C’est quoi un "vigilante" ?
Un vigilante (anglicisme tiré du latin vigiles urbani), seul ou en comité, est un justicier, juge et bourreau qui agit hors du cadre légal et pourchasse les criminels ou ceux qu’il considère comme tels, histoire de mettre en pratique sa conception de la justice et de suppléer ce faisant aux "errances" d'autorités en lesquelles il ne croit plus. Dans sa version cinématographique, cela donne un redresseur de torts généralement porté sur une application très, très, très rigoureuse des sanctions à faire subir à la vermine qui sape les fondements de notre belle société / immonde nids de pourceaux fornicateurs (selon la perspective d'où il se place).
Bref, le vigilante, c’est le SAV de la police et de la justice légale, laquelle est toujours décevante en ce que sa vocation, civilisatrice, est rarement d’appliquer la loi du talion et qu’elle relâche parfois les coupables. En général, ce nettoyeur exorcise au passage un traumatisme personnel assez lourd, mettant en pratique dans les rues son goût pour l'auto-défense et un code pénal façon Ouest impitoyable. En somme, il se fait justicier au-delà de sa propre vengeance, et s’affronte à la société d’une manière directe, fasciste ou "libertaire" selon l’angle de vue. Parfois ancien militaire ou policier (nettement plus utile que des compétences en horticulture pour dessouder du sauvageon), le vigilante se met lui-même hors-la-loi, d’où son profond paradoxe. Ce "sauveur" est ainsi un marginal, modelé sur l’ancien justicier de western devenu anti-héros une fois transplanté dans la jungle urbaine. Figure ambiguë et donc jugée diversement, ce réprouvé n'est pas un héros au sens strict - surtout s’il goûte la violence autant que la justice ou la morale. Mais s’il emploie des méthodes douteuses, il ne saurait être un nazillon, un psychopathe complet ou un raciste (il a même tendance à les châtier) sans passer totalement de l’autre côté, et son cheminement ajouté à une certaine forme d’éthique le rendent acceptable et même aimable aux yeux du public. La frontière est mince, cependant, entre l’anti-héros et le pur meurtrier, ce qui fait la richesse d’un personnage pas si monolithique qu'attendu.
Le genre du Vigilante movie
A rapprocher du film de vengeance ou encore du Rape & Revenge, avec lesquels il entretient un cousinage plus qu’évident (question de dosage), il prend historiquement son essor dans les années 70 (même s’il est né bien avant et qu’on en retrouve des traces dans toute l’histoire du cinéma, jusque dans M le Maudit), culmine au tournant d’années 80 qui sont celles de Reagan, Thatcher et de la "révolution conservatrice", avant de s’effacer un peu à la fin des eighties. Tout cela, quand bien même il n’invente en rien le personnage du justicier ou le thème de l'auto-défense, et essaime dans d’autres genres qui lui empruntent ses schémas. Le vigilante movie fait retour ces dernières années avec les Death Sentence, A vif, voire Man on Fire, et plus récemment avec Harry Brown ou Gran Torino, même si ce dernier semble vouloir "tuer" le vigilante movie comme Impitoyable avait paru "tuer" le western, avec un Clint Eastwood pour étendard paradoxal, à la fois incarnation et fossoyeur du genre. Souvent qualifié de réactionnaire ou de crypto-fasciste et assimilé au passage à de la série B (d'ailleurs Tarantino est fan, cf. Kill Bill), le vigilante movie mérite un jugement plus nuancé et surtout plus approfondi, en ce qu’il exprime un libertarisme certes équivoque, assume son ambivalence, traduit un climat de tension sociale, piétine les interdits moraux et s’attaque frontalement à la représentation du crime, notamment sexuel. Bref, il faut voir au-delà du côté éventuellement bourrin de la chose, et se montrer moins expéditif que le nettoyeur.
On distinguera le vigilante movie du film de super-héros (sortes de super-vigilantes), en raison de la crudité et du réalisme de son approche, et d’intentions souvent divergentes, l’adaptation de comic lorgnant plus fréquemment et explicitement sur le divertissement, et le super-héros se présentant souvent comme un auxiliaire de la Justice, plus qu'un bourreau en rupture de ban. Cependant, les genres étant des cloisons poreuses, sont apparentés au personnage des anti-héros comme :
- le Punisher (qui ne "venge pas mais châtie", donc le vigilante détraqué par excellence, dans tous ses excès sadiques), créé en 1974 - l'année du premier Death Wish -, et très médiocrement filmé à trois reprises.
