En 2016, la cultissime licence vidéoludique Resident Evil célébrait ses vingt ans, et autant de jeux qui ont vu le jour. Resident Evil premier du nom, en 1996, a contribué à poser les bases du genre Survival Horror. Mélange d'exploration, d'action et de sensations fortes, le premier volet de la saga s'est vendu à l'époque à 2,75 millions d'exemplaires. Au fur-et-à-mesure des épisodes, la saga Resident Evil a exploré des voies différentes, des variations de Gameplay, sur le thème immuable de l'horreur. Si les épisodes se suivent, ils ne se ressemblent pas, et osent parfois la rupture : ce fut le cas avec l'extraordinaire Resident Evil 4, en 2005, qui se distinguera des précédents opus en proposant un Gameplay avec caméra à l'épaule pour accentuer le sentiment d'immersion du joueur.
Toutefois, plus la saga avançait, plus les jeux sont devenus des titres orientés avant tout sur l'action, avec des éléments horrifiques, au détriment de ce qui fait le sel d'un Survival Horror, c'est à dire un vrai sentiment de vulnérabilité. Un glissement qui a irrité nombre de fans de la franchise, même avec les 7,1 millions d'exemplaires vendus de Resident Evil 5, l'épisode le plus vendu de la saga.
La sortie de Resident Evil VII - Biohazard, le 24 janvier dernier, est justement l'occasion pour Capcom d'opérer un virage à 180° en revenant aux bases du Survival Horror et se réinventer, pour mieux se réconcilier avec son public de la première heure. Un genre qui est d'ailleurs depuis ces dernières années -et avec succès- largement occupé par des titres issus de la sphère indépendante, comme le terrifiant Outlast, sorti en 2013, ou, plus anciennement, Amnesia : the Dark Descent, en 2010.
Le résultat, fantastique et glaçant, est d'ailleurs assez ironique, à l'heure où cette même licence vient tout juste de s'achever sur grand écran avec un Chapitre final signé Paul W.S. Anderson toujours plus éloigné de l'ADN de la franchise...
Ma cabane au fond du bayou
Loin des personnages bien connus de la saga, le joueur incarne cette fois-ci un certain Ethan Winters. Ce dernier reçoit un message vidéo de son épouse, qui a mystérieusement disparue, et le suppliant de venir la retrouver. Traversant les méandres des marécages de la Louisiane, Ethan se rend dans la sinistre plantation de Dulvey; une bâtisse imposante et totalement isolée que n'auraient pas renié les détectives Rust Cohle et Martin Hart de la saison 1 de True Detective. Totems sinistres fait à base de carcasses d'animaux et scies circulaires, corbeaux et charognes cloués sur les portes, mouches agressives, moiteur étouffante, le personnage s'enfonce dans le domaine jusqu'à pénétrer dans la demeure, appartenant à une famille étrange et maléfique du nom de Baker... Qui ne tarde évidemment pas à mettre la main sur l'importun.
Prisonnier de leur manoir, Ethan Winters doit affronter et se confronter aux membres dégénérés de cette famille, véritable pendant vidéoludique de celle de Massacre à la tronçonneuse. Tandis que Marguerite et Jack, le couple Baker, accompagnés de leur fils Lucas, traquent le joueur sans relâche dans la bâtisse transformée en prison-forteresse digne du Sous-sol de la peur de Wes Craven, le joueur doit trouver les ressources et les armes nécessaires à sa survie, et la fuite sera bien souvent la meilleure issue pour se sortir d'une situation difficile.
Outre le fait que le jeu ne comporte heureusement aucune séquence en QTE (Quick Time Event, qui consiste à appuyer au bon moment sur le bon bouton), la tension est constamment palpable. Il faut toujours être vif et alerte pour échapper à ses poursuivants en profitant par exemple de la pénombre, ou bien de caisses ou meubles pouvrant offrir un abri de fortune, en croisant les doigts pour ne pas se faire repérer. Et même si le personnage est bien entendu amené à ramasser des armes nettement plus puissantes au cours du jeu, les munitions sont rares et données à doses homéopathiques. Elles sont d'ailleurs souvent bien cachées.
Fuir ou combattre
Le joueur doit également faire des arbitrages parfois douloureux sur son "style" de jeu : il peut privilégier un style offensif ou défensif, grâce à des sachets de fluides chimiques trouvés ça et là avec parcimonie. Combinés avec de la poudre à canon, il peut se fabriquer par exemple des balles au puissant pouvoir d'arrêt, à condition de viser au mieux (la tête, toujours la tête !). Ou alors combiner ces fluides chimiques avec un extrait de plante verte -comme au bon vieux temps- pour en faire une sorte de potion de soin, forcément très utile dans les moments tendus à craquer. Parce qu'autant le dire tout de suite : les rencontres avec certaines immondes créatures, ou même les membres dégénérés de la famille Baker, font parfois vraiment mal. Comme cette séquence qui donne de grosses suées où l'on affronte l'increvable père de famille dans une sorte de fosse. Un duel à mort entre un taille-haie géant et le joueur qui est armé d'une tronçonneuse assez capricieuse. Un petit clin d'oeil savoureux au duel de tronçonneuses de Massacre à la tronçonneuse 2...
