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    David Lynch : "pendant ses années d’artiste, il crevait de faim" selon le réalisateur de The Art Life

    Pour la sortie en salles mercredi de "David Lynch : The Art Life", le réalisateur Jon Nguyen nous raconte la vie de l'artiste peintre David Lynch, avant qu'il ne devienne le cinéaste reconnu que le public connaît aujourd'hui.

    Potemkine Films

    Au dernier Festival du fiilm fantastique de Gérardmer, AlloCiné a pu rencontrer Jon Nguyen, qui présentait hors compétition sa réalisation David Lynch : The Art Life. Centré sur la vie d'artiste de David Lynch et sur le passé de l'auteur de Blue Velvet, Elephant Man ou Mulholland Drive, le film dresse un portrait intime et méconnu d'un cinéaste trois fois nommé à l'Oscar de meilleur réalisateur.

    AlloCiné : "David Lynch : The Art Life" est un documentaire que vous avez co-signé…

    Jon Nguyen : Nous étions trois.

    Oui, comment avez-vous divisé le travail ?

    Une personne menait les entretiens et filmait les scènes de peinture, une autre effectuait le montage et je participais aux deux.

    Etiez-vous tous les trois dans la maison de David Lynch ?

    Non, juste la personne qui faisait les entretiens, avec moi. Du moins au départ, puis la monteuse, Olivia [Neergaard-Holm], qui nous a beaucoup apporté avec ses idées. Nous avons travaillé 6 mois à monter le film.

    Combien de temps êtes-vous restés chez lui ?

    Environ deux ans et demi. Jason [leur directeur photo, NdlR] a vécu sur place presque pendant tout ce temps.

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    Comment avez-vous rencontré Lynch ?

    C’était il y a 12 ans. Nous le suivions pendant qu’il montait Inland Empire. (…) Je ne le connaissais pas, et il ne nous connaissait pas non plus. Nous lui posions nos premières questions et il était assis, nous donnait de très courtes réponses, puis nous a dit : "prenez-votre caméra, suivez-moi, vous savez comment on fait un film". C’est devenu notre documentaire Lynch. 8 ans plus tard, nous sommes revenus vers lui, et notre relation s’étant consolidée, il a accepté de nous parler de sa vie.

    Oui, et de vous parler d’épisodes de sa vie que peu de gens connaissent, et notamment cette « Art Life », cette vie d’artiste…

    Oui, The Art Life, c’est la vie de David. Mais si on sait une chose sur David Lynch, c’est qu’il n’aime pas parler de ses films. Je connaissais certaines de ses anecdotes, toujours aussi vivaces dans sa mémoire, et nous savions qu’une fois arrivé à Los Angeles après avoir terminé Eraserhead, il fit Elephant Man, Blue Velvet… Et devint célèbre. Mais je savais que comme beaucoup d’artistes, sa vie était fascinante avant tout cela et l’a façonné. J’étais persuadé qu’en explorant son passé, nous aurions une meilleure compréhension de son cinéma.

    La peinture l’a inspiré en tant que cinéaste ?

    Si vous demandez à David s’il est peintre ou réalisateur, il vous dira qu’il est peintre. C’est par cela qu’il a commencé, avec une école d’art, et depuis qu’il est jeune et depuis tout ce temps, (…) il n’a jamais cessé de peindre. Pendant 2 ans et demi, du moment où il se levait jusqu’à ce qu’il aille se coucher, il peignait. Il écrivait beaucoup aussi bien sûr, sans doute la nouvelle saison de Twin Peaks.

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    Dans le film, vous avez beaucoup de plans serrés sur ses mains, en insistant sur le fait qu’il est toujours en train de réparer, de bricoler, de peindre… De créer en fait.

    Il est très tactile. Il nous a raconté qu’à l’âge de 2 ans, il jouait avec ses mains dans la boue, et qu’il adorait ça. Et nous avons mis ça en parallèle avec le fait qu’à 69 ans aujourd’hui, il est toujours en train de manipuler de la glaise, de la mettre sur ses peintures. Pour moi, c’est la continuité de cet amour qu’il avait enfant. Et ses films reflètent ce côté organique.

    Assurant la voix-off du film, on découvre que Lynch est aussi un excellent narrateur.

    Oui, quand il vous raconte une histoire, elle prend vie immédiatement. Il les raconte à la façon dont il les réalise : en posant les choses, en insistant sur des détails, l’atmosphère. C’est naturel chez lui.

    Comment croire les souvenirs que vous raconte un homme qui a dit "J'aime me souvenir des choses à ma manière" ?

    Nous avons dû nous fier à ce qu’il nous disait. De la même façon que si je vous interrogeais sur votre enfance.  Bien sûr qu’il interprète les choses à sa façon : quand il croise cette femme nue couverte de sang dans la rue, je suis certain que c’est vrai. Elle était nue et couverte de sang. Mais la façon dont il le raconte, comme si elle venait d’un autre monde, c’est son interprétation, et ce qui est beau aussi.

    Votre film est aussi une source d’inspiration, d’encouragement pour les jeunes artistes : "si vous avez ça dans le sang, il faut avoir le courage de vivre la vie d’artiste". Etait-ce un propos que vous vouliez avoir depuis le début ?

    Non, c’est venu en apprenant la vie de David Lynch. Il n’est pas né artiste, il a énormément travaillé. Pendant ses années d’artiste, il crevait de faim. Il a dû travailler pour devenir le David Lynch que l’on connaît aujourd’hui. (…) Rien n’a été facile.

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    Quel est le premier film de Lynch que vous ayez vu ?

    Hormis Twin Peaks quand c’est sorti, je dirais Lost Highway, au cinéma. J’avais vu Eraserhead avant, mais sans savoir que c’était de lui ! Ça m’avait effrayé, quelque part.

    A quel point attendez-vous Twin Peaks saison 3 ?

    Je l’attends beaucoup ! Pour moi, le réalisateur Lynch se bonifie avec le temps. Il est de plus en plus clair.

    Ma dernière question sera pour vous parler d’un moment du film qui est très émouvant, c’est ce moment où Lynch raconte une anecdote sur ses voisins, les Smith, quittant le Montana et il s’interrompt. C’était trop difficile pour lui d’en parler ?

    Oui, la première fois que nous lui avons posé cette question, il s’est refermé tout de suite, ne voulait pas en parler, cela lui a rappelé des choses qui le dérangeaient. Nous avons donc attendu, plusieurs mois voire plus, avant de lui reposer la question.  Et la même chose se produisit. Sans doute que c’était de la nostalgie qui revenait. Nous n’avons pas insisté. Puis à la fin du tournage, nous lui avons reposé une dernière fois la question, il allait nous en dire plus, et il s’est à nouveau interrompu. Tout le monde nous parle de cette scène du film.

    Elle est saisissante !

    C’est étrange, car il nous disait "je n’ai jamais rencontré madame Smith", il ne nous a pas dit d’où venait toute cette émotion. A mon avis, et ce n’est que le mien, cet événement est intervenu la veille de son départ de Virginie pour aller à Philadelphie, qui marqua le début de sa période sombre. Toute sa famille était là pour le départ de ses voisins, et il se dit peut-être aujourd’hui "c’était un jour avant que tout ne change". Avant cela, tout était joyeux et coloré et après cela, les choses devinrent [plus dures pour lui]. Mais ce n’est qu’une possibilité ! Nous aussi nous aurions voulu avoir le fin mot de l’histoire…

    "David Lynch : The Art Life", réalisé par Jon Nguyen, Rick Barnes et Olivia Neergaard-Holm sort en salles ce mercredi :

     

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