Jasmine Trinca, 36 ans, fait ses premiers pas au cinéma en 2001 dans le primé La Chambre du fils de Nanni Moretti. Deux ans plus tard, elle incarne Giorgia dans le film de Marco Tullio Giordana, Nos meilleures années. En 2006 elle est à l’affiche de la comédie romantique Leçons d'amour à l'Italienne et de Romanzo criminale de Michele Placido. L’année suivante elle retrouve Nanni Moretti pour Le Caïman.
La jeune femme a tourné en France dans Ultimatum d'Alain Tasma, L'Apollonide et Saint Laurent de Bertand Bonello et Une Autre vie d'Emmanuel Mouret où elle s'immisce dans le couple formé par JoeyStarr et Virginie Ledoyen. En 2015, elle traverse l'Atlantique pour la première fois avec le thriller américain Gunman, où elle incarne la petite amie de Sean Penn. Jasmine est en ce moment à l'affiche de Fortunata dans lequel elle joue une mère célibataire exubérante et tourmentée. Nous l'avons rencontré à Paris, l'actrice nous recevant avec enthousiasme, en français, et un accent italien très craquant.
AlloCiné : En vous rencontrant, on ressent une forte différence entre votre personnalité et celle de Fortunata...
Jasmine Trinca : Oui, Fortunata est une fille complètement ouverte contrairement à moi qui suis très pudique.
Vous tirez une force de cette pudeur, de cette timidité naturelle, dans votre métier ?
Parfois oui car il y a cette notion de ne pas avoir un contrôle total sur soi. La perte du contrôle au cinéma est quelque chose qui peut apporter des "accidents" intéressants. Je ressens parfois une panique avant de tourner et ça aide pour laisser sortir les émotions, et elles paraissent plus fortes, plus vraies.
Je ne suis pas une actrice avec une formation Actors Studio ni avec une formation classique.
Comment travaillez-vous avec le réalisateur sur le plateau ?
Je ne suis pas une actrice avec une formation Actors Studio ni avec une formation classique. J'ai donc tout appris de manière expérimentale en travaillant étroitement avec les metteurs en scène. Ce qui est aussi important, c'est de travailler également avec mes partenaires sur le plateau, pas seulement le réalisateur. Sur Fortunata j'ai eu de la chance car Sergio Castellitto est un très bon acteur en plus d'être cinéaste. Il sait diriger les comédiens. Il me dit tout le temps de ne pas avoir peur du ridicule, c'est fondamental dans notre métier.
Le rôle de Fortunata est aussi très marqué par son look extravagant, cet aspect du personnage vient de vous ?
En effet, il fallait que je casse mon image, que je ne me reconnaisse plus et que je me fonde dans le personnage. Son look était important autant que sa démarche ; c'est une femme qui marche beaucoup, en déséquilibre sur des talons hauts. Il y a donc cette idée de ne pas voir d'équilibre dans la vie. C'est d'ailleurs l'histoire du film et de ces gens de la banlieue de Rome. Mais au-delà de cette ville, cet endroit est universel et parle de gens qui marchent à côté de leur vie.
Vous parlez de la banlieue romaine, en ce sens, le film fait écho à Mamma Roma de Pasolini...
Mamma Roma est un film fondamental pour le réalisateur Sergio Castellitto. On ne peut toutefois pas se comparer à Pasolini. Mais nous sommes tous influencés par ce qu'on a vu, ce qu'on a lu, ce qu'on a aimé et Mamma Roma constitue une influence pour Fortunata mais ne veut en aucun cas en faire une imitation. Le cinéma de Pasolini a fortement marqué notre imaginaire et il continuera d'être une influence majeure.
J'ai l'impression qu'il y a un retour à une espèce de néo-réalisme dans le cinéma italien ces derniers temps avec des chroniques sociales fortes comme Coeurs purs, Fiore, A Ciambra ou même Jeeg Robot...
C'est vrai, il y a une sorte de retour à un cinéma du réel. Mais ce n'est pas forcément systématique car nous avons aussi des auteurs comme Paolo Sorrentino ou Matteo Garrone qui sont de vrais visionnaires. Castellitto a voulu raconter une histoire forte mais je ne trouve pas qu'elle s'inscrive dans un certain néo-réalisme, cela va au-delà de ça. Pour moi, Fortunata est un conte très simple et coloré.
Je trouve que ce n'est pas l'idéal de s'inspirer de sa propre vie ou sa propre expérience pour camper un personnage.
Vous êtes-vous servie de votre expérience personnelle pour incarner cette mère de famille qui a une relation très forte avec sa fille ?
Je trouve que ce n'est pas l'idéal de s'inspirer de sa propre vie ou sa propre expérience pour camper un personnage. Je trouve un peu "pornographique" cette façon de prendre de soi-même pour le mettre dans un personnage. Malgré tout, le fait d'avoir une petite fille est là. Cela influence peut-être un peu, de même que mon histoire personnelle car j'ai vécu des choses similaires quand j'étais petite. Je connais la fatigue engendrée par le fait d'élever seule un enfant et se débrouiller dans la vie. Après, le scénario était très écrit et cette histoire est unique.
Comment avez-vous travaillé avec l'actrice qui joue votre fille, Nicole Centanni ?
