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    Marvin ou la belle éducation : Anne Fontaine raconte s’être aussi "sentie différente tout de suite à l’école"

    Quinzième long métrage d’Anne Fontaine, "Marvin ou la belle éducation" retrace le parcours d’un jeune homme qui tente d’échapper à son milieu social. Entretien avec une cinéaste qui s’identifie à son personnage.

    PATRICK BERNARD / BESTIMAGE

    AlloCiné : Au départ, on pensait que le livre d’Edouard Louis "En finir avec Eddy Bellegueule" serait adapté par André Téchiné. C’est finalement vous qui le portez à l’écran avec un héros qui s’appelle Marvin. Pourquoi ?

    Anne Fontaine : Parce que c’est différent du livre. Soixante-dix pour cent du film ne se trouve pas dans le livre, c’est surtout ça qui est intéressant dans l’idée. Un jour, Edouard Louis et son producteur Pierre-Alexandre Schwab sont venus me rencontrer pour me faire lire ce livre et évoquer l’idée d’une adaptation. Je savais que Téchiné avait été au départ sur le projet et qu’il n’avait finalement pas donné suite. Pourquoi ? Je n’en sais rien et je n’ai pas vraiment cherché à savoir. Très vite, j’ai lu le livre. Comme tous les lecteurs, j’ai été impressionnée par la force de cette enfance si difficile dans le nord de la France. C’est un récit coup-de-poing, qui parle de la vie réelle de l’auteur. Mais presque tout de suite je me suis dit que je ne voulais pas adapter le livre tel quel. Où aurait été le défi? Je trouvais le livre tout à fait réussi dans son rapport à la jeunesse du personnage. Mais ce qui m’intéressait, c’était la partie en creux et vide : comme, ensuite, l’auteur était parvenu à inventer sa vie, à desserrer l’étau, à faire de sa différence une force.

    J’avais envie de leur offrir une trajectoire, un itinéraire, un film allégorique et tonique sur la construction d’une identité.

    C’est donc toute cette partie qui, dans votre film, se déroule à Paris, une fois que Marvin a quitté sa famille.

    Oui. Elle est inspirée par ses origines mais réinventée dans mon film, dont elle compose près des trois quarts. Je me suis dit qu’Edouard Louis ne serait probablement pas d’accord et qu’il fallait se dissocier du livre. Pour moi ce n’était pas un problème. Je lui en ai quand même parlé, de créer une trajectoire après son enfance, sans savoir que j’allais tant m’éloigner du texte. Mais ce qui était intéressant pour le cinéma, c’était de voir comment le héros s’était construit. Dans un livre, vous savez que l’auteur est un écrivain qui s’en est sorti et qui y raconte sa vie. Un film, lui, s’adresse à des spectateurs. J’avais envie de leur offrir une trajectoire, un itinéraire, un film allégorique et tonique sur la construction d’une identité. Je voulais montrer combien, finalement, la souffrance initiale pouvait se convertir en œuvre artistique. J’ai choisi de faire de mon personnage principal un comédien parce que le métier me paraissait plus cinématographique qu’écrivain. De là est sorti un scénario proche du film final, et Edouard Louis a reconnu lui-même qu’il s’agissait là d’une adaptation éloignée et libre de son livre, qui n’en était que le point de départ. Il nous a tout de même cédé les droits, mais a préféré ne pas être cité comme auteur du livre qui avait inspiré le film.

    L’histoire d’Edouard Louis, comme celle de Coco avant Chanel, vous ressemble beaucoup, n’est-ce pas ?

    Vous avez raison et c’est pourquoi je me suis emparée du destin de Marvin et que j’ai introduit des éléments si personnels dans la trajectoire, comme cette façon de se construire, autodidacte. C’est aussi pourquoi le film s’appelle La Belle Education. Une éducation que permettent des regards bienveillants posés sur soi, qui vous font croire en vous-même et découvrir ce qui en vous restait inexploré. Je dirais que Marvin est un de mes films les plus personnels. Moi aussi, je me suis sentie différente, tout de suite, à l’école. J’avais un prénom très particulier : je ne m’appelle pas Marvin, mais mon vrai prénom est Fontaine ! J’étais constamment remise en question. On me disait que Fontaine, ça n’était pas un prénom. Et pourquoi pas Robinet ? Ça créait en moi ce sentiment de n’appartenir à aucun sexe. Je voulais être comme un petit garçon. J’ai moi-aussi ressenti cette différence, comme tant de gens. Ça fait partie de la singularité humaine, et pour élargir le sujet, le rendre plus universel dans mon film, il ne devait pas se limiter à l’homosexualité, qui reste un thème très important.

