AlloCiné : Quels souvenirs gardez-vous de votre découverte de la BD de Jim et Dominique Mermoux ? À quel moment le déclic de l'adaptation s'est-il produit ?
Michaël Cohen : Mon ami, et producteur de mon premier film Ça commence par la fin François Kraus, m’a donné à lire cette BD en étant persuadé qu’elle me toucherait. Et comme il me connait bien, il a vu juste. J’ai tout de suite adoré son point de départ, ce test de l’amitié en pleine nuit et surtout ce que ça racontait sur le couple, en l’occurrence un couple d’amis.
Quelle était la difficulté principale sur ce film ? Sa "simplicité" notamment ?
J’adore parler des choses de la vie quotidienne, ce qu’on vit, ce qu’on ressent, ce qu’on dit, n’ose pas dire, ce qui nous étouffe, nous donne envie de vivre, nous fait rire, nous rend heureux ou malheureux… Je suis une éponge. J’absorbe tout ce qu’il y a autour de moi. C’est pour ça d’ailleurs que je dors mal car mon cerveau ne s’arrête jamais. Et donc, cette "simplicité" est pour moi la complexité de la vie. C’est ce que j’ai envie de filmer. C’est aussi ce que j’aime voir au cinéma comme spectateur.
On dit toujours qu'un premier film est difficile... Mais un deuxième ?
Réussir à faire un film est miracle. À tous les niveaux. Toutes les étapes. Que ce soit le premier ou le dixième.
Les deux séquences en bord de Nationale sont très réussies. Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage de nuit, en bord de route, où l'on imagine une ambiance particulière ?
Ces séquences étaient de vrais paris. D’endurance d’abord, parce que tourner trois semaines de 21h à 6h du matin ça demande une certaine forme physique. Mais ça nous entraine aussi vers un ailleurs, presque une autre dimension. Le rythme interne change, le corps ne bouge plus de la même façon, et le jeu devient peut-être plus vrai, en immersion avec nos personnages. Ensuite, l’autre pari de ces séquences était de les rendre extrêmement vivantes, dans un lieu unique. D’enrichir visuellement ce lieu. C’est ce qu’on a réussi à faire, il me semble, avec mon chef-opérateur Jean-Christophe Beauvallet dont c’est le premier film et qui, je trouve, a fait un travail magnifique notamment sur les nuits.
La deuxième séquence en bord de Nationale, entre vous et Nicolas Bedos, est très juste dans sa capacité à montrer à quel point, avec les gens les plus proches de nous, on peut être dans les non-dits, puis dans la méchanceté pour finir par tout effacer. C'était important de montrer cet aspect de l'amitié ?
Oui… L’amitié c’est comme l’amour. On oublie de regarder l’autre parfois, tellement on attend de lui qu’il nous aime mieux que tous les autres ! Et si ce n’est pas le cas, le sentiment d’injustice peut être très fort. Pour Raphaël et Léo, c’est une des choses qu’ils ont à régler. Dépassionner l’amitié. La rendre plus adulte.
Le film pose justement la question du fait de grandir, et de l'amour qui prend peu à peu la place de l'amitié. C'est un cycle inévitable selon vous ?
On doit pouvoir gérer tout ça à la fois. Mais pour cela, il faut travailler sur soi. Accepter qui on est. Se débarrasser de notre enfance un peu compliquée. Et trouver sa place.
Vous avez ajouté des scènes de flashback, absente de la BD originale, pour revenir sur les fondations de l'amitié de vos héros. Pourquoi avoir choisi ces trois moments en particulier ?
J’avais envie de raconter leur amitié profonde par trois scènes clés. Trois moments de leur vie. Sans les voir se taper dans le dos toutes les 30 secondes à se dire qu’ils sont super potes ! Ces trois scènes en disent très long sur leur parcours ensemble.
Comment s'est déroulé le travail d'écriture avec Dan et Lena Coen puis avec Nicolas Bedos ? Quel impact ont-ils eu sur le scénario ?
Lena et Dan Coen ont une façon de travailler passionnante. Ils "grattent" tous les personnages en profondeur. Ensuite, on ne garde que l’essentiel mais avec en dessous tout le background qu’on n'a plus besoin d’expliquer. Ils avaient fait ce travail notamment dans No country for old men, et c’est vrai que par exemple le personnage de Javier Bardem ne parle que très peu et pourtant on sent tout derrière ces silences. Ce n’est pas étonnant qu’il ait reçu l’Oscar pour ce rôle-là. Si le personnage est travaillé en profondeur en amont, on peut se permettre de couper beaucoup de dialogue après. Tout ressort naturellement, dans les gestes, dans les regards. C’est comme ça que j’ai travaillé aussi avec Lena et Dan pour mon personnage. Nicolas, quand je lui ai proposé le rôle, m’a dit oui en deux heures et m’a demandé si je voulais bien qu’il repasse une petite couche générale sur le scénario. J’ai bien évidemment dit oui et je n’ai pas été déçu.
Dans le film, Nicolas Bedos joue quelqu'un qui semble proche de ce qu'il est, du moins médiatiquement, mais vous montrez ses failles et sa tristesse. C'était important de fendiller son "armure" et d'aller chercher de la sensibilité chez lui ?
Je connais bien Nicolas dans la vie. J’avais envie de prendre le meilleur de lui. Le filmer comme un acteur italien, Vittorio Gassman ou Marcello Mastroianni, avec en plus un côté "Gainsbourien", prince de la nuit. Je voulais bien sûr garder son côté provocateur, mais montrer que derrière ça, il y une générosité incroyable. Une sensibilité à fleur de peau. C’est quelqu’un qui me touche énormément. Et dans mon film, je le sens totalement en prise avec son personnage et en lâcher prise dans son jeu. Il est étonnant. Et je suis tellement heureux des retours que j’ai sur lui. J’ai l’impression que les gens le découvrent. Qu’ils le voient enfin. C’est quelqu’un qui va compter très fort dans les années à venir en tant qu’acteur.
Comme tous les films sur les rapports humains, votre film a à la fois sa propre particularité... et en même temps une universalité où chacun peut se reconnaitre.
C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. Je fais des films qui parle de l’intime et dans lesquels, j’espère, les spectateurs s’y retrouvent, s’interrogent, sortent un peu différents.
Quels films de potes, ou du moins sur l'amitié, recommanderiez-vous ?
Husbands de John Cassavetes, Vincent, Francois, Paul et les autres de Claude Sautet, Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poiré, Tandem de Patrice Leconte, Les Valseuses de Bertand Blier, Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert, L’Epouvantail de Jerry Schatzberg, Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, Il était une fois en Amérique de Sergio Leone.
Et sinon... vous vous lèveriez, vous, pour aider un pote à 3h du mat' ?
Oui. Mais si c’est un test, là je vais gueuler…
De Michaël Cohen - Avec Nicolas Bedos, Michaël Cohen, Camille Chamoux
En plein milieu de la nuit, Léo réveille son meilleur pote, Raphaël. Sa voiture est en panne, à une heure de Paris. Hors de question pour Raphaël d’y aller… jusqu’à ce que la femme de sa vie le pousse hors du lit. Arrivé sur place, il découvre qu’il n’y a aucune panne mais du champagne, des amis et une fête improvisée… Léo a fait un test à l’amitié. Et si une amitié, une existence entière ne dépendait que de cette seule question : "Tu te serais levé, toi, pour aller dépanner un pote à 3h du matin ?"
Les coulisses du tournage