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    Roman Polanski revient sur son cinéma : "Je vois toujours du fantastique dans ma vie quotidienne"

    Après "Carnage" et "La Vénus à la fourrure", Roman Polanski revient avec "D’après une histoire vraie", adapté par Olivier Assayas du Prix Renaudot 2015 de Delphine de Vigan. Mais à quoi reconnaît-on un film de Polanski ?

    Mars Films

    En préambule à cet entretien, il a été proposé à Roman Polanski de s’exprimer sur l’affaire Weinstein. Le réalisateur a refusé en précisant : "Tout commentaire de ma part serait mal interprété".

    AlloCiné : Depuis Répulsion en 1965, ceux de vos films qui ne sont pas écrits par Gérard Brach sont des adaptations. Pourquoi ne pas vous essayer à l’écriture ? 

    Roman Polanski : Par paresse. A partir d’un certain moment, je n’ai plus eu envie de m’asseoir et de souffrir parce que, pour moi, l’écriture d’un scénario, c’est de la souffrance. Contrairement à mon travail sur le plateau où je suis heureux et je me sens très à mon aise. Je ne suis pas écrivain, je me suis toujours forcé à écrire. Même pour mes premiers films, à l’école de cinéma et mon premier long métrage, Le Couteau dans l’eau, etc. C’était plus facile quand je travaillais avec Gérard parce qu’on se renvoyait la balle. C’était moins pénible. Je me souviens de mon travail avec un autre scénariste, Robert Towne, sur Chinatown. On s’était enfermés dans ma maison en Californie, il faisait une chaleur épouvantable. C’était l’année la plus chaude depuis un siècle. On était restés huit semaines là-dedans. Et quand il a fallu commencer à tourner, le scénario n’était pas encore fini. Au bout d’un moment, j’ai fini par me dire : "Il y a tant de beaux livres qui peuvent être adaptés au cinéma." Pas tous ! En général, je pense que les plus grands chefs d’œuvre de la littérature ne devraient pas être adaptés. Rares sont ceux qui donnent de bons films.

    L’insularité, c’est quelque chose qu’on retrouve souvent dans vos films. Il faut que les personnages se retrouvent entre eux, dans un espace confiné. C’est plus facile de raconter une histoire ainsi ?

    R.P. : Ce n’est pas plus facile, c’est que j’aime ça. J’aime ce genre de cinéma où les gens sont plus ou moins forcés d’être près les uns des autres physiquement. Honni soit qui mal y pense. [Rires]

    Depuis que je suis tout petit, je mélange souvent la réalité et le fantastique.

    Le fantastique trouve toujours sa place quelque part, dans vos films, même quand ils relèvent d’un autre genre. Dans The Ghost Writer, le héros est peut-être littéralement un "ghost". Pourquoi y revenez-vous toujours ?

    R.P. : Je crois que c’est un dysfonctionnement intérieur. Depuis que je suis tout petit, je mélange souvent la réalité et le fantastique. Le faisable et l’infaisable. Ça m’a souvent aidé à entreprendre des choses que d'autres pensaient impossibles à maitriser. Moi, j’avais toujours l’espoir d’y arriver. C’est sans doute un peu de ça qui reste : je vois toujours du fantastique dans ma vie quotidienne.

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    Vos plus belles idées de mise en scène naissent souvent de cette obsession fantastique, comme lorsque vous faussez l’échelle de vos décors dans Répulsion ou dans Le Locataire. Comment l’idée de ces astuces vous vient-elle ?

    R.P. : Dans Le Locataire, c’était un décor en fausse perspective. Dans Répulsion, les pièces changent de dimension, mais c’était beaucoup plus simple et primaire. C’était comme si les murs du décor étaient en papier amovible. On pouvait agrandir ou rétrécir les pièces très simplement. Au début du film, les pièces étaient en grandeur réelle. Au fur et à mesure du film, selon la scène, on repoussait les murs. C’était archi-simple. Dans Le Locataire, j’avais les moyens d’essayer quelque chose de différent. C’était le décor, cette chambre de bonne, que nous avions reconstruit en fausse perspective. Tout devenait plus grand, de la porte à la fenêtre. Plus le héros avançait dans la pièce, plus il devenait petit.

