AlloCiné : Racontez-nous leur histoire, à ces frères jumeaux. Ce sont des laissés pour compte, c’est ça ?
Vincent Pouplard : Dans un premier temps, ils ont vécu dans un garage en dessous de l’appartement de leur mère avant de s'en faire virer. Ils ont squatté une péniche sur les bords de l’Erdre, où se passe un peu tout le film. Ils s’en sont fait déloger, mais ils ont réussi à échapper à la police avant de monter un squat avec cinq ou six autres gamins dans un ancien kebab abandonné de Nantes. Aujourd’hui, ils ont vingt-deux ans.
Le film fait cinquante-neuf minutes, ce qui en fait ni vraiment un court, ni vraiment un long. Pourquoi ?
J’ai eu des financements pour un court métrage, ce qui déjà m’orientait vers moins d’une heure. J’avais 70 heures de rushs et je ne voulais pas faire un film de quatre heures, de toute façon. Le premier montage durait une heure vingt. Je l’ai montré aux jumeaux pour qu’on se mette d’accord sur les zones de pudeur. Ils n’ont pas dit grand-chose : ils étaient surtout émus. Et en dégraissant, on est arrivé à cette durée.
Cette durée n’a pas empêché certains festivals de vous prendre dans leur sélection ?
Si : quelques-uns ne savaient effectivement pas où nous caser. Mais les festivals de documentaires ne sont habituellement pas préoccupés par la durée d’un film. Là, on va au Festival de Moyens Métrages de Brive. C’est idéal.
Un projet qui m’a pris cinq ans.
Le cinéma, pour vous, ça a commencé quand et comment ?
J’ai d’abord été photographe de plateau, puis régisseur, assistant réalisateur… J’ai aussi travaillé pendant cinq ans pour une association qui œuvre pour l’éducation à l’image. C’est là que j’ai fait mes armes et que j’ai commencé à entreprendre quelques documentaires avec des gens qui se trouvaient là, en amateur. En 2010, j’ai réalisé mon premier court métrage documentaire, Le Silence de la carpe. Il a bien circulé en festivals, ce qui m’a confirmé dans mon envie de faire du cinéma après mes études de sociologie et de photographie. J’ai ensuite réalisé un autre film du même type, entre documentaire et expérimental, qui a moins circulé. Puis un court de fiction, Patrick nu dans la mer. C’est à ce moment que j’ai commencé à tourner Pas comme des loups, un projet qui m’a pris cinq ans. Entre temps, j’ai tourné un documentaire sur un groupe de musique que j’ai suivi en tournée dans toute l’Europe, ce qui m’a permis de me faire la main sur des formats plus longs. C’est un "rockumentaire" !
Justement, comment a commencé l’aventure Pas comme des Loups ?
J’ai rencontré l’un des deux héros, Sifredi, dans un atelier que je donnais au sein de la PJJ, la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Il a participé à un atelier de création de courts métrages pour lequel j’étais intervenant. Trois semaines après, il a demandé à faire un stage avec moi pour continuer dans cette voie.
Pourquoi cette envie de les suivre, Sifredi et son frère Roman ?
Ma rencontre avec Sifredi qui s’est vite transformée en amitié m’a permis de filmer ces jeunes dans un autre contexte : en liberté, dans leur environnement, dans leurs codes. Un truc qu’on ne montre jamais aux éducateurs.
Vous êtes le premier à les filmer ?
Une chaîne de la TNT les a filmés dans un sujet sur les cambriolages à Nantes. Ils étaient flattés que la télé fasse d’eux des bandits. Je leur ai vite expliqué que je ne voulais pas les mettre en scène comme ça et que je ne voulais pas donner dans le spectaculaire.
On découvre dans votre film qu’ils passent beaucoup de temps à se scolariser eux-mêmes…
Déjà, à seize ans, ils avaient chacun des classeurs bien rangés et remplis de textes écrits avec beaucoup de soin, au crayon quatre couleurs. Tout est écrit en phonétique, mais toutes les intonations sont précisées pour pouvoir être chantées avec des couleurs différentes. Tout est dans des feuilles plastifiées, etc. Ils font ça avec Sergio, le troisième personnage du film. Il a été adopté par une famille assez aisée, mais avant ça, il a connu les camps de travail en Roumanie quand il avait entre zéro et cinq ans. Il a eu droit à un précepteur individuel, ce qui l’a amené à maîtriser un niveau de langage différent.
Je voulais changer le visage des loups.
Leur réinsertion est-elle imaginable ?
Les jumeaux ont tous les deux suivi une petite formation l’année dernière mais Roman a poussé un peu plus loin dans le paysagisme. Tous deux sont tout à fait capables de travailler. Ils n’aiment pas les grandes communautés humaines. Ils veulent vivre dans la nature. Ils ont un budget maximum de 30€ par semaine. Des clopes, du pain et des fruits – ils sont frugivores tous les deux. Ils trouveront leur voie, je n’ai aucune inquiétude là-dessus.
Pourquoi ce titre, Pas comme des loups ?
Je voulais changer le visage des loups. Le titre entier devrait être : "Ne les regardez pas comme des loups". Il y a évidemment des rapports de domination qui ne sont pas très graves. Et puis cet appel de la forêt ! Quand je n’avais pas de nouvelle, je savais qu’ils étaient partis se faire des cabanes une semaine ou deux dans les bois.
On a très envie de savoir ce qu’ils vont devenir. Ils pourraient devenir vos Antoine Doinel, dans un format de jumeaux ! Comptez-vous faire d’autres films sur eux, dans un futur proche ou lointain ?
Je me pose la question en ce moment parce que je sais que c’est faisable. Mais est-ce qu’il ne vaut mieux pas résister à cette forme de tentation ? Peut-être que, justement, celui-là est réussi parce que j’ai pu me défaire de la fascination qu’ils opéraient sur moi en me montrant toutes les conneries qu’ils ont pu faire.
Le temps d’une longue scène aux plans très composés, les jumeaux grimpent dans un arbre pour y discuter. Racontez-nous comment vous l’avez tournée.
Cet arbre, les jumeaux m’en avaient beaucoup parlé parce qu’ils ont échappé aux flics grâce à lui à plusieurs reprises. Ils m’ont proposé d’aller à l’arbre. On a fait les premiers plans où on les voit y grimper, filmés d’en-dessous. Je leur ai soufflé un sujet de discussion. Ensuite, je leur ai dit que si on voulait que la scène existe, on aurait besoin de plans d’eux marchant dans la forêt. Et c’est en se promenant que j’ai découvert le plan large avec l’arbre au milieu. Alors je leur ai dit : "Les gars, ça vous dérangerait de remonter dans l’arbre ?". (Rires)
Propos recueillis à Levallois-Perret le mardi 21 mars 2017 par Gauthier Jurgensen
La bande annonce de Pas comme des loups