AlloCiné : Home est adapté de faits réels. Qu'est-ce qui vous a intéressée dans cette affaire ?
Fien Troch : Il y a des années, j'ai vu un documentaire américain traitant d'adolescents condamnés pour meurtre. Dans la plupart des cas il s'agissait d'enfants ayant tué leurs parents après des années d'abus sexuel. L'un des cas était celui d'un garçon dont la mère abusait depuis ses trois ans. Plusieurs éléments m'avaient intéressée dans cette affaire. Tout d'abord, le fait que ce soit une relation mère-fils. Malheureusement, nous sommes presque habitués à ce que ça arrive dans une relation père-fille. Entre une mère et son fils, c'est bien moins connu et plus tabou. Ce qui m'avait le plus intriguée était le fait que le garçon avait 17 ans, qu'il était physiquement capable de repousser sa mère. Mais comme ça se passait depuis son enfance, le garçon n'avait pu construire aucune sorte de défense normale ou de protection. La terreur psychologique de la mère est accablante. Elle l'humilie, invente des règles absurdes mais sa plus grande arme est sa tristesse. John est dans cette perpétuelle lutte pour que sa mère ne soit plus triste, il s'en sent responsable et est dégoûté par l'horreur physique qu'elle lui fait subir. Tout ce processus émotionnel m'intéresse beaucoup. Un autre élément que j'avais trouvé fascinant était que tous ces meurtres étaient d'une extrême brutalité. Une fois que les enfants ont décidé de réagir, c'est violent. Toute la colère accumulée s'exprime en même temps. Ils ne battent, poignardent ou tirent pas qu'une fois mais une centaine. Tout cela prouve tout le mal que ces victimes ont subi. Une dernière chose dont je me souviens est l'injustice et la sévérité avec laquelle ces jeunes étaient punis. Bien sûr, c'était aux Etats-Unis. En Belgique, les jeunes ne peuvent pas être condamnés à mort, mais quand même. Pour ces jeunes, le meurtre était la seule solution pour s'en sortir et aucun d’eux ne regrettait son acte.
Quelles libertés avez-vous pris avec les faits ?
En fait, les « faits réels » concernent uniquement la relation entre John et sa mère. J’ai considéré le documentaire comme une sorte d’étude de cas. La folie de la mère, le désespoir du fils. L’histoire autour, avec les autres personnages, est complètement inventée.
Comment avez-vous choisi les jeunes comédiens de votre film ?
Depuis le début je me suis dit qu’ils devraient investir beaucoup de leur propre personnalité dans leur personnage. Dans un premier temps nous avons interviewé tous les adolescents que nous avons trouvé. Nous leur avons posé des questions sur leur vie personnelle, leur point de vue sur certains problèmes sociétaux, leur but dans la vie… Après j’ai revisionné toutes ces interviews et j’ai choisi qui pourrait revenir pour passer le vrai casting. A ce casting ils ont dû tout de suite essayer d’investir un maximum de leur propre personnalité dans leur jeu. Ils étaient à la fois des acteurs merveilleux mais aussi des personnalités très intéressantes, ils ont dû m’expliquer comment c’était d’être un adolescent de nos jours. Soit dit en passant, tous les acteurs étaient non-professionnels. Certains ont répondu à l’annonce de casting mais pour d’autres nous les avons rencontrés dans des skateparks, dans la rue, par quelqu’un qui connaît quelqu’un…
Votre film frappe par son réalisme. Avez-vous fait un travail préparatoire auprès de jeunes gens pour capter leurs façons de vivre, de parler ?
