Quand on pense au thème du cannibalisme au cinéma, on associe le plus communément des références évidentes, comme Cannibal Holocaust, Cannibal Ferox, La Montagne du dieu cannibale et autre nanard bisseux comme Anthropophagous, pour n'en citer qu'une poignée. Pourtant, le thème du cannibalisme est aussi parfois exploité de manière intelligente ou, en tout cas, de manière originale, comme c'est le cas dans le film Grave qui sort en salle ce mercredi. Et qui reste quand même pour un public (très) averti. Voici une petite sélection d'oeuvres autour de ce thème donc... A déguster sans faim ou sans fin, comme vous préférez.
Vorace (1999)
Voilà bien un authentique chef-d'oeuvre, qui gagnerait encore à être davantage connu, devenu culte au fil des ans. Réalisé par la regrettée Antonia Bird, le film sortit dans l'indifférence générale au début de l'été 1999 en France. Aux Etats-Unis, il fit un four : à peine plus de 2 millions de $ de recettes sur le territoire américain, pour un budget de 12 millions.
Ayant pour toile de fond la guerre entre le Mexique et les Etats-Unis, Vorace évoque aussi un célèbre fait divers de la Conquête de l'Ouest. Il s'agit de la tragédie du Passage de Donner. Durant l'hiver 1847-1848, un groupe d'immigrants en route vers la Californie se retrouva bloqué par la neige, dans une région isolée, d'accès difficile. Après avoir épuisé leurs vivres, puis mangé leurs attelages et montures, les immigrants dévorèrent les cadavres de leurs morts...
Gorgé d'humour noir particulièrement féroce, de moments de pure terreur, de plans pour certains ahurissants (la chute dans le précipice de Guy Pearce, dont on se demande encore comment elle a pu être filmée), porté par une musique à la fois décalée et obsédante signée par le tandem Michael Nyman et Damon Albarn, Vorace bénéficie en plus d'un formidable casting : Robert Carlyle, absolument génial dans le film, Guy Pearce, Jeffrey Jones, David Arquette ou encore Neal McDonough.
On garde le meilleur pour la fin : le cannibalisme évoqué (et montré) dans le film est pas loin de relever de la pure contestation politique. Car l'Amérique s'est aussi bâtie en dévorant ses propres enfants. Sur ce, comme dirait le colonel Ives : Bon appétit !
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
Grave (2017)
Après avoir triomphé dans nombre de festivals internationaux, de Cannes au Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) en passant par le Festival de Toronto où quelques spectateurs se sont même évanouis, Grave arrive dans les salles françaises ce mercredi.
Justine, l'héroïne interprétée par la jeune Garance Marillier - comédienne à suivre, sans aucun doute - a 16 ans. Elle est surdouée et végétarienne. A peine installée sur la campus de son école vétérinaire, le bizutage commence et on la force à manger de la viande crue. Initiée par sa soeur, Justine découvre alors sa vraie nature.
Dans Grave, Julia Ducournau met en scène le cannibalisme comme métaphore de la pulsion sexuelle adolescente, dans son ambivalence en tant que pulsion de vie et pulsion de mort. A travers cette thématique taboue qui touche la morale, elle signe un film brut de décoffrage, parfois très dur - le choix est fait d'un réalisme extrême dans les séquences de "repas" -, sensoriel et même épidermique, qui place son spectateur dans l'inconfort permanent et questionne des notions aussi diverses que la famille, l'animalité ou le sentiment de singularité. Le corps, animal et humain, est au centre de la représentation, qui s'appuie sur une grande maîtrise de la lumière et du cadre. Un film puissant, honnête et efficace, à ne vraiment pas manquer quand on a l'estomac bien accroché !
La bande-annonce de Grave :
Soleil vert (1974)
Classique de la SF hors du commun d'un atroce pessimisme signé Richard Fleischer, Soleil vert est ressorti en salle en 2015. L'occasion de vérifier que son discours écologique et humain n'a hélas rien perdu de sa force, bien au contraire. Dès le générique d'ouverture du film, absolument brillant et terrifiant, le spectateur est foudroyé : quelque chose s'est définitivement cassé dans la grande marche vers le progrès de la Civilisation, ou du moins ce qui est présenté comme tel. Le développement industriel à marche forcée et ses ravages, les effets non maîtrisés de la surconsommation et l'épuisement des ressources naturelles ont achevés d'hypothéquer l'avenir de l'Homme en quelques décennies à peine.
Les lendemains qui déchantent sont ainsi fréquents dans la science-fiction; un genre qui par définition reflète nos peurs face aux changements sociaux ou technologiques. Dans Soleil Vert, le cataclysme arrive par érosion : la fin du monde par disparition d'un élément essentiel à notre existence, en l'occurence l'eau et la nourriture. Mais l'agonie de l'espèce humaine est lente et progressive -comme le souligne d'ailleurs l'extraordinaire générique d'ouverture-; le temps nécessaire pour épuiser les ressources de la planète.
Dès lors, dans une société exsangue et en ruine où l'on encourage l'euthanasie volontaire pour lutter contre la surpopulation, où plus rien ne fonctionne si ce n'est encore la police anti-émeutes qui matte la population affamée et privée de la fameuse galette Soleil Vert, les hommes en sont réduits à n'être qu'une simple statistique, juste bons à finir à l'abattoir. Et, In Fine, réduits à littéralement s'entre-dévorer dans une nouvelle et monstrueuse chaîne alimentaire.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989)
Tout à la fois peintre, plasticien, écrivain, cinéaste et créateur d'opéras, Peter Greenaway est un artiste protéiforme et inclassable, qui a toujours utilisé le 7e art comme un outil d'expression artistique parmi d'autres. A ce titre, il a à son actif des oeuvres parfois puissantes, comme Meurtre dans un jardin anglais, Le ventre de l'architecte, et cette pépite datant de 1989 : Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant. Une farce cruelle, déviante et radicale comme on en voit peu, où le baroque et le sublime côtoient la laideur et le dégoût.
Comme une pièce de théâtre, le scénario du film est construit en dix actes, soit dix soirs, dix menus et dix repas. "Le modèle de l'histoire est la tragédie classique de la vengeance, avec un accent mis sur les fonctions du corps humain: manger, boire, déféquer, copuler, roter, vomir, se devêtir, saigner..." expliquait Peter Greenaway. L'histoire ? Dans un restaurant, un homme abject se livre à toutes les débauches, tandis que sa femme le trompe avec un client sous le regard complice du cuisinier… Un répas qui finit avec l’amant dans l’assiette du mari…
Comédie sociale à l'italienne avec ses personnages odieux, drame sentimental, film d'horreur (coprophagie, défécation et cannibalisme au menu...) et fable fantastique, Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant fonctionne, in fine, comme une monstrueuse parabole d'une société où littéralement dévorer son congénère semble être devenu l'évolution des rapports humains.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
Ma Loute (2016)
Il y a encore pas si longtemps, le nom de Bruno Dumont était synonyme de cinéma certes de qualité, mais d'austérité. En 2014, le cinéaste, originaire du Nord, effectuait un virage à 180° avec la formidable série policière comique P'tit Quinquin, présentée notamment à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes. Mêlant avec brio polar, mélo, burlesque et gore, Ma Loute (2016) amplifiait de manière jubilatoire ce constat.
Dumont plante son décor dans la Baie de la Slack dans le Nord de la France, en 1910. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal)mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils ainé d'une famille de pêcheurs aux penchant cannibales, et Billie de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents. "Un Roméo et Juliette au pays des cannibales et des consanguins" titrait le Monde dans sa critique du film. Pas mieux.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...