- les Watchmen (leur nom l’indique assez), particulièrement Rorschach, variante moorienne à trenchcoat du Punisher, dont le discours écoeuré face aux vices modernes est un modèle d’épanchement vigilantesque (voir ici). Batman est plus un justicier qu’unvigilante, mais sa part d’ombre le rapproche de ce dernier, particulièrement lorsqu’il est dépeint, vieilli et fascisant, par Frank Miller (Batman: The Dark Knight Returns).
Signalons enfin que le genre est très anglo-saxon et américain, ce qui s’explique aisément vu le nombre d’agités de la gachette qui sévissent outre-Atlantique et les facilités qui leur sont laissées quand il s’agit de se procurer des armes. Les milices d’auto-défense ou de protection des braves gens ont toujours été une spécialité (mais pas une exclusivité) de l’Oncle Sam, et la méfiance à l’égard des autorités légales/fédérales se manifeste aux Etats-Unis à un niveau rarement atteint dans une démocratie, qui pourtant applique fréquemment la peine de mort, ce qui pourrait suffire à démontrer l’inflexibilité du législateur et à rasséréner les vengeurs du dimanche. Bref, le terreau est favorable. Toutefois, originellement, le justicier solitaire de l’Ouest ne se confond pas avec les milices (comme deux étymologies différentes). Le vigilante affronte en définitive plus régulièrement ces groupes qu’il n’y collabore.
C’est qui ?
Pour faire court, l’archétype absolu, c’est évidemment Charles Bronson (ex cow-boy), aka Paul Kersey, architecte reconverti dans la justice personnelle après le meurtre de sa femme et le viol de sa fille dans Un justicier dans la ville (1974), qui connut quatre suites, pas toutes indispensables. Kersey, c’est le parangon, celui qui incarne le vigilante aux yeux des spectateurs, et devient malgré ses méthodes un héros aux yeux de la population en accomplissant ce que la police se révèle incapable de faire - laquelle n'apprécie guère la concurrence.
Pour faire long… il existe bien entendu d’ autres figures tutélaires, et surtout une, nettement plus problématique : le vigilante cop Harry Callahan campé par Clint Eastwood, acteur lui aussi venu du western (et l’on reparle de filiation entre genres). Comment ne pas songer au flingueur de San Francisco quand on cause vigilante ? Comment ne pas repenser aussi aux critiques parfois sévères que le personnage a suscitées ? Pourquoi problématique, alors ? Parce qu’Harry Callahan est flic. Un flic jusqu’au boutiste, violent, en rupture avec sa hiérarchie, un flic cabochard qui transgresse la loi au besoin et sème les morts derrière lui, mais un bras armé de la justice légale, quand bien même il la bafoue régulièrement ou exprime son dégoût lorsque cette dernière laisse filer un Scorpio (L'Inspecteur Harry, 1971). S’il participe pleinement à la construction de l’imagerie duvigilante, en devenant même une des principales incarnations dans l’imaginaire populaire et auprès d'une critique rétive, de fait il n’en est pas totalement un stricto sensu, policier assermenté pour faire régner l’ordre, même s’il fait primer une interprétation toute "callahanienne" du Droit. Dirty Harry reste toujours à la croisée des chemins : dansMagnum Force, renvoyant dans les cordes les mauvaises langues qui ne voyaient en lui qu’un flic réac’, il traque lui-même des escadrons de la mort composés de jeunes policiers qui jouent les vengeurs durant leur temps libre, et dont ces mêmes critiques le supposaient idéologiquement proche – les escadrons aussi, qui tentent dans un premier temps de rallier Callahan à leur cause.
On ne va pas citer ici tous les cousins, aïeuls ou la nombreuse progéniture de ce couple de patriarches (Clint et Charlie en couple, on vous l’accorde, l’image est étrange…), mais on peut signaler qu’il existe des vigilantes au féminin (A vif, L'Ange de la vengeance, voireBaise-moi), au pluriel (Vigilante - justice sans sommation, monument du genre), à la télé (Dexter, vrai psychopathe pour le coup), voire dans le cinéma français : le Delon de Ne réveillez pas un flic qui dort expédie ad patres des policiers d’extrême-droite, et celui de Parole de flic affronte une… milice de justiciers extrêmistes qui ont tué sa fille - où l’on retrouve le côté paradoxalement bouffeur-de-facho de celui qui use de méthodes pas franchement gandhistes. Que ce soit dit, le vigilante, hors-la-loi, supprime des criminels, même si ces criminels sont eux-mêmes des ersatz de vigilantes, tant il est vrai que l’homme est un loup pour l’homme...
La justice-minute façon Paul Kersey :