    Vous avez aussi parfois joué dans vos propres films : Le Bal des Vampires, Chinatown et Le Locataire. Et puis vous semblez y avoir renoncé. Pourquoi ?

    R.P. : Parce que ça demande un effort supplémentaire. Cela exige aussi le rôle qui convient. Ce n’est pas dans le jeu lui-même que réside l’effort. Mais il faut être maquillé, costumé, il faut apprendre le texte… Tout ça bouffe le temps qui devrait être consacré à la mise en scène.

    Vous aimez aussi mettre en scène votre épouse, Emmanuelle Seigner. C’est le cinquième film que vous tournez ensemble. Qu’est-ce qui vous passionne, dans son jeu ?

    R.P. : Ce n’est pas elle en particulier, je retrouve le même processus quel que soit l’acteur que j’emploie. Vous avez l’idée du personnage, vous cherchez un acteur qui y correspond. Vous voyez vite qu’avec certains acteurs, ça va fonctionner et pas avec d’autres. On fait des erreurs, mais rarement. Pour moi, le bon casting est plus important que la qualité d’un acteur. On cherche souvent les meilleurs acteurs possibles, c’est vrai. Mais si je tombe sur un acteur qui est peut-être moins doué qu’un autre, mais parfait pour mon personnage, c’est lui que je vais retenir.

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    D’ailleurs, vous attendez souvent que les acteurs arrivent à maturité pour les choisir. Jack Nicholson, Harrison Ford, Johnny Depp, Ewan McGregor… Vous avez attendu qu’ils confirment leur talent. Vous le faites consciemment ?

    R.P. : Pas vraiment. Parfois, je fais tourner des gens que je trouve dans la rue. Lors du premier film que j’ai réalisé avec Emmanuelle et Harrison Ford, Frantic, Emmanuelle n’avait presqu’aucune expérience. C’était juste moi qui étais persuadé qu’elle allait parfaitement coller au rôle.

    Vos films se terminent souvent sur une surprise scénaristique ou cinématographique. Peut-on dire que c’est la "signature" Polanski ?

    R.P. : Je ne pense pas vraiment à aboutir un twist. Je pense à faire un bon film, et un bon film doit avoir une belle fin, comme un bon livre. La fin de The Ghost Writer, par exemple, m’est venue pendant le tournage. Je n’étais pas content de la fin écrite dans le scénario. Déjà, au moment de l’écriture, avec Robert Harris, l’auteur du roman d’origine, on a eu beaucoup de mal. On n’arrivait pas à obtenir une fin signifiante qui serait aussi le symbole de tout le film et qui aiderait à employer le McGuffin du film, qui était le manuscrit. Environ dix jours avant la fin du tournage, cette idée m’est venue et j’ai demandé à ce qu’on change tout le décor pour me donner cette possibilité. Même avant les répétitions permettant de voir comment les feuilles aller voler, on a essayé de régler la force du ventilateur, d’être aussi prévoyants que possible, de penser à tous les paramètres. Et ça a fonctionné.

    La plupart des choses me viennent instinctivement. Mais qu’est-ce que l’instinct ? L’instinct, c’est la somme de l’expérience d’une vie.

    Vos héros ont peur de perdre leur identité et d’être vampirisés. Pourquoi cette paranoïa est-elle aussi emblématique de votre cinéma ?

    R.P. : Franchement, je n’en ai aucune idée. [Rires] Ce sont des choses qui me viennent instinctivement. Vous savez, il ne faut pas croire que chaque élément d’un film – en ce qui me concerne, en tout cas – est consciemment appliqué. La plupart des choses me viennent instinctivement. Mais qu’est-ce que l’instinct ? L’instinct, c’est la somme de l’expérience d’une vie. On n’est pas né avec l’instinct. On ne nait qu’avec les choses les plus primitives. Le reste s’accumule. Je choisis ces thèmes parce qu’ils me semblent justes, instinctivement.

    C’est tout de même frappant: votre dernier film, D’après une histoire vraie, reprend tout ce que nous venons d’évoquer. La paranoïa, l’isolement du personnage, le fantastique, l’adaptation de livre, Emmanuelle Seigner… C’est cet assemblage qui en fait incontestablement un film de Roman Polanski.

    R.P. : Oui, c’est vrai. Je n’y pensais pas. Mais maintenant que vous le dites, c’est peut-être pour cette raison qu’Emmanuelle a vu que ce roman pouvait donner un film qui m’intéresserait. C’est elle qui m’a passé le livre un jour, en me conseillant de le lire.

