AlloCiné : Eric Barbier, le réalisateur de La Promesse de l'aube, parle de couple fusionnel en évoquant la relation entre Romain Gary et sa mère Nina Kacew. Comment avez-vous travaillé ensemble pour retranscrire le plus fidèlement cet attachement spécial ?
Charlotte Gainsbourg : J'ai construit le personnage avec Nemo Schiffman et Pawel Puchalski, qui jouent Romain ado et enfant, puis avec Pierre Niney. J'ai d'abord eu le petit Romain (Pawel), j'ai travaillé avec lui sur toute la partie Wilno, avec le polonais. Tout ça était bien plus qu'une entrée en matière car le gros du personnage se créait là car c'est la Nina Kacew jeune avec toutes les difficultés de l'époque.
Après, j'ai eu à la faire vieillir avec Nemo qui joue Romain ado et enfin Pierre Niney. Quand il est arrivé, ça m'a fait drôle d'avoir un adulte alors que j'étais habituée à des petits. Les rapports changent, on n'est pas aussi tactile qu'avec un petit par exemple. La pudeur, la timidité du départ, ce n'était pas non plus quelque chose de très handicapant. Mais il a fallu que je me l'approprie comme mon fils. On n'a pas travaillé consciemment à un rapport fusionnel en tout cas.
Ce lien était complètement démesuré, extraordinaire, fou, toxique, monstrueux et en même temps magnifique, magique et inspirant.
Pierre Niney : C'était effectivement le défi du film, raconter ce lien particulier, c'était ce qu'on voulait mettre en avant. Ce lien était complètement démesuré, extraordinaire, fou, toxique, monstrueux et en même temps magnifique, magique et inspirant. Le défi était donc énorme. Il y avait une première partie avec un enfant et ce qui était particulier, c'était que je prenais le relai de ça. Il fallait donc travailler avec Charlotte sur le fait de bien reprendre ce relai.
Il y avait des rendez-vous très forts entre mon personnage et celui de Charlotte, on n'avait pas beaucoup de scènes mais celles-ci étaient importantes car Romain Gary ne revenait que ponctuellement pour voir sa mère. On a fait beaucoup de lectures avant et le reste s'est fait pas mal à l'instinct entre nous deux et c'était bien que ça se fasse comme ça.
Charlotte, vous avez dû beaucoup passer par le corps pour interpréter cette femme très terrienne, vous avez même porté des prothèses etc...
Charlotte : J'espère que ça s'est fait subtilement. Autant avec l'accent qu'avec la silhouette, le vieillissement etc. on ne sait pas si on va trop loin, si ce sera quand même crédible. C'était à Eric Barbier, le metteur en scène, de juger. C'était surtout pour l'accent en fait, un coup j'en avais pas assez, un coup un peu trop, c'était lui qui arrivait à bien juger. Sinon les prothèses du corps se sont imposées tout de suite.
Aux essais costumes j'ai enfilé une robe et on a tout de suite vu que le personnage n'était pas là du tout. Il paraissait évident qu'il fallait une autre stature. Ça ne change pas grand-chose en soi d'avoir un peu plus de fesses, d'avoir des seins etc mais cétait utile parce que c'est comme si j'enfilais le costume et le masque de Nina.
Je ne pouvais pas imaginer ce personnage-là, parlant polonais, débarquant à 50 ans à Nice sans accent.
D'ailleurs c'est vous qui avez beaucoup insisté auprès d'Eric Barbier pour garder l'accent de Nina…
Charlotte : Il avait peur du côté sans doute caricatural. Il pensait que ça ne serait pas crédible, surtout par rapport aux spectateurs français. Il pensait qu'ils n'accepteraient pas l'accent. Je ne pouvais pas imaginer ce personnage-là, parlant polonais, débarquant à 50 ans à Nice sans accent. Il a fallu, non pas lui imposer, mais subtilement lui imposer (rires).
Il a finalement été convaincu, je n'ai pas eu besoin d'insister lourdement. J'ai travaillé de mon côté pour être prête et ensuite je lui ai montré quand on a commencé les scènes. Et il a rien dit.
Vous avez donc appris le polonais spécialement pour le film ?
Charlotte : Je ne sais pas parler un mot de polonais aujourd'hui, j'ai tout oublié, J'ai eu la chance d'avoir 2 professeurs. Un premier qui a commencé à me mettre dans le bain du polonais car c'est une langue très particulière et ensuite, une jeune actrice, Isabella, qui m'a tout enregistré, toutes les scènes avec mon personnage. Et je me suis rabâché ça pendant 5 mois.
Ensuite elle est venue sur le tournage pour me conditionner comme un cheval de course à me faire faire des exercices. Elle ne m'a pas laché, elle y est pour beaucoup.
Pierre, avez-vous rencontré les deux acteurs qui jouent Romain ado et enfant, Nemo Schiffman et Pawel Puchalski ?
