AlloCiné : Après Discount, vous confirmez avec Carole Matthieu votre intérêt pour un cinéma social...
Louis-Julien Petit, réalisateur : Ce n’est pas faire du cinéma social, mais en tout cas des intrigues sociétales, des intrigues qu’on peut partager. Quand on va au cinéma, on va voir une histoire. Et surtout, on a envie qu’il y ait une problématique, une problématique dans le personnage, sinon on s’ennuie un peu ! Il faut qu’il se passe quelque chose. Moi j’ai envie que cette intrigue soit sociale, sociétale, qu’elle se partage, qu’elle fasse débat, ça c’est important. C’est plutôt ce cinéma-là qui m’intéresse. Il y a des problématiques de société qui me révoltent et j’ai envie de m’interroger.
Quelle est justement l'origine de ce projet ?
L-J P. : Après Angoulême, après Discount, le film n’était pas encore sorti en salles. Liza Benguigui, ma productrice, m’a appelé en me disant qu’elle avait vu Isabelle Adjani. 'Elle a un roman, elle aimerait te le faire lire'. C’est un roman de Marin Ledun qui s’appelle Les Visages écrasés. Elle me dit que ça ne va pas me plaire, que c’est sur le flicage, sur la déshumanisation, sur le monde des télé-conseillers… Elle m’a accroché comme ça ! Elle m’a dit : je pense que ça n’est pas pour toi !
J’ai commencé à le lire, j’ai plongé dans le bouquin qui est super. Et je me suis dit 'Ok, je vais essayer'. J’ai rencontré Isabelle Adjani et je me disais : comment je vais faire pour la persuader que je suis le meilleur réalisateur pour ce film ? En fait, c’était complètement l’inverse : c’était elle qui était « vous voulez le faire ? ». J’étais impressionné ! C’était juste après Discount. Et on l’a fait. Arte a été un partenaire dément, de A à Z, l’accompagnement dans l’artistique, dans la production... Je suis heureux, le film démarre ici encore une fois, à Angoulême.
Et de tourner avec Isabelle Adjani…
L-J P. : Déjà son engagement, il est très clair. Si on prend l’origine du roman, le fait qu’elle ait eu les droits, elle est productrice associée, elle est extrêmement engagée et généreuse avec l’équipe technique, ses partenaires de jeu, elle est extrêmement concentrée, même avec la figuration. Petite anecdote : les figurants ont fait une chanson pour elle à la fin. Elle a reçu des cadeaux… C’était super beau !
Le sujet, ce drame est tellement dur et cette entreprise et ses méthodes de hard management sont tellement dures que ça a provoqué dans toute l’équipe une générosité folle, une entraide folle entre nous, avec des moments d’émotion assez forts.
Sarah Suco, comédienne : Oui, c'est une icône, c'est une actrice incroyable. J'étais très impressionnée avant. Après, elle est extrêmement simple. C'est une super camarade de jeu. Elle donne beaucoup, elle est très généreuse. J'ai trouvé ça super agréable.
Corinne Masiero, comédienne : Elle s’est comporté avec nous, avec les techos, et puis avec les figurants, exactement de la même manière. Comme au théâtre. Tu es sur un plateau et en face de toi, tu as un collègue. Et elle ne fait pas semblant. Elle est vraiment humble. Ce qui fait que tu n’as pas de complexe. Dès que ça commence, action : tu as Isabelle, t’as pas Adjani !
Quels sont les films d’Isabelle Adjani qui vous ont le plus marqué ?
C.M. : Moi, ma scène préférée d’elle, je crois que c’est dans Possession. Quand elle est dans le métro et qu’elle pique sa crise. La deuxième, c’est dans Subway, quand elle est à table, en train de se faire ch*** avec tous les petits bourgeois et qu’elle dit stop, racontez tout ça à votre voisin ! (rires)
S.S. : Je crois que c’est L’été meurtrier. Elle réussit à proposer un personnage pendant tout le film. Dans L’Eté meurtrier, elle joue cette fille sublime en quête de vengeance, et il y a toujours un décalage en fait. Elle m’a marqué, j’aime beaucoup ce film.
Il y a plusieurs niveaux de lecture dans le film… Il y a des éléments de fantastique dans le film aussi…
L-J P. : Oui, il y a des éléments... Le film est un thriller social qui flirte un peu avec le fantastique de temps en temps. C’est assez étrange. L’idée de mise en scène était de travailler sur le ressenti de cette médecin du travail, l’émotion… Les scènes sont dans son point de vue et dans l’étrangeté de son point de vue. Un peu comme le dit Marin Ledun, c’est son personnage à lui, Carole Matthieu est un ange mi-rédempteur, mi-exterminateur. Elle est à la fois médecin du travail, médecin, et patiente. Elle-même a subi une agression il y a quelques années par un de ses patients et elle essaye de se relever de ça et de soigner d’autres personnes. Après il faut arriver à mettre la distance entre le pro et le perso, ce que ne fait pas Carole Matthieu.
C.M. : Ce qui est bien, c’est que Louis-Julien, il va sur le terrain. Il fait quasiment du boulot journalistique, documentaire, d’investigation. Je pense que c’est pour ça que dans ses films, il y a des trucs qui paraissent vrais. Il s’investit beaucoup.Il défend encore une histoire terrible, qui est la souffrance au travail, la maltraitance au travail. Et la bande de Discount, ça nous concerne aussi, c’est une nécessité de raconter ça, de dénoncer ça. Et surtout de le dénoncer avec un talent artistique.
Il y a plusieurs grilles de lecture : tu peux voir l'aspect social, le thriller noir, l’histoire d’une femme folle, ou comme nous le faisait remarquer quelqu’un dans le public, un film chamanique avec des symboles ! Il faut voir le film au moins quatre fois pour regarder les quatre grilles différentes ! Ca, c’est fortiche !
S.S. Ce qui est bien, c’est que ça fait des entrées ! (sourire) Dans Discount, il avait pris l’angle de la comédie, de la bande. Là, c’est vrai que c’est plus dur, il n’y a pas tellement cet aspect comédie, mais encore une fois, ce n’est pas misérabiliste, ce n’est pas triste, ce n’est pas glauque sur un sujet qui pourtant pourrait l’être. Il évite ces écueils par une mise en scène très lyrique. Je trouve ça très poétique, très onirique.
Quels sont vos projets de films pour la suite ?
L-J P. : C’est un projet sur la réinsertion, sur les travailleurs sociaux qui se battent et qu’on n’aide pas à aider des femmes à se réinsérer dans la vie. Je suis en écriture.
La bande-annonce de Carole Matthieu, à l'affiche ce mercredi :
Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2016