Qui n'a jamais eu l'impression, en contemplant les tableaux les plus célèbres de Vincent Van Gogh, de les voir prendre vie sur leur toile ? Qui n'a jamais vu briller les astres de la Nuit étoilée, regardé voler les oiseaux du Champ de blé aux corbeaux, entendu bavarder les clients de la Terrasse du café le soir ?
Ce petit miracle visuel, réservé jusqu'ici à notre seule imagination, peut désormais s'offrir à nos yeux dans les salles obscures, grâce à La Passion Van Gogh, Prix du public au dernier Festival d'Annecy, fruit du travail acharné de Dorota Kobiela, de Hugh Welchman et de leur équipe, premier long métrage entièrement peint à la main.
Dès les premières secondes de cette oeuvre à nulle autre pareille se sont imposées à nous une étrange impression - celle de découvrir un film d'animation réalisé par Van Gogh lui-même - et une brûlante question : comment ont-ils fait ? L'impression, nous avons pu la partager avec Pierre Niney, qui prête sa voix au personnage principal du film, et la question, la poser aux deux réalisateurs, récemment de passage à Paris...
Allociné : Comment avez-vous réussi à faire vivre les oeuvres de Van Gogh sur un écran de cinéma ?
Hugh Welchman : Ça a commencé comme pour un film d’animation normal. Nous avons écrit un script, dessiné un story-board, et nous avons tout fait par ordinateur en prévisualisation grâce à un logiciel d’animatique appelé Maya. Mais avant de nous lancer là-dedans, il nous fallait être sûrs que la technique allait fonctionner. Et le principe de cette technique était de combiner la performance d’un véritable acteur et celle d’un animateur. En 2012, nous avons nous-mêmes fait un test d’animation avec des amis. Nous avons utilisé des draps au lieu de fonds verts, et nous avons fait quelques essais de jeu. Puis nous avons engagé quelques très bons peintres qui travaillaient à l’huile et qui ont animé la scène à partir de notre performance.
Ça fonctionne de la manière suivante : le peintre a une toile devant lui, et sur un écran en-dessous apparaissent les éléments que nous avons tournés. Mon ami Adam avec lequel j’ai travaillé sur Pierre et le loup jouait le Docteur Gachet devant un drap de lit blanc. A partir de ces éléments, le peintre devait reproduire les images dans le style du tableau Le Docteur Gachet. Puis il devait suivre son mouvement plan par plan. En prises de vues réelles, vous tournez à 24 images par seconde, et nous animions à 12 images par seconde. Donc pour un plan d’une seconde où je tournais la tête, il fallait faire 12 peintures sur la même toile. Le peintre faisait la première peinture en dessinant près de mon visage, il faisait défiler l’image et dessinait la seconde, et ainsi de suite.
Dorota Kobiela : Il apportait quelques petits changements à chaque peinture. C’était comme faire de la stop-motion avec de la peinture à l’huile.
Hugh Welchman : Tout ce que vous voyez dans le film est fait à partir de peinture à l’huile sur toile, qu'il s'agisse des images en noir et blanc ou en couleur. Une fois que nous avons terminé l’animatique, nous avons commencé le tournage en prises de vues réelles avec les acteurs. Puis nous avons incorporé quelques effets visuels, quelques éléments de compositing très basiques. Parfois, nous avons eu besoin de réaliser quelques modèles en CGI, mais la plupart du temps, nous nous en sommes passés. Puis nous avons donné les rushs aux artistes, et ils ont dû les repeindre dans le style de Van Gogh. 65 000 fois.
L'un des peintres du film, à l'ouvrage au festival d'Annecy...
Il s'agit d'une première dans le monde...
Hugh Welchman : En réalité, il y a une technique d’animation très récente utilisée dans des courts métrages qui consiste à faire de la peinture à l’huile sur verre. Ils font bouger la peinture sur le verre, mais cela n’a été fait que sur des courts. Donc notre film est le premier long métrage entièrement peint à l’huile, et c’est aussi le premier à être fait sur toile. Le style de la peinture à l’huile sur verre est différente de celui de Van Gogh. Lui peignait sur des toiles, donc c’était pour nous la meilleure façon de donner vie à son oeuvre.
