AlloCiné : Qu’est-ce qui a été le déclencheur d'Ouvert la nuit ? Etait-ce un projet que vous portiez depuis longtemps ?
Edouard Baer, acteur et réalisateur : Oui, c’est un mélange de deux films. D’abord, je voulais faire quelque chose sur Paris la nuit, et puis les coulisses des spectacles, les expériences qu’on a vécu avec la productrice (qui est aussi la productrice des spectacles qu’on fait). Ce sont des métiers où chaque journée est différente. Il y a un type d’énergie qui monte le soir, et qui redescend. Et puis, j’aime beaucoup Paris la nuit. Je voulais montrer le Paris de ce personnage, qui est ni ringard, ni branché. Il y a des endroits où il aime aller. Et puis, je voulais faire un portrait de personnages qui disparaissent un peu, une forme d’excentricité, de marginalité.
On connaît votre capacité à improviser. Le film paraît très spontané avec ce personnage qui déambule. Est-ce que le film était écrit de A à Z ou vous êtes vous laissé porter, avait laissé place à de l’improvisation ?
Moi j’aime quand il se passe quelque chose, et pas forcément que ça provienne de moi. Je suis aussi spectateur, pas seulement acteur. J’aime bien ça, les gens épuisants ! Le film est très écrit mais forcément sur le plateau, on s’autorise beaucoup de choses. Oui, bien sûr. Il y a des scènes qu’on a joué telles qu’elles étaient écrites, et puis on a fait des versions improvisées qui sont parfois celles qui sont restées. Quand je suis au commissariat avec la femme flic, on a gardé des versions entièrement improvisées.
Peut-on dire que c’est un film qui vous ressemble, avec à la fois beaucoup d’humour, mais aussi beaucoup de tendresse. On sent que c’est un film qui vous est personnel…
Oui, c’est ce qu’on appelle des comédies d’auteur. Il y en a en France : les films de Podalydès… C’est un genre que j’aime aussi beaucoup en tant que spectateur, le grand maitre de ça étant Woody Allen évidemment. Je trouve qu’on peut arriver à faire des comédies –c’est à dire vouloir faire rire- tout en restant un peu personnel et un peu sincère ou peut être sensible. On n’est pas obligé de se formater. Après, les choses vous échappent. Mais c’est agréable quand on sent qu’il y a quelqu’un derrière, comme quand on lit un livre et qu’on sent l’auteur derrière.
Un mot sur Sabrina Ouazani et Audrey Tautou, vos partenaires dans Ouvert la nuit ? Qu’est-ce qui vous a plu chez elles ?
Elles ont peut être un point en commun : ce sont des types de beauté sans minaudage du tout. Elles ont une façon d’être féminine qui ne passe pas du tout par les artifices qu’on créé d’habitude au cinéma. Elles ne se regardent pas être belles ! Elles sont dans la vie. En plus d’être extrêmement gracieuses, elles ont une énergie, un charisme, une présence, une autorité aussi. Je trouve que c’était bien que mon personnage soit confronté à des personnages féminins forts qui aient de l’autorité sur lui. Audrey joue un peu la meilleure amie, la sœur, de mon personnage, et elle a une autorité sur lui. Sabrina, dès le début, quand elle arrive, la stagiaire de Sciences Po, elle a dans l’œil cette autorité. C’est intéressant de confronter mon personnage à des femmes fortes.
La mise en scène est très élégante. Elle colle parfaitement à ce qui arrive à ce personnage. Il y a l'idée de déambulation dans cette mise en scène. Comment définiriez-vous ce type de mise en scène?
Absolument, il y a l’idée de fluidité. Pour moi, c’est un personnage qui ne s’arrête pas. Il n’y a pas de champ / contrechamp. Même s’il n’y a pas de radicalité dans les plans séquences, il y a cette impression que tout est toujours en mouvement. C’est la nuit de ce personnage, elle est pleine de couleurs, de lumière. Ce que je trouve beau dans la nuit, c’est de filmer les lumières qui ressortent. J’adore l’éclairage urbain, les néons, les lampadaires… [Le chef opérateur] Yves Angelo a un talent particulier et c’est un très bon cadreur aussi. Quand il y a des improvisations de mouvements, il faut prendre des partis. Il y a des choses qui sont de moi, des choses qui sont de Yves Angelo. Ensemble, ça fait un mouvement général.
La chanson de fin est composée par Alain Souchon. Comment cela est venu ?
Alain Souchon, je l’admire depuis toujours. Je me rappelais qu’il avait fait une chanson pour Truffaut, pour L’Amour en fuite. J’adorais cette chanson. (Il se met à chanter…) Je trouvais que c’était un thème pour lui, Ouvert la nuit. Ca ressemble à l’univers de Souchon. Il m’a dit qu’il ne faisait plus [de musique de films] mais il est quand même venu. On a fait une projection pour lui. Il est venu avec son fils, Pierre. Et puis, en sortant, ça m’a touché, il ma dit : "allez, je te la fais !" Je crois que le film lui a bien plu. Je suis allé l’écouter avec ses deux fils en studio, c’était incroyable cette séance d’enregistrement. Il n’y a que Souchon pour dire des phrases comme : "On se demande ce que l’on devient, ce qu’on va faire avec le jour qui vient." C’est d’une simplicité biblique, et pourtant d’une richesse. Avec des mots de tous les jours, il fait des images très fortes.
La bande-annonce d'Ouvert la nuit d'Edouard Baer