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    La Vie de Château : exploration du quartier Château d’Eau avec Modi Barry et Cédric Ido [ITW]

    Avec leur long métrage à petit budget "La Vie de Château", Modi Barry et Cédric Ido vous emmènent faire un tour à Château d’Eau, pour une plongée dans ce quartier parisien apprécié par la communauté africaine.

    Happiness Distribution

    AlloCiné : Qui a pris l’initiative de ce film dédié au quartier de Château d’Eau ?

    Modi Barry : Nous avons proposé à notre premier producteur des projets qui se passaient entre la France et l’Afrique. Il était d’origine australienne, venait de s’installer à Strasbourg-Saint-Denis et le quartier le fascinait. Il nous disait n’avoir jamais vu ça nulle part ailleurs et trouvait l’idée d’un film formidable.

    C’est donc une commande, au départ ?

    Cédric Ido : Oui, ça a commencé comme ça avant qu’on se réapproprie le projet.

    M.B. : Finalement, on a travaillé avec SRAB Films. Toufik Ayadi et Christophe Barral ont pris le pari de monter le film alors que nous n’avions que très peu de financements et des perspectives incertaines.

    Un temps d’immersion dans le quartier a été nécessaire avant le tournage ?

    M.B. : On le connaissait déjà bien, et on ne le trouvait pas particulièrement exotique, justement. L’un comme l’autre on s’y promène depuis qu’on est jeunes, on va chez le coiffeur, là-bas… C’est juste un quartier populaire, pour nous.

    C.I. : On n’avait même pas en tête ce qui pouvait sembler emblématique ou pittoresque aux yeux d’un Australien !

    M.B. : Jacky Ido connaissait des gars qui travaillaient dans le quartier en tant que rabatteurs, donc on a commencé à les rencontrer et à leur faire savoir qu’on travaillait sur un film. Finalement, on a fait ça pendant trois ans d’affilée, tout en écrivant et en nous inspirant de ces gens qu’on rencontrait.

    Au départ, on parlait même d’un film de "kung fu tchatche"

    C’est un film court et nerveux. Quelles étaient vos films de référence ?

    M.B. : Principalement Le Costume de mariage d’Abbas Kiarostami qui se passe dans le quartier des tailleurs de Téhéran où des enfants travaillent. Le film s’intéresse surtout à un enfant qui coud un costume pour un autre enfant d’une famille riche et qui doit se rendre à un mariage. Cet enfant tailleur a deux amis : un qui est tisserand et un qui sert dans un café, et tous les deux souhaitent emprunter le costume qui est en cours de fabrication pour se rendre quelque part. C’est un film qui repose essentiellement sur le dialogue.

    C.I. : Au départ, on parlait même d’un film de "kung fu tchatche", où les gens s’affrontent par la parole. (Rires)

    M.B. : En plus de ça, c’est un film sur un quartier, une ambiance particulière. Ça nous a guidés.

    C.I. : Une autre de nos grandes références communes était le cinéma japonais des années 1960 / 1970, à la Kinji Fukasaku, qui donne à notre film ce ton nerveux, urbain et une grande variété de personnages. Les arrêts sur image au début du film pour marquer le nom du personnage, ça arrivait beaucoup dans ce cinéma-là, en général avec le nom du clan en plus, parce que ce sont souvent des films de Yakuza. En plus, ça nous aide aussi narrativement.

    M.B. : Au départ, on voulait même faire un polar, parce qu’on trouvait que le quartier se prêtait bien à cette ambiance seventies. Et puis on a fini par renonce. Ça nous aurait privés de tout ce qui se passe réellement dans ce quartier et qui est bien plus passionnant que ce qu’on aurait pu y plaquer, finalement.

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    Eclairez-nous sur les conditions économiques dans lequel ce film à petit budget s’est monté. Vous tourniez littéralement dans la rue, avec de très petits moyens ?

    M.B. : Ça s’est passé en deux temps. D’abord on a proposé le scénario à l’aide à l’écriture au CNC qui nous l'a accordée. Mais les aides publiques ne peuvent financer un film qu’à hauteur de 50%. Il fallait qu’on trouve le complément de financement. Nos producteurs se sont tournés vers les chaînes de télévision qui sont les acteurs traditionnels du financement du cinéma. Toutes les chaînes trouvaient le film trop fragile et voulaient modifier le scénario. Elles voulaient une dramaturgie plus classique. En gros, un film plus communautaire avec, si possible, un blanc un peu naïf qui débarque dans ce quartier, qui au début a peur, puis qui se fait des amis et au final tout le monde est rassuré et tout va bien.

    C.I. : Nous, notre idée, c’était tout le contraire. On voulait présenter le quartier de l’intérieur.