Dans le film, Van Gogh dit cette phrase très révélatrice : "Je ne peux parler qu’à travers mes peintures." La meilleure façon d’évoquer la vie de Van Gogh consistait-elle donc à le faire à travers ces mêmes peintures ?
Dorota Kobiela : Oui, c’est comme ça que je vois les choses et c’est de là qu’est venue l’idée du film. Cette citation vient en fait de la dernière lettre de Van Gogh, qui a été retrouvée sur lui quand il est mort. De nombreux biopics d’artistes se focalisent souvent sur leur psychologie, sur leur personnalité… Leur travail, leurs œuvres sont là quelque part, mais ne parviennent pas vraiment à être exprimées à travers l’écran, sauf dans quelques films comme Caravaggio de Derek Jarman qui est éblouissant visuellement. Pour ce qui est de Vincent Van Gogh, il vivait à travers ses toiles. Il le disait dans ses lettres : "Je n’ai absolument rien. Mais ce que je crées, c’est ce que je peux faire de mieux."
Hugh Welchman : Dans une plus longue lettre il dit : "Je n’ai pas d’enfants, et je ne pense pas que j’aie la moindre chance de me marier et d’en avoir un jour, mais d’une certaine manière, mes peintures sont ma progéniture."
Dorota Kobiela : C’est comme ça que cette citation est devenue notre mantra.
Hugh Welchman : Je ne pense pas qu’on puisse séparer Vincent Van Gogh de ses peintures. Sa vie, sa lutte pour devenir un artiste… Dans un film sur un autre artiste, peut-être qu’il aurait été inapproprié d’impliquer les toiles à ce point, mais pour Vincent, c’était comme si on ne parvenait pas à l’extraire de ses peintures.
Comment avez-vous réagi la première fois qu'on vous a montré "La Passion Van Gogh" ?
Pierre Niney : On m’a dit qu’il fallait que je vois le film pour comprendre. C’était une expérience tellement immersive, tellement hallucinante, tellement inédite… Je n’avais jamais vu un truc comme ça, et je crois que c’était une première. Et puis quand j’ai compris comment c’était fait, j’étais encore plus halluciné. Le fait de me dire qu’ils avaient peint chaque image du film avec 125 artistes mais dans le même style, façon Van Gogh… Je voulais absolument en faire partie, je fais rarement du doublage mais j’y vais quand il y a vraiment un projet très singulier, et c’était le cas ici. (...) Je me suis directement dit que c’était incroyable, et j’espérais que ce n’était pas juste un clip d’une heure et demie. Et plus j’avançais, plus je m’attachais aux personnages. Ils avaient fait la totale, il y avait vraiment un film en plus de la prouesse et de la performance technique.
Vous incarnez Armand Roulin, un jeune homme chargé de porter la dernière lettre de Vincent Van Gogh après la mort de ce dernier. Comment décririez-vous ce personnage ?
Pierre Niney : C’est un jeune homme un peu rebelle qui n’est pas encore tout à fait mature, qui cherche à définir son désir, qui il est, à avoir un but dans la vie. Ce sont finalement des thématiques assez intemporelles sur les jeunes gens. On suit le parcours initiatique de ce jeune homme qui va peut-être, pour une fois dans sa vie, s’intéresser à autre chose qu’à se battre ou à boire. On assiste à ça, au fait de découvrir quelqu’un d’autre, d’éprouver de l’empathie, d’essayer de comprendre quelque chose qui le sort de son ordinaire. Et on a de plus en plus de sympathie pour ce personnage qui au début du film est un peu tête-à-claques. (…) Je me suis senti tout de suite à l’aise avec lui, je me voyais bien lui prêter une voix française sans que ce soit trop éloigné de moi.
(Re)découvrez la bande-annonce de "La Passion Van Gogh"...