C’était tout à fait mon intention. Mais je me suis rapidement rendue compte qu’il était très difficile de trouver une manière discrète de faire connaissance avec les adolescents sans perdre leur façon d’être naturelle. Par exemple quand je suis allée au skatepark, je me sentais comme un voyeur et les adolescents n’étaient pas très à l’aise non plus. C’est à ce moment que j’ai commencé à aller sur Youtube et à regarder des heures et des heures de courtes vidéos que des jeunes avaient posté. C’était une découverte extraordinaire. Et ensuite la période de casting a aidé, surtout avec les interviews. Mais une fois que le casting était fait, j’ai vraiment commencé à voir comment les adolescents parlent, réagissent, agissent. Ils sont devenus comme des amis, je traînais avec eux. Je n’avais aucun problème pour les observer car ils savaient pourquoi j'étais là. J’ai aussi revu « High School » partie I et II de Frederick Wiseman. C’était aussi une immense inspiration pour comprendre et observer le comportement des adolescents, surtout vis-à-vis de l’autorité. Ces documentaires datent mais ils sont encore tellement d’actualité, ça n’a pas tant changé que cela. Il en est de même pour mes propres souvenirs d’adolescence. C’était différent, mais les sentiments qui nous animent pendant l'adolescence ne changent pas.
Vous montrez la sexualité sans tabou mais non sans pudeur. Comment avez-vous trouvé la distance juste ?
Je crois avoir trouvé la bonne distance en trouvant la bonne forme visuelle du film. Quand j’ai décidé d’utiliser les codes du documentaire, la règle la plus importante à suivre était la suivante : toute chose n’avait lieu qu’une seule fois et nous étions là (bien sûr nous avons fait plusieurs prises, mais c’était le principal), il me semblait très logique voire honnête de ne pas chercher à cacher certaines choses. Nous sommes là et nous filmons ce qui est en train de se passer, donc nous filmons aussi ce qui est le plus confus, choquant ou malaisant. Nous n’essayons pas de mettre en avant ces choses-là mais nous ne nous efforçons pas non plus de les cacher.
La scène du meurtre de la mère est particulièrement éprouvante. Comment tourne-t-on une telle scène ?
J’ai essayé de créer une atmosphère la plus « normale » possible. La maison était calme la nuit, sans rire, tout paraissait réel. Il y avait un cascadeur sur le plateau qui était là pour apprendre à John comment frapper la mère sans vraiment la frapper bien sûr et pour lui apprendre à étrangler sans… vous savez. Mais le cascadeur est resté très en retrait et intervenait seulement en cas de nécessité. Nous tournions la scène dans son intégralité à chaque fois pour ça paraisse très réel. Nous avons tourné les prises sans beaucoup d’agitation ni de chichis. Je crois que ça a très bien fonctionné, parce qu'ils étaient très atteints à la fin de chaque prise (et nous avons dû refaire la scène plus de 10 fois). John a même pleuré après, il avait l’impression d’avoir fait quelque chose d’horrible. Ils avaient tous besoin d’un peu de temps après que ce soit fini, ils étaient tous vraiment remués.
Votre film n'est pas sans rappeler le travail de Larry Clark. Est-ce une influence consciente ?
Pas vraiment. Je dois le dire : j’ai adoré Kids, c’est un film extraordinaire que j’ai vu des milliards de fois depuis qu’il est sorti. Donc bien sûr que c’est une influence. Ces adolescents qui font de mauvaises choses mais tu dois quand même admettre que c’est cool, j’ai adoré cela. Aussi la manière dont il laisse les adolescents traîner et discuter et s’amuser sans aucune direction, j’ai assurément pensé à cela quand j’ai écrit. Donc oui Kids était certainement présent quelque part dans ma tête quand j’ai écrit. J’ai aussi vu la plupart de ses autres films mais je ne voulais pas m'en inspirer. Même si je voulais être explicite, je ne voulais pas choquer ou faire du voyeurisme, seulement être honnête. C’est ce qui m’a souvent manqué dans les derniers films de Larry Clark. C’est comme si il imposait trop de lui-même face aux jeunes. Je voulais vraiment faire un film avec les jeunes, je voulais essayer de me mettre au même niveau qu’eux.
La bande-annonce de Home :