    Carole Bethuel

    Vous aussi, vous êtes partie de chez vous…

    Je me suis retrouvée à quinze ans dans une ville que je ne connaissais pas : Paris. Petit à petit, le théâtre est venu vers moi. Robert Hossein m’a découverte alors que je ne m’apprêtais pas du tout à être actrice. Il m’a fait changer de changer de nom. J’ai besoin pour faire un film d’y trouver ces repères personnels, émotionnels, comme pour Coco avant Chanel. Ils me suffisent pour m’identifier à mes personnages. C’est à travers eux que les cinéastes travaillent sur leur propre histoire. Comme, dans mon film, Marvin en futur auteur de théâtre. C’est l’histoire d’un Pygmalion. Moi aussi, ça m’est arrivé dans un milieu d’artistes homosexuels qui ont cru en moi et m’ont donné ma légitimité.

    Pire que peu propice, on suit un enfant qui se sort d’un milieu social particulièrement défavorisé !

    C’était passionnant de filmer des personnes venant d’un milieu culturel si défavorisé, si intellectuellement pauvre, en leur donnant une chance de se déplacer. Je parle, bien sûr, des parents du personnage central, et du père en particulier. Ce n’était pas le cas dans le livre. Je voulais faire évoluer ce père pour que le retour du fils soit aussi important que son départ. J’ai toujours été intéressée par ces personnages qui arrivent à se défaire de leurs origines sociales. Telle Chanel, qui était une autodidacte. Comme Marvin, elle a été sauvée par sa singularité. C’était une femme dont le physique différait des canons de l’époque : elle était androgyne, ce qui n’existait pas alors. Et comme elle était mal vue, elle a créé sa façon d’être différente. La force de Marvin, c’est d’arriver à regarder ses parents comme une pièce de théâtre. Il mémorise leurs phrases. C’est déjà un premier acte salvateur, pour lui. Il observe et il retient. Le film joue sur deux temporalités, le présent-passé et le présent-présent. Ce ne sont pas exactement des flashbacks, c’est une alternance entre le jeune et l’adulte qui les fait avancer en même temps. En cela aussi, le film est loin du livre.

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    Coco avant Chanel et Marvin et la Belle Education sont vos deux biopics. Il me semble que vous travaillez à troisième film du genre, sur Maurice Ravel.

    Je vous en parlerai avec plaisir quand le projet sera lancé. Ça va s’appeler Boléro. La seule chose que je peux vous dire, c’est que ce sera un film ravelien sur Ravel, dont la structure sera construite sur les neuf mesures du Boléro.

    Quel sera l’objet de votre prochain film ?

    Il s’appelle Blanche-Neige, il s'agit d’une comédie assez érotique qui joue de manière contemporaine avec Blanche-Neige et sept hommes (qui ne sont pas des nains). C’est un film qui joue avec l’idée du conte : une jeune femme, une marâtre (une belle-mère), qui seront Lou de Laâge et Isabelle Huppert, et sept hommes différents.

    Chez les hommes, quels seront les comédiens ?

    Vous avez déjà vu certains d’entre eux dans mes films : Vincent Macaigne, Charles Berling, Pablo PaulyRichard Fréchette en prêtre canadien, Benoît Magimel, Jonathan Cohen… Le tournage est prévu en avril-mai.

    Vous aimez ces personnages de jeunes femmes qui font tourner la tête aux hommes : Emmanuelle Béart dans Nathalie…Louise Bourgoin dans La Fille de MonacoGemma Arterton dans Gemma Bovery

    J’aime bien les femmes qui ont du caractère et qui traversent la vie avec volupté. Là, il s’agit de quelqu’un qui va découvrir la sensualité et des rapports différents avec des hommes qu’elle va aussi révéler. Ce sont des portraits d’hommes assez amusants, je crois, et un hommage à la liberté d’une jeune femme qui ne choisit pas mais qui s'engage dans des relations de manière assez solaire. J’aime ces personnages féminins qui n’ont pas peur.