    M.B. : Pour que le spectateur soit au départ plongé dans ce quartier sans repère et que petit à petit il reconnaisse les différents protagonistes et comprenne le fonctionnement du quartier. Face à cette difficulté de financement, notre producteur de l’époque (One World) nous a demandé de trouver une structure pour trouver le reste du financement et c’est Manuel Schapira, un ami, qui nous a présentés à l’équipe de SRAB Films. Ils ont réussi à constituer le tout petit budget dont nous avions besoin pour enfin lancer le tournage de ce film qui attendait déjà depuis trois ans. Tant mieux, parce qu’à force on avait peur que l’énergie ne soit plus là. Jacky Ido avait aussi des problèmes d’emploi du temps. La préparation a commencé en juin 2016 et le tournage en août de la même année. Quatre semaines de tournage à ne pas dépasser. Tout le monde a joué le jeu, y compris les techniciens et les comédiens qui ont accepté d’être payés le salaire minimum. On a eu quelques aides des prestataires, comme le labo ou les caméras, par exemple. Le budget du film tourne autour de 600 000€. On a tourné en numérique, aucune scène en studio.

    On voulait présenter le quartier de l’intérieur.

    Tout a été tourné donc dans les trois ou quatre rues qui constituent ce quartier, sauf une scène dans la boîte de nuit, L’Alizé, située à Cambronne, dans le 15è arrondissement. Vous avez dû la louer ?

    M.B. : Oui, parce que c’est la boîte de référence des gens du quartier. Les anniversaires luxueux, les concerts de coupé-décalé, tout se passe à L’Alizé. C’était pour garder un côté authentique par rapport aux gens du quartier.

    C.I. : C’est vraiment un coin incontournable de cet univers-là. Mes cousins et mes frères y allaient tout le temps. Tu ne peux pas passer à côté. On y est allés une ou deux fois pour comprendre l’authenticité de l’ambiance. Et puis il y a des vidéos d’anniversaires luxueux sur le web que je vous recommande ! On a même pris contact avec Didier Kitoko, la grande figure de la boîte, pour garder l’atmosphère exacte. Il anime les soirées et les atalaku, quand on balance des billets dans un sceau pour l’anniversaire d’une personne. C’est très "m’as-tu-vu", un peu dingue.

    Vous réalisez ce film à deux. Qui s’est occupé de quoi ?

    M.B. : On a imaginé le film à deux, au départ, très naturellement, avant d’être rejoints par Joseph Denize à l’écriture. Après, nous n’avons eu aucune difficulté à réaliser le film à deux. Au départ, on voulait se répartir les tâches sur le plateau.

    C.I. : Une fois sur le plateau, l’ambiance s’impose d’elle-même. En amont, nous avions vécu tous les deux dans ce quartier pendant deux ans, en l’explorant à fond. Donc la paternité du film nous revenait très naturellement et nous étions d’accords sur la manière dont nous voulions faire le film. Au départ, je voulais m’occuper des comédiens et Modi, de la technique. Mais nous étions si bien préparés que ça n’avait plus de sens de répartir les rôles.

    M.B. : Les comédiens l’ont plutôt bien pris, d’ailleurs. C’est ce qui nous inquiétait, initialement. On avait peur qu’ils ne sachent pas vers qui se tourner. Finalement, ça s’est fait tout seul. Dans les conditions données, il fallait de toute façon aller à l’essentiel.

    C.I. : Il fallait faire au plus simple, c’est finalement toujours ça qui prime. Tu as toujours envie de faire de l’esbroufe, mais plus c’est simple, mieux c’est. D’ailleurs, il fallait donner un cadre aux comédiens car c’est un film de quartier, et le quartier doit devenir l’un des personnages du film.

    M.B. : J’ai lu un livre de Laurent Tirard où il demandait à de grands réalisateurs des conseils pour cinéastes débutants ("Leçons de cinéma : L'intégrale", 2009, Nouveau Monde Editions, ndlr). Les frères Coen, Roman Polanski, Claude Chabrol… Ce qui revenait le plus souvent, c’était d’aller au plus simple, ce qui nous a beaucoup réconfortés. Notre chef opérateur était de cet avis aussi. De toute façon, comme c’est surtout un film de personnages et de dialogues, c’est un conseil bien adapté.

    On ne se pose jamais la question de savoir si des spectateurs noirs peuvent voir des films avec des acteurs blancs et s’identifier.

    En France, c’est rare de voir des films qui se déroulent entièrement au sein d’une communauté, presque sans personnage blanc (mis à part Gilles Cohen) sans que le spectateur s’étonne. Ça peut faire penser à la série Sur écoute, par exemple.

