AlloCiné : Vous êtes là pour nous présenter Bleeder, votre deuxième film, qui vient d’être restauré.
Nicolas Winding Refn : J’ai fait le film en 1998 et quand je l’ai terminé, la société qui le distribuait a fait banqueroute. Du coup, les droits sont partis avec. Ce n’est qu’il y a quelques années que j’ai pu racheter le film. Ce n’est pas tellement que j’avais envie de le revoir, mais de pouvoir le mettre dans un carton, chez moi, si je voulais. Comme j’ai travaillé dessus, je voulais pouvoir le protéger moi-même. Je n’aime pas passionnément fouiller mon passé, par ailleurs. Regarder dans le rétroviseur, ce n’est pas mon truc. Dans le cas présent, l’idée c’est d’avoir ses souvenirs sous clefs, quelque part, pour mieux les contrôler. J’ai commencé à réfléchir à une façon de le présenter à nouveau, même si ça fait drôle de revenir à quelque chose d’aussi ancien. Mais je pensais aussi que, comme le film n’avait jamais vraiment été sorti, ça pouvait créer un petit événement, comme si j’acceptais mon passé imparfait.
On dirait une sorte de suite à Pusher, même si Pusher a ensuite eu une vraie suite…
C’est que j’ai utilisé les mêmes acteurs. Ça a recréé la même synergie. Mais, pour moi, Bleeder était une façon de m’attaquer à ma grande obsession : comment ne pas faire un film ? C’est une question que je me pose toujours depuis. Comment faire ? Parce que, faire un film, ça ne me fascine pas. Ça ne m’attire même pas. Par contre, ce qui me séduit, c’est de me demander ce que serait un film, s’il n’était pas un film. Là, ça me branche.
Votre façon de filmer Bleeder est très différente de vos films plus récents. La caméra est plus mobile, le cadre moins composé… Qu’est-ce qui a changé ?
Ça vient naturellement quand on veut avoir davantage de contrôle sur ce qui se passe dans le cadre. C’est presque une malédiction, parce qu’on devient de plus en plus obsédé. Et, en même temps, c’est une névrose intéressante parce que ça n’est jamais assez. J’ai commencé mes films avec un style bien plus documentaire. Je voulais saisir l’authenticité des situations. J’ai vite réalisé que c’était impossible, donc j’ai créé une forme de surréalisme que je peux mieux contrôler et façonner.
Bleeder est votre film le plus cinéphile. On y cite des réalisateurs, y compris Lars Von Trier qui est devenu votre rival au Festival de Cannes, puisque vous aimez tous les deux le scandale !
Bleeder, c’est un film sur la mort du cinéma, par beaucoup d’aspect. C’était l’époque où la VHS se transformait en DVD, ce qui a lancé la révolution numérique qui a bouleversé le cinéma et transformé son identité. Moi, je n’ai pas grandi dans les salles obscures. Je suis un peu jeune pour cette cinéphilie. Pour moi, ça a toujours été le petit écran. Et je trouvais ça amusant de faire un film sur cette idée de vivre dans un monde d’illusion qui définit le cinéma. D’autre part, j’ai beaucoup de respect pour Lars Von Trier depuis toujours ! C’est une force de la nature.
Ce film vous semble-t-il un peu moins violent que la moyenne de vos productions ? Bien sûr, c’est plus cru qu’Inside Job, votre film suivant, mais on est loin de Le Guerrier silencieux, Valhalla Rising ou d’Only God Forgives…
Je crois que c’est très subjectif. Ça varie d’un spectateur à l’autre.
Bleeder sort en France au cinéma le même jour que The Neon Demon en DVD & Blu ray. Espérez-vous que les spectateurs qui s'intéressent à votre film le plus récent aient la curiosité d'aller voir l'un de vos premiers par la même occasion ?
Bien sûr, parce que c’est toujours très intéressant de savoir d’où on vient. La clef de la compréhension de chacun réside dans notre passé.
