AlloCiné : Comment présenteriez-vous Egon Schiele aux spectateurs français qui ne connaîtraient pas forcément son oeuvre ?
Dieter Berner : Egon Schiele est mort le 28 octobre 1918, quelques jours avant la fin de la Première Guerre mondiale. Il avait 28 ans, et il reste aujourd'hui avec Klimt et Kokoschka l'un des artistes autrichiens les plus importants du XXe siècle. Durant sa courte vie, il s'est fait connaître comme l'un des artistes les plus provoquants de Vienne. Sa vie et son art sont portés par l'érotisme et la transfiguration. Certaines de ses oeuvres ont provoqué des scandales, ce qui l'a amené devant la justice et en prison.
Comment expliquez-vous qu'on soit toujours autant fasciné par son art et sa vie ?
Je me demande pourquoi de jeunes gens en Autriche affichent des oeuvres de Schiele chez eux. De toute évidence, sa vision expressive produit toujours des émotions. Il a été le premier peintre à s'être utilisé comme un modèle nu. Il était un expressionniste, il utilisait la vulnérabilité du corps pour raconter quelque chose sur l'âme. Dans ses tableaux de femmes, vous pouvez souvent voir le vagin souligné par la couleur rouge et les yeux d'une personne regardant les spectateurs - ce ne sont pas des objets mais des sujets avec du désir. À l'époque de Schiele, cette vision était courageuse et je pense que c'est toujours le cas.
La vie d'Egon Schiele a déjà été adaptée à l'écran. Qu'est-ce qui ne fonctionnait pas dans ces films, selon vous ?
Il y a deux films : l'un de John Goldsmith, tourné pour la télévision en 1980, et Egon Schiele, enfer et passion de Herbert Vesely avec Mathieu Carrier, Jane Birkin et Christine Kaufmann en 1981. Le téléfilm est surchargé en faits et si vous ne connaissez pas les personnages qui gravitent autour de Schiele, vous ne pouvez pas suivre l'histoire. Mais le plus grand problème, c'est que l'acteur, qui joue Schiele, n'est pas vraiment convaincant. Le film de Vesely, en revanche, est spéculatif, comme un film érotique de l'époque, et il se trompe sur certains faits, comme par exemple le fait que l'épouse de Schiele, Edith, était son plus grand amour : Schiele l'a épousée, parce qu'il pensait qu'il pourrait profiter d'avantages auprès d'une femme bourgeoise quand il a été appelé à intégrer l'armée pendant la guerre. L'excès et la punition n'étaient pas des thèmes dans l'art de Schiele, ses idées allaient bien au-delà de ce paradigme catholique.
Dès lors, quelle approche avez-vous souhaité adopter ?
Mon approche pour ce film repose sur l'envie de raconter seulement des fragments d'une vie, des moments qui produisent de la curiosité. Je ne veux pas prétendre que je pourrais dire toute la vérité. Au contraire, certains secrets doivent le rester. Cette approche a été inventée par Hilde Berger, qui a écrit le roman Tod und Mädchen - Egon Schiele und die Frauen : elle a sélectionné cinq modèles (Gerti la soeur d'Egon, la danseuse Moa, Wally, sa femme Edith et sa soeur Adele) et a écrit cinq épisodes, dans lesquels elle décrivait Schiele du point de vue de l'un des modèles. Dès lors, vous avez l'impression de découvrir un homme dont le personnage évolue en fonction de la personne qu'il aime. C'est très intéressant.
Que pouvez-vous nous dire de la structure narrative de votre film, qui diffère clairement du "biopic traditionnel" ?
J'ai écrit le scénario avec Hilde Berger, l'auteure du roman. Tout d'abord, nous avons essayé de suivre la structure du roman et des épisodes développés. Mais nous avons réalisé que la construction en cinq épisodes propose au spectateur cinq expositions pour une expérience cinématographique de deux heures. Ce n'était pas le meilleur format pour les émotions fortes de notre sujet. Nous avons donc décidé de tisser ces épisodes dans un maillage non chronologique, de sorte qu'une tension pourrait être développée dans un arc du début à la fin. L'outil pour le faire était le fait que la sœur de Schiele, Gerti, tentait de sauver son frère de la grippe espagnole. Au cours de ces trois jours, quand Gerti nourrit son frère, certaines scènes émotionnelles importantes de leurs vies apparaissent dans son imagination.
Comment avez-vous découvert votre acteur principal, Noah Saavedra ? Comment avez-vous travaillé avec lui ?
Il était clair pour moi qu'il ne serait pas facile de trouver un acteur pour ce rôle, qui soit assez jeune et qui ressemble à Schiele. La plupart des acteurs sortent diplômés des écoles de comédie lorsqu'ils ont déjà plus de 23 ans. Mais c'était l'âge où Schiele avait déjà terminé ses plus grandes œuvres. Et je voulais que le public ressente la tragédie de finir une vie si prometteuse trop tôt. J'ai donc dû faire beaucoup de castings. Il m'a fallu un an pour trouver Noah Saavedra. Il est venu au casting, il avait 22 ans, il était jeune, beau avec une ressemblance avec Egon Schiele, mais il n'avait presque pas de bases en tant qu'acteur et il n'était alors capable que d'improviser des situations avec ses propres mots. Mais quand il a fait cela, il était intéressant et c'était fascinant de le regarder. Nous avons donc tous deux décidé que je travaillerais avec lui pendant un an - un temps qui était nécessaire de toute façon pour trouver les financements. Durant cette période, nous nous sommes rencontrés chaque week-end et avons fait des exercices qui se font dans les écoles de comédie, ainsi que des improvisations pour comprendre qui était cet homme, Egon Schiele.
On ressent vraiment à l'écran la fièvre créative de votre personnage. Comment avez-vous travaillé cet aspect du film ?
Comme je le disais, nous nous sommes reposés sur des improvisations autour de moments de la vie d'Egon Schiele. Il a fallu faire beaucoup de recherches. Noah a lu toutes les lettres qu'Egon avait écrites. Il a pris des cours de dessin à l'Académie des Arts de Vienne et a appris à dessiner des nus. C'était sa recherche pour pouvoir regarder ses modèles de la manière appropriée. La plupart du temps, lorsque nous nous sommes rencontrés ces week-ends, Maresi Riegner, qui joue la soeur Gerti dans notre film, se joignait à nous. Et parfois, ils se mettaient tous les deux nus pour s'habituer l'un à l'autre, en tant que frère et soeur et en tant que modèles. C'est la raison pour laquelle la première scène, dans laquelle Egon dessine sa jeune soeur, est si convaincante. Nous avons baptisé cette scène "The Paradise Scene".
Quelle est votre peinture préférée de Schiele, et pourquoi ?
J'aime beaucoup les tableaux de Schiele et il serait difficile de choisir celui que j'emmènerais sur une île abandonnée. Mais durant le développement de ce film, j'ai choisi Mort et Jeune fille comme mon image préférée. Nous savons maintenant que Schiele a peint ce tableau quand il était sur le point de quitter Wally. En outre, il est important de savoir que Wally est décédée deux ans plus tard, comme infirmière sur la côte de Dalmatie durant la guerre. En connaissant ces circonstances, cette image a une plus grande magie encore à mes yeux. Cette magie est le principal sujet de mon film. Un grand artiste est capable d'injecter de forts sentiments personnels dans son art, et ces sentiments viennent jusqu'à nous, spectateurs : ils sortent du tableau, même si nous ne comprenons pas pourquoi.
Egon Schiele, en salles le 16 août