Dimanche dernier, lors de la 89e cérémonie des Oscars, c’est le film Moonlight qui a reçu le prix du Meilleur film, après qu’il a d’abord été attribué par erreur à La La Land, suite à un couac inédit jusqu’alors. C’est d’ailleurs ce que l’on retient, la surprise, le buzz, le rebondissement. Pourtant, remettre l’Oscar du meilleur film à Moonlight est un geste politique fort et on se dit qu’il y aura certainement un avant, et un après Moonlight.
Réalisé par le cinéaste Barry Jenkins, jusqu’alors pratiquement inconnu, Moonlight raconte, en trois actes – l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte –, trois moments de la vie de Chiron, qui tente de trouver sa place dans un quartier pauvre de Miami, dans un monde dur, violent, et un monde qui semble de pas vouloir de lui. Et c’est l’histoire d’un jeune homme noir qui tombe amoureux d’un autre garçon. Le film est adapté du roman de Tarell Alvin McCraney, In Moonlight Black Boys Look Blue, inspiré de sa propre jeunesse à Miami. C'est le personnage de Juan, joué par Mahershala Ali, qui prononce cette phrase dans le film : « A la lumière de la lune, les garçons noirs ont l’air bleu », le terme blue en anglais ayant aussi le sens de mélancolique. La couleur bleue occupe par ailleurs une grande place dans Moonlight, comme la douceur de la mise en scène, qui vient comme en contrepoint à la violence abrupte à laquelle doit faire face Chiron à tous les instants de sa vie.
Des premières fois, parce qu'il était temps
La cérémonie des Oscars du 26 février 2017, c’est surtout la cérémonie des première fois. Moonlight est le tout premier Oscar du Meilleur film qui traite de l'homosexualité. On se souvient qu’en 2006, Le Secret de Brokeback Mountain, pourtant grand favori, avait perdu face à Collision. En 2014, 12 Years a Slave devenait le premier film réalisé par un cinéaste noir à remporter l’Oscar du Meilleur film, mais Steve McQueen, on le rappelle, est britannique. Moonlight est donc le premier film couronné à avoir été réalisé par un Afro-Américain. Surtout, c’est le premier vainqueur ayant un casting entièrement constitué d’acteurs et d’actrices noirs. Mahershala Ali, qui a reçu la statuette distinguant le meilleur comédien dans un second rôle, est quant à lui le premier acteur musulman récompensé par l’Académie.
Moonlight est le premier film réalisé à Miami à remporter l’Oscar. Il a été tourné dans le quartier difficile de Liberty City. Jenkins y a grandi, dans le même HLM que Tarell Alvin McCraney. Moses Shumow, professeur à la Florida International University de Miami, a réalisé un documentaire sur le quartier de Liberty City, la ségrégation qui y règne et l’omniprésence de la drogue. Il déclare dans une interview : « Ça n'enjolive pas la réalité, mais ça va au-delà, soulevant des questions sur la sexualité et des questions sur la pauvreté et comment on s’en échappe (…) Pour moi, c'est tellement positif qu'une autre histoire peut émerger [de ce quartier]. Si on donne aux Noirs, comme aux autres groupes, l'occasion de faire et de raconter leurs histoires, cela enrichira le cinéma. »
Vers la fin des Oscars So White ?
« Dans une Amérique recroquevillée et que Trump gère par tweets, Hollywood sacre la diversité aux Oscars. La fin des Oscars So White ? », s'interroge quant à lui l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou. Sans faire de conclusion hâtive, on ne peut ignorer qu’il s’agit d’un énorme pas en avant et voilà pourquoi on ne peut que se réjouir de la victoire de Moonlight. Il faut l’envisager dans sa dimension politique et saluer la prise de position de l’Académie. Il s’agit aussi de faire évoluer, enfin, les mentalités en matière de représentation. A l’heure des violences policières envers la communauté noire américaine, à l’heure où le Président des Etats-Unis se pose sans complexe en hétéro-beauf raciste et sexiste, défendant des positions proche d’un suprématisme blanc d’un autre âge et condamnant la liberté d’expression et ses garants, la presse et le monde de l’art, l’Oscar de Moonlight est plus que jamais important.
La bande annonce de Moonlight :