Vous voilà à nouveau au Grand Lyon Film Festival à nouveau. Aimez-vous cette frénésie autour du cinéma de patrimoine ?
C’est comme un condensé d’adoration pour le cinéma. Comme un musée qui vous fait voyager dans le temps. Le passé est fondamental si on veut bien comprendre l’avenir. Venir ici, c’est formidable, pour moi.
Lors de sa masterclass, Quentin Tarantino a dit : "L’usage du sang dans L'Enfant massacre de Kenji Misumi est une pure merveille et si vous demandez à Nicolas Winding Refn, il vous le confirmera".
C’est exact. On a dû faire un coup de télépathie, j’imagine, pour être à ce point sur la même longueur d’ondes ! (Rires) Voilà une analyse très fine et précise sur la beauté et l’impact de la couleur rouge.
Cette année, on a aussi pu voir au cinéma des films que vous présentez en introduction, comme La Planète des Vampires ou L’Eté de Kikujiro. En verra-t-on d’autres ?
Oui ! Nous sommes en train de débattre sur les prochains titres qui vont nous intéresser. C’est un petit projet dont je m’occupe à côté de mes films, mais il m’amuse beaucoup. D’ailleurs, si je peux aider de beaux films à avoir un second souffle, je suis ravi.
Vous préparez un nouveau film ?
Je suis toujours en train de préparer un nouveau film, même si on ne sait pas encore de quoi il s’agit. Mais j’aime beaucoup aller de l’avant. C’est toujours difficile de vous donner des indices, parce que je ne sais pas encore bien de quoi il s’agit moi-même, mais j’ai très envie de savoir ce que ça va devenir.
Nous rencontrons Jerry Schatzberg plus tard. Avez-vous un message à lui transmettre ?
Demandez-lui où il conserve sa Palme d’Or. Ça me donnera des idées pour le jour où j’en aurai une moi-même ! Dites-lui aussi que je me souviens que mon beau-père m’a emmené voir Besoin d’amour à sa sortie et que ça a eu beaucoup d’impact, sur moi. C’est un très beau film.
Au Festival de Cannes 2016, vous étiez galvanisé par la controverse autour de The Neon Demon. Ici, à Lyon, il n’y aura sûrement pas de controverse. Pourtant, vous êtes là ! N’est-ce pas la preuve qu’il n’y a pas que le scandale qui vous stimule ?
Cannes, c’est la controverse, parce qu’on y célèbre l’exploration des possibilités du cinéma. C’est ce qui se passe sur le moment. L’énergie est très différente. J’adore être dans l’œil du cyclone, j’adore le chaos et la diversité. Je me sens vivant grâce à ça. C’est ce qui m’anime. Ici, ce n’est pas la même chose, car on met notre histoire en perspective. Pas besoin d’aller chercher le scandale. Il suffit de regarder des grands films comme de beaux documents sur l’évolution du Septième art. C’est bien plus calme et c’est seulement un plaisir d’être ici. On n’est pas dans cette quête obsessionnelle de l’opinion des gens. Ici, on célèbre de grands chefs d’œuvre. Il faut goûter à Cannes comme à Lyon car les deux situations sont complémentaires. Ici, c’est un peu plus comme le Fantastic Fest à Austin, au Texas : on se rassemble et on communie autour de notre amour du cinéma en tant qu’art. On ne vient pas pour les critiquer, les analyser ou faire entendre son point de vue. A Cannes, le but du jeu, c’est de crier son avis le plus fort possible et plus on crie sur votre film, plus il se charge d’énergie ! J’ai eu la chance d’avoir mes trois derniers films projetés à Cannes et le Festival aurait été un peu moins marrant sans eux.
Bleeder, deuxième film de Nicolas Winding Refn, actuellement présenté au Festival Lumière
Propos recueillis par Gauhier Jurgensen le 13 octobre 2016 à Lyon
Bleeder sort en salles le 26 octobre 2016, jour de la parution de The Neon Demon sort en DVD & Blu ray