Jeu d'ambiance à l'extraordinaire atmosphère, bénéficiant d'un souci du détail -bien glauque- qui force le respect, Resident Evil VII déroule une aventure qui respecte une unité de temps (une journée) et de lieu (le vaste manoir et ses abords immédiats). Il faut ici rendre hommage aux développeurs : la bâtisse est incontestablement un des véritables personnages du jeu. Rongé par l'humidité qui suinte et s'infiltre partout, sous-sol labyrinthique, d'une saleté repoussante, l'architecture du manoir et l'agencement de ses pièces sont diaboliques. Et si l'on repasse régulièrement aux mêmes endroits pour débloquer un nouveau passage, on n'a jamais l'impression de tourner en rond. Au contraire : sur la symbolique même, le joueur a sans doute davantage le sentiment de progresser par cercles concentriques jusqu'au coeur de la bâtisse, comme les neuf cercles de l'Enfer.
Autre changement radical dans ce 7e volet, et particulièrement bienvenue : l'équipe de développement a choisi, pour la première fois dans l'histoire de la saga Resident Evil, de proposer le jeu intégralement en vue à la première personne. "Lorsque nous nous sommes demandé comment faire ressentir aux joueurs un nouveau feeling sur la licence Resident Evil et en même temps leur donner l’impression de retrouver un sentiment de peur qui leur est familière dans cette licence, la vue subjective s’est révélée être la meilleure solution. C’est elle qui vous met au cœur de l’action, bien plus que les autres" nous expliquait Koshi Nakanishi, le Game Director du jeu.
Promesse largement tenue : la sensation d'immersion est non seulement au rendez-vous, mais elle est même carrément décuplée si vous jouez avec le casque VR de Sony. Si la résolution -limitée comparée à un écran de TV- du casque amoindri sensiblement le rendu visuel, l'impact émotionnel de l'aventure est nettement accru. Il faut quand même avoir le coeur sacrément bien accroché, en particulier dans les séquences où l'on joue au chat et à la souris avec les membres de la famille. Si vous avez une légère propension au masochisme, vous pouvez toujours compléter la panoplie de l'équipement en jouant avec un casque sur les oreilles, pour une immersion encore plus prononcée... Mais avec le risque de finir les nerfs en pelote.
La somme de toutes les peurs
"Si la caméra virtuelle d'un jeu vidéo ne constitue pas une révolution en soi, en revanche, l'usage d'une grammaire cinématographique proche de celle des films d'horreur a permis d'en exacerber les composantes dramatiques" explique Bruno Provezza, journaliste chez Mad Movies et co-auteur de l'ouvrage "Resident Evil : des zombies et des hommes" (paru chez Third Editions). Non content de multiplier avec une jubilation certaine les usages de la grammaire cinématographique comme les ellipses, fondus au noir et autre profondeur de champs, le jeu se fend en outre régulièrement de savoureux hommages à son grand frère, plus ou moins appuyés. En sus des films déjà précités, on pourra ajouter en vrac Evil Dead, La Maison des 1000 morts de Rob Zombie, les pièges sadiques et atroces dilemmes de la saga Saw, Le Projet Blair Witch, REC, et à peu près toute la panoplie de films surfant sur la mode du Found Footage.
C'est d'ailleurs sur cet aspect précis que figure une formidable idée de l'équipe de développement : les cassettes VHS. Au fil de l'aventure, le joueur pourra mettre la main sur des VHS. Une fois insérées dans un magnétoscope, celles-ci permettent de revivre, sous forme de flash-backs, dans la peau de différents personnages, des événements qui se sont déroulés dans la demeure avant l'arrivée du personnage principal. Dans ces séquences -par ailleurs facultatives, le jeu pouvant se terminer sans y avoir recours-, le joueur est non seulement actif, mais cela permet aussi de livrer quelques précieux indices sur certaines énigmes (jamais ardues non plus), pièges et autres mécanismes dissimulés. Une manière intelligente de prolonger l'aventure, tout en livrant des bribes du récent passé de la maison et des horreurs qu'elle renferme.
Pour terminer sur un léger bémol sans spoil, si le titre sait régulièrement ménager des moments de pure terreur durant une grosse partie du jeu, il baisse d'intensité dans son dernier tiers. Dommage, alors même que l'on s'attend logiquement à atteindre l'acmé d'une histoire et d'une (més)aventure qui redonne malgré tout ses lettres de noblesse à une cultissime licence. Resident Evil VII, un jeu renouant avec une certaine forme de peur authentique, sensorielle et viscérale. Jouer à se faire peur : voilà un sacré et délicieux paradoxe.