    Comme pour Eva Green, ce film est un de vos premiers films en langue française (le deuxième pour être exact). Cette langue est une barrière ou une curiosité, pour vous ?

    R.P. : Non, je n’y pensais même pas. Je suis content de voir qu’Eva s’en est si bien sortie. C’est encore plus dur pour un acteur que pour un metteur en scène de se retrouver tout à coup dans un film où on parle une langue à laquelle on n’est pas habitué. Même si elle est française, elle a fait tant de films en langue anglaise que c’était une nouvelle expérience pour elle.

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    Depuis Le Pianiste, vous ne travaillez plus qu’avec Pawel Edelman à la photographie. Quelque chose s’est noué entre vous ?

    R.P. : Oui, on a fait Le Pianiste et on a beaucoup aimé travailler ensemble. Donc il n’y avait plus de raison de changer.

    Avant lui, vous aviez travaillé avec Darius Khondji sur La Neuvième Porte. Ça ne s’était pas aussi bien passé ?

    R.P. : Darius est un excellent chef opérateur. Mais il y a plus d’affinités entre Pawel et moi. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que nous sommes polonais tous les deux. C’est sûrement ça.

    Puisque nous évoquons Le Pianiste, il y a quinze ans c’était la consécration. Cannes, les César, les Oscars… Quel souvenir gardez-vous de tout ça ?

    R.P. : Un très grand souvenir, d’un bout à l’autre. L’écriture du scénario était beaucoup moins pénible que je ne l’aurais pensé, malgré le thème du film. La collaboration avec Ronald Harwood était fantastique. C’est quelqu’un qui écrit très bien et qui a, en plus, un grand sens de l’humour. On a pris une maison à la campagne parce que c’était les vacances et je voulais être avec ma famille. On travaillait dans une pièce tous les deux toute la journée. On riait tellement que ma famille pensait qu’on était en train d’écrire une comédie. Je ne sais pas si c’était par réaction à toute l’horreur des recherches que nous faisions en même temps. Je pense qu’il y avait un peu de ça. Et c’était aussi dans notre nature. Un vrai plaisir.

    On a tourné (...) en Pologne. Il y avait des gens qui se souvenaient bien de cette époque

    Vous avez retrouvé ce plaisir pendant le tournage?

    R.P. : Le tournage fut phénoménal grâce à la coopération des gens de Varsovie. Déjà, en Allemagne, lors des tournages en intérieurs sur lesquels je travaillais avec de jeunes Allemands, j’avais un peu peur des réactions de l’équipe. En fait, les Allemands n’ont pas de problème avec la guerre. Ce n’était pas eux, ni leurs parents. C’était leurs grands-parents. Ils ne sont pas complexés et c’était formidable de travailler avec eux. Ensuite, on a tourné tout le reste en Pologne. Il y avait des gens qui se souvenaient bien de cette époque, surtout certains vieux qui apparaissaient dans le film. Le montage fut long et difficile, mais j’ai été aidé par des gens exceptionnels et ça s’est fini par Cannes. On était si heureux d’avoir gagné le Festival. La couronne la plus exceptionnelle, parmi toutes ces récompenses, ce fut l’Oscar.

    Votre film sur l’affaire Dreyfus semble avoir du mal à se tourner. Pourquoi ?

    R.P. : L'obstacle, c’est la combinaison entre le casting et le financement. C’est un film cher et les films de cette envergure se font avec une star bankable, comme on dit vulgairement. Et les stars capables de satisfaire les financiers, je ne les vois pas dans le rôle de Picquart, qui est notre personnage principal. A part ça, il y a une cinquantaine de rôles importants. Il faudrait qu’ils parlent tous avec le même accent dans la langue anglaise, sinon ça serait épouvantable. Car, malheureusement, il faut faire le film en anglais, ce qui est un autre problème pour moi. C’est nécessaire pour que le film soit distribuable dans le monde entier. Débloquer les moyens financiers pour produire un projet pareil est impossible si on tourne en français, ce qui pose vraiment question pour ce type de sujet. Il y a plein de problèmes.

    La bande annonce du dernier film de Roman Polanski, D'Après une Histoire Vraie :

     

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