     C.I. : C’est vrai. La plupart du temps, ce sont des comédies avec un personnage blanc pour servir de référent au spectateur. Ça marche sur le principe du poisson hors de l’eau. Ou, à l’inverse, on met un noir au ski et les situations comiques viennent de là. Mais l’immersion totale est rare. Sur écoute est un bon exemple : personne n’a de mal à s’identifier à Idris Elba. Alors pourquoi pas à Jacky Ido ou à Jean-Baptiste Anoumon. On aurait très bien pu faire "Les rabatteurs de Château d’Eau ouvrent un salon de coiffure sur les Champs-Elysées". (Rires) C’est même presque un réflexe en France de traiter le sujet comme ça. Alors qu’aux Etats-Unis, ça ne pose plus de problème. Personne n’a de mal à s’identifier à Will Smith, par exemple. On avait peur que nos spectateurs ne retiennent que les moments comiques de notre film. Alors que, d’après les premiers retours, les gens sont vraiment touchés par quelque chose d’universel qu’il y a dans le film. Le personnage de Charles, par exemple, traverse une crise de la quarantaine et se demande ce qu’il doit faire du reste de sa vie.

    M.B. : Cette inquiétude un peu abstraite gagne le financement et le budget du film. Juste parce qu’il y a cette conviction qu’un spectateur français ne peut pas s’identifier à un héros noir. Alors que, dès lors que le film les intéresse, tout va bien. D’ailleurs, on ne se pose jamais la question de savoir si des spectateurs noirs peuvent voir des films avec des acteurs blancs et s’identifier. Et le cinéma asiatique ? Personne n’a jamais dit : "Vous ne pouvez pas aller voir un film avec Bruce Lee, vous risquez de ne pas vous identifier aux personnages." On sous-estime le public.

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    Est-ce que le manque de vedette vous a posé des problèmes de financements ?

    M.B. : Si on avait eu Omar Sy, on n’aurait pas eu de problème. Le truc, c’est que la taille du projet est inversement proportionnelle à la facilité de le financer, en général. Dès que tu te ramènes avec quelque chose de petit et peu coûteux, ça inquiète. C’est le format qui ne rassurait pas les financiers, pas le fond du film.

    C.I. : C’est plus difficile de monter un film à moins d’un million qu’un film à sept millions. C’est incroyable : personne ne veut prendre un petit risque, mais un gros risque… tout le monde s’emballe.

    Un petit mot sur vos comédiens ?

    M.B. : J’aimerais beaucoup leur rendre hommage : on avait un scénario avec des dialogues très écrits. Le risque, c’est que ça sonne artificiel et ils ont apporté beaucoup de chair à ce projet.

    C.I. : On avait peur que ça sacrifie l’authenticité de notre film.

    M.B. : C’est un grand plaisir de constater que ça fonctionne grâce à eux, de voir les dialogues prendre vie. Tous sont des comédiens professionnels sauf deux, qui sont de vrais rabatteurs du quartier.

    On sait qu’on ne va pas faire 20 millions d’entrées, à moins d’un miracle. Donc on va reprendre nos bâtons de pèlerins et retourner frapper à toutes les portes.

    Vous êtes heureux de vivre une première sortie en salles ?

    M.B. : On réalise doucement avec les avant-premières. Et c’est encore assez frais puisqu’on a fini de tourner il y a moins d’un an. Donc on a du mal à se rendre compte. On arrive au bout d’un projet que je voulais faire depuis vingt-cinq ans, pour ma part !

    C.I. : Acter quelque chose, c’est super important. Pouvoir dire : "Ça, c’est fait". On se dira ça dans quelques mois, sûrement. Pour le moment, on s’occupe surtout de faire venir des gens. La machine tourne encore.

    M.B. : Je ne sais pas quand on peut se reposer et enfin y penser. On est inquiets pendant l’écriture, le financement, la préparation, le tournage, le montage, aux avant-premières… Le plaisir vient plutôt un an après quand tu peux enfin passer à autre chose.

    Des projets, à partir de maintenant ?

    M.B. : On attend surtout de savoir comment le film va être reçu. On sait qu’on ne va pas faire 20 millions d’entrées, à moins d’un miracle. Donc on va reprendre nos bâtons de pèlerins et retourner frapper à toutes les portes. Il y a un film qu’on aimerait faire tous les deux avant de repartir sur nos projets individuels. Ce serait l’adaptation d’un film japonais qui s’appelle Welcome Back, Mr. McDonald (Rajio no jikan) de Kôki Mitani, sorti en 1997. C’est un huis-clos dans une station de radio qui a organisé un concours de scripts pour une  pièce radiophonique. Le film commence à la fin des répétitions où sont présents les comédiens qui joueront la pièce et l’auditrice qui a gagné le concours. Tout s’est bien passé et ils décident de jouer la pièce en direct à partir de minuit. Quelques heures avant la représentation, les comédiens vont se reposer, l’équipe technique s’installe… et la comédienne principale fait un caprice et décide de changer de nom dans la pièce. Ensuite, tout s’emballe.

    C.I. : C’est déjà une adaptation par Kôki Mitani de sa propre pièce de théâtre.

    M.B. : Le gros travail, ça va être de trouver à qui appartiennent les droits de remake puis d’aller trouver le réalisateur au Japon et lui expliquer ce qu’on a envie de faire à partir de son film.

    La bande annonce de La Vie de Château de Modi Barry et Cédric Ido

     

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