Cette petite est incroyable, elle est très professionnelle. Elle a vraiment envie de devenir actrice et possède une grande force. Elle arrive à avoir un contrôle d'elle-même, de ses émotions et de sa propre énergie. Les enfants sont souvent très fatigués à cause du tournage et c'est souvent difficile de les diriger en les gardant concentrés. Nicole c'est différent, elle a une énergie incroyable.
Comment préserver l'enfant-acteur d'un récit très dur ?
Il faut se concentrer sur le jeu, sur le fait de jouer ! Nicole avait très compris le fait qu'elle était dans un jeu et elle adore ça. C'était même plutôt le contraire, c'était elle qui me rassurait pendant les scènes difficiles. On garde tous quelque chose d'enfantin en nous et les enfants ont cette innocence du jeu qui fait qu'ils jouent souvent à merveille.
Vous avez aussi des scènes très brutales, par exemple avec le comédien qui joue votre ex-mari, Edoardo Pesce, comment abordez-vous ces séquences ?
On construit d'abord la scène sur le plateau avec le réalisateur. Il faut ensuite se lâcher complètement. C'est aussi une sorte de chorégraphie à jouer. C'est quand même dur, surtout qu'on doit tourner ces séquences plusieurs fois. Le fait de recevoir une forme de violence n'est pas seulement dur pour moi, c'est aussi difficile pour l'acteur, Edoardo Pesce. Il se sentait très mal à la fin de chaque prise. Il faut vraiment se libérer pour parvenir à tourner ces scènes difficiles, pas seulement oublier la caméra mais aller plus loin encore.
J'ai beaucoup aimé la tendre relation que votre personnage entretient avec ceux de Stefano Accorsi et Alessandro Borghi. Ce dernier, connu pour Suburra le film et la série, est incroyable...
Je connaissais déjà ces deux acteurs et il y avait une très bonne dynamique sur le plateau avec eux. Je ressentais une proximité particulière avec Alessandro Borghi qui incarne un personnage qui est comme mon frère dans le film. J'étais en quelque sorte amoureuse de Borghi alors que je devais tomber amoureuse d'Accorsi.
Au moment de la sortie de Miele, vous aviez déclaré : "En Italie, c’est très difficile de trouver des rôles féminins intéressants. Notre star-system est tellement masculin, macho même, que les femmes sont obligatoirement hystériques là-bas." Les choses ont changé depuis ?
Rien n'a changé, c'est toujours comme ça. En Italie on a vrai souci culturel avec ça et les histoires récentes d'abus sexuels qui sortent dans la presse ne changent pas vraiment la donne. L'Italie est un pays très "macho". Cette culture machiste est présente partout, pas seulement au cinéma. Cependant, j'ai eu la chance de rencontrer des réalisateurs comme Giorgio Diritti, Valeria Golino ou Sergio Castellitto qui construisent des personnages féminins qui racontent quelque chose et qui ne sont pas seulement faire-valoir des hommes. Les personnages sont trop souvent stéréotypés : la femme, la fille ou la mère, qui est évidemment très célébrée en Italie.
C'est un moment très important que nous vivons car les femmes ont trouvé le courage de s'exprimer et j'espère que le système va accepter ce changement.
Que pensez-vous de l'actualité récente liée aux affaires de harcèlement ?
C'est une bonne chose que la parole se libère. Ça ne m'étonne pas car le harcèlement est présent partout, à tous les niveaux. Cela m'est déjà arrivé ainsi qu'à toutes les femmes. C'est un moment très important que nous vivons car les femmes ont trouvé le courage de s'exprimer et j'espère vraiment que le système va accepter ce changement. Je pense qu'on ne trouvera pas de vrais coupables à la fin mais l'idée de faire basculer le système est important. Toutefois, les femmes ne sont pas forcément solidaires entre elles dans ces moments-là et c'est grave.
En France, on a beaucoup de réalisatrices, ce qui n'est pas vraiment le cas en Italie...
Vous avez beaucoup de réalisatrices et même de très jeunes réalisatrices ! On en a quelques-unes comme Alice Rohrwacher, Valeria Golino ou Laura Bispuri. Encore une fois, c'est un souci culturel. Concernant la France, je ne sais pas, car j'ai un regard extérieur, mais j'ai l'impression qu'il y a une vraie attention et un vrai respect envers les réalisatrices. J'aime beaucoup Céline Sciamma ou Mia Hansen-Love par exemple. J'aimerais beaucoup tourner avec elles. Je souhaiterais que la mode des années 60 revienne, l'époque où il y avait une grande collaboration franco-italienne au cinéma. C'était beau et cela était enrichissant. Le tournage de L'Apollonide par exemple était un moment magique car on était 12 actrices très différentes et on s'adorait, notamment avec Céline Sallette et Adèle Haenel.
Je ne suis pas faite pour Hollywood.
Que retenez-vous de votre expérience hollywoodienne dans Gunman ?
C'était une grosse machine, un projet de grande ampleur. Mais le travail en soi ne changeait pas vraiment. Il y avait de grands acteurs impliqués mais je n'ai pas eu peur de la performance ou de ne pas être au niveau. Ce qui est plus dérangeant, c'est la lourde machinerie qui est derrière. Mais l'expérience était géniale et j'ai adoré tourner des scènes d'action, je me suis beaucoup amusée. Mais je ne suis pas faite pour Hollywood, il faut vraiment avoir une détermination sans limites pour exister et résister dans ce monde.