    Carole Bethuel

    On va sans doute retrouver les grandes ambiguïtés sexuelles qui rythment votre oeuvre, de Nettoyage à Sec à Marvin en passant par Perfect Mothers.

    Tout le monde en a, des ambiguïtés ! Vous dites : "Les grandes", mais non. La sexualité est par définition une émotion, ce qui n’est jamais stable ni statique. C’est une quête. On peut se retrouver dans de drôles de situations. La sexualité ne se dissocie pas des émotions d’une personne. Ce qui est intéressant, au cinéma comme dans la vie, c’est avoir des sentiments qui vous mènent dans des parties inconnues, inédites de vous-même. C’est pour cette raison que je ne peux pas penser que quelqu’un est bloqué dans sa sexualité toute sa vie. Qu’on soit hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, asexuel… J’ai même connu des religieux, normalement sans sexualité, qui en parlent pourtant d’une manière très forte ! C’est donc bien que ça fait partie de l’eros de la vie. C’est passionnant, c’est mystérieux, ce n’est pas mécanique.

    Ce que j’aime, c’est la quête du nouveau pour moi, de ce que je n’ai jamais fait.

    Cette année, vous fêtez vos vingt-cinq ans de carrière en tant que cinéaste !

    Quelle horreur ! (Rires)

    Vous avez tout de même commencé cette carrière avec le Prix Jean Vigo pour Les Histoires d’amour finissent mal… en général. Qu’est-ce que ça signifie pour vous, aujourd’hui ?

    Je ne me sens pas très loin de la jeune cinéaste que j’étais à l’époque. Quand on me dit que j’ai fait quinze films, j’ai l’impression qu’on me parle de quelqu’un d’autre. J’ai un tempérament très juvénile, avec un sentiment de fragilité. C’est lui qui me donne envie de faire des films. L’expérience ne m’apprend pas grand-chose. J’aime me mettre dans une grande variété de situations. Aujourd’hui, j’ai démontré que je pouvais faire des films dans des milieux très différents. Marvin, Les Innocentes, Perfect Mothers… Ce que j’aime, c’est la quête du nouveau pour moi, de ce que je n’ai jamais fait. Au début, je ne savais même pas comment une caméra allait bouger. J’aime l’idée de donner vie à des choses qui n’existent pas. C’est ça qui me pousse à faire des films. Se dire : "On va peut-être tirer un être vivant de ces pages mortes !".

    Avec Les Innocentes, pour la première fois, vous êtes nommée aux César de la meilleure réalisatrice et du meilleur film. Ça fait date ?

    Non. Je m’en fous. Ça n’a aucune importance. Ça dure le temps d’une soirée et vous n’y repensez jamais. C’est un plaisir qui ne dure pas beaucoup. Vous êtes à la conquête d’un sujet, d’un film… Ce qui m’a plu, c’est que le film ait dépassé les 700 000 entrées en France. C’est incroyable parce que personne ne pouvait le prévoir. Un sujet difficile – bien que bouleversant – avec des actrices polonaises… Par contre, le Prix Jean Vigo dont nous parlions tout à l’heure, ça m’a touchée ! Arriver à gagner un prix à l’unanimité, remis par Agnès Varda, pour mon premier film, alors que je ne savais même pas me servir d’une caméra, ça m’a impressionnée. Les César, c’est un cirque. Je préfère regarder ça comme une pièce de théâtre.

    Au début de votre carrière, vous faisiez aussi des films avec votre frère, Jean-Chrétien Sibertin-Blanc. Il a joué le rôle d’Augustin dans une trilogie. Pourquoi avoir arrêté ?

    Je vais en refaire un autre, avec mon frère. Je suis prise dans des films dont la structure est différente, mais je vais alterner. J’ai une idée. Ça me plaît de faire des films à la marge. Ça me correspond et puis mon frère est un personnage inspirant. Ce sera un Augustin devenu un moine… spécial.

    Découvrez la bande annonce de Marvin ou la belle éducation d'Anne Fontaine

     

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