Pierre : Je regardais surtout les rushes depuis Paris. L'équipe tournait à Budapest l'enfance de Romain Gary. J'allais en salle de montage pour voir ce que faisait Pawel, qui est un acteur extraordinaire. Du coup, j'avais la pression et en même temps je voulais m'inspirer de lui pour retrouver des choses dans le regard, la façon de bouger, pour assurer au mieux le relai.
Le récit est très dur, très dramatique et pourtant, il y a beaucoup de petits moments d'humour qui allègent le tout comme la scène où Nina surprend Romain au lit avec la bonne où quand Romain veut tirer au pistolet sur un moustique, c'était important pour vous aussi ces respirations, cette légèreté au sein du drame ?
Pierre : C'est ce que Romain Gary fait toujours, c'est ce qui est génial dans son écriture et c'est ce qu'on a essayé de faire dans le film. Il fallait lier ce qui était dramatique et avoir aussi un recul sur la situation. La voix-off a aidé en ce sens avec les écrits de Gary. Il était conscient de l'aspect absurde de certaines choses. Quand sa mère lui dit « prends ce revolver, va en Allemagne tuer Hitler et tu reviens », elle est très premier degré. Le fait qu'il ne remette pas ça en cause et soit prêt à le faire est très drôle. Il y a plein de scènes comme ça dans le film, comme celle du moustique ou celle avec Didier Bourdon, qui est vraiment tragicomique.
Gary disait que l'humour était une déclaration de dignité, une affirmation de la suprématie de l'homme sur tout ce qui lui arrive.
Il y a vraiment beaucoup de touches d'humour chez Romain Gary. Il disait que l'humour était une déclaration de dignité, une affirmation de la suprématie de l'homme sur tout ce qui lui arrive et je trouve ça génial. Il fallait qu'il y ait de l'humour dans ce film, c'était important. On adorait ces grains de folie qu'il pouvait avoir, qu'il a hérité évidemment de sa mère. Ce grain de folie fait que ce mec est un peu en dehors du réel, il y a du burlesque chez Gary.
Eric Barbier a déclaré que c'était vous qui avez eu l'idée d'inclure la fameuse phrase « Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, un promesse qu'elle ne tient jamais » plutôt à la fin du film. Pourquoi ? Pour en renforcer la mélancolie ?
Pierre : J'aime bien être investi dans les projets que je choisis, je n'aime pas juste venir le jour J sur le plateau. C'est vrai que cette phrase-là est magnifique, c'est la phrase phare du roman, du coup j'invite les gens à la découvrir à la fin du film, s'ils ne la connaissent pas déjà, c'est une super découverte. On y trouve toute l'intelligence de Gary. Il a eu une vie extraordinaire, dingue, démesurée, c'est vraiment un personnage de cinéma. Et en même temps, il arrive à écrire quelque chose de totalement vrai sur lui et sa vie.
Cela fait aussi un écho sublime à la vie qu'on a tous. C'est digne d'un très grand écrivain. Cette phrase est à peu près au milieu du roman et j'ai suggéré à Eric de la placer plutôt à la fin sachant la position dans laquelle Gary est durant le dénouement. J'aime participer à l'élaboration artistique d'un film et j'ai eu la chance de tomber sur Eric Barbier qui était super ouvert aux discussions.
Vous étiez particulièrement fan de Romain Gary avant de l'incarner à l'écran ?
Pierre : C'est ce que dit Eric Barbier mais je ne sais pas pourquoi il s'est mis ça en tête. Je connaissais bien La Promesse de l'aube car je l'avais lu une ou deux fois. J'ai eu un énorme coup de coeur sur ce livre dès le lycée. Mais j'ai vraiment découvert Gary en préparant le film.
Ce que j'aime, c'est partir du scénario, car il y a les choix du réalisateur dedans. Donc je ne veux pas avoir de regrets sur telle ou telle scène manquante par rapport au livre. Je veux rester dans ce que le metteur en scène veut raconter. Eric Barbier a fait un travail extraordinaire d'adaptation, Il y a 800 situations dans le livre et on ne peut en garder à peu près qu'une centaine dans un film. Il a choisi de garder la force de ce lien mère-fils où tout le monde peut se reconnaître.
On a tous des gens qui nous ont accompagnés de manière forte durant notre vie et le film est un hommage à ça.
On pense tous à notre mère quand on voit le film ; ce qui m'a fait extrêmement plaisir, quand on a fait les avants-premières, c'est les gens qui sortent et qui sont allés appeler leurs mères tout de suite, qui avaient des choses à leur dire, qui ont envoyés pendant le film un message à leurs mères. Ce lien-là est universel. On a tous des gens qui nous ont accompagnés de manière forte durant notre vie et le film est un hommage à ça.
Les Fun Facts de Charlotte Gainsbourg