Lorsque j'étais enfant, j'ai visité le musée de la Résistance et de la déportation (...) et le mot "juif" n'était pas prononcé une seule fois durant l'exposition. Il a fallu les années 60 et 70 pour qu'on en entende parler, il y a des choses qui ne sont pas discibles à un moment donné".
La difficulté vient du temps nécessaire pour que les proches des victimes, les survivants aux événements acceptent de revivre ces tragédies sur un écran de cinéma ou dans leur salon. Or, il est difficile de quantifier la douleur de chacun. Pascal Laëthier reporte la responsabilité de trancher cette difficulté sur les instances gérant ces projets : "[Les cinéastes] qui manipulent ces événements-là doivent se demander si c'est nécessaire ou pas. Cela ne veut pas dire qu'il faut interdire, mais il faut veiller que ce que l'on veut faire ne vienne pas répéter les traumatismes. Il y a un équilibre à trouver entre le besoin de transgression nécessaire -quand Ophüls fait Le chagrin et la pitié il ne demande à personne, il le fait parce qu'il fallait le faire- et la possibilité de réaliser".
L'histoire du cinéma a eu ses films réalisés trop tôt, et qui furent mal reçus à l'époque : "Ça a été le cas avec Lacombe Lucien (1974), qui présente une ordure [de 1944] comme quelqu'un d'exemplaire, se souvient Pascal Laëthier. "Et le film ne passe plus [à ce moment], parce que l'époque a changé et que ça n'est pas acceptable. Louis Malle a dû attendre et sortir, comme un coton, Au revoir les enfants, qui est venu réparer l'affront fait par Lacombe Lucien".
Parfois deux ans suffisent, parfois non. Il n'y a pas de règle, ce sont souvent les associations de victimes qui feront savoir si le moment est juste pour adapter un événement tragique au cinéma ou à la télévision.
Laissons le mot de la fin à Isabelle Moogalian, passagère du Thalys ayant vu son mari blessé par une balle du terroriste, actrice du 15h17 pour Paris, qui a déclaré à notre micro : "Je pense [qu'un événement comme celui du Thalys] change la vie de façon très positive aussi. On célèbre aussi la vie quand on a vécu quelque chose comme ça, car on a survécu. Il peut y avoir des moments où on se sent vulnérables, où on a des réactions émotionnelles différentes, mais tout ça est gérable. Mais on se dit surtout "je suis en vie, c'est génial" et on est beaucoup plus joyeux, quelque part".
5 choses que vous ne saviez peut-être pas sur Clint Eastwood :