De passage express à Paris pour faire la promotion d'Assassin's Creed début décembre, Justin Kurzel s'est entretenu avec nous durant une dizaine de minutes. C'est évidemment très court, voire frustrant. Mais cela nous a malgré tout permis de mesurer une vraie sincérité dans les réponses de l'intéressé, qui devrait avec ce film continuer à creuser profondément son sillon dans le paysage cinématographique. Car si Assassin's Creed est incontestablement taillé et calibré comme un Blockbuster dans son acceptation la plus hollywoodienne du terme, le cinéaste a aussi veillé, ainsi qu'il nous l'a rappelé, à préserver un fragile équilibre avec une approche "artisanale" pour réaliser son film. Pour le vérifier, rendez-vous dans les salles obscures dès ce mercredi 21 décembre.
AlloCiné : Etiez-vous familier de la franchise ou, du moins, la connaissiez-vous avant d’accepter la réalisation du film ?
Justin Kurzel : Pas du tout ! Je connaissais le look des assassins parce que j’avais vu des affiches avant, mais je ne m’étais jamais penché sur le jeu avant. C’est Michael qui m’a expliqué le concept du jeu et du scénario. J’ai eu une grosse session de coaching / Training sur la licence, organisé par Ubisoft, durant deux jours, pour m’expliquer les tenants et les aboutissants de la franchise, le concept de changements des époques et différents niveaux, le background, etc. C’était vraiment bien, j’ai trouvé ça formidable en fait, et j’étais aussi assez émerveillé de voir et mesurer les progrès qu’ont fait les jeux vidéo depuis ces dernières années, et surtout depuis l’époque où j’y ai joué !
Quelle serait la recette d’une bonne adaptation d’une licence JV au cinéma ?
En fait, faire ce film a été pour moi le même processus qu’adapter Shakespeare avec Macbeth dans mon précédent film. Je dois dire qu’Ubisoft a été très ouvert à l’idée de créer un nouveau contexte, de nouveaux personnages, sur l’idée qu’on se concentre aussi sur le présent. Ils m’ont aussi laissé une vraie liberté, m’ont fait confiance. De fait, avec tous ces changements au cœur du film par rapport à la licence, je n’ai jamais eu l’impression qu’on se contentait juste de s’approprier le jeu, au sens où on se serait contenté de plaquer des éléments du jeu directement dans le film, en choisissant la voie de la facilité. Le film devait trouver sa propre voie en tant qu’objet cinématographique, et ne pas être une simple décalque du jeu. Pour le scénario par exemple, nous avons travaillé très étroitement avec eux ; le script a fait plusieurs fois la navette entre nous, ne serait-ce que pour voir et mesurer si nous étions sur les bons rails. Nous avons aussi choisi de privilégier un tournage en réel, plutôt que d’avoir un recours massif aux CGI. C’était important pour que le public se plonge facilement dans cet univers, ce que n’aurait pas permis le CGI. Le jeu fait ca très bien avec ses effets visuels. Mais nous pouvions et voulions faire en vrai le saut de la foi, les courses en parkour, etc.
En parlant d’idée vraiment bien faite, il y a notamment dans le film cette séquence avec l’Animus, lorsque Cal Lynch se bat, où l’on voit le passé et le présent se confondre. Visuellement, c’est assez bluffant, et surtout lisible. Etait-ce une idée à vous ?
Merci pour le compliment ! Effectivement, c’était notre idée, car nous voulions montrer comment Cal évolue et fusionne d’une certaine manière avec son ancêtre Aguilar, montrer comment il absorbe son habileté et son expertise malgré les 500 ans qui séparent ces deux personnages, qui partagent le même sang. C’est aussi l’ADN de la licence. Voilà pourquoi il ne fallait pas se contenter de montrer Cal dans son lit ou être totalement passif sur les expériences qu’il subit pour le plonger dans le passé de ses ancêtres. Cet effet visuel vise à souligner ou montrer la synchronisation entre lui et son ancêtre.
Concernant l’utilisation des CGI dans le film, on a effectivement l’impression de "Less is More" ; qu’ils sont là mais à dose homéopathique.
Je vais vous dire, je commence à en avoir assez de cette invasion des CGI ! Passé deux jours à tourner devant un fond vert, ma vue se fatigue et se trouble, je commence à devenir physiquement malade à force de voir du vert en permanence ! Parallèlement à ça, j’aime les vrais costumes, mettre de vraies personnes dedans, les vrais lieux de tournages… Vous savez, j’avais en tête de belles références quand je tournais, comme Lawrence d’Arabie, et même les westerns de Sergio Leone, notamment la manière dont il utilisait les environnements. J’avais ça à l’esprit lorsque nous avons tourné à Malte, notamment pour les scènes où les Assassins sautent de toits en toits. C’est finalement une approche assez Old School mais qui reste très ambitieuse, difficile aussi, ne serait-ce que pour gérer les cascadeurs dans de tels environnements. Je suis intimement convaincu que ça contribue à donner à Assassin’s Creed un cachet visuel assez unique.
Propos recueillis à Paris le 5 décembre 2016 par Olivier Pallaruelo