Mon compte
    Love & Friendship : "J’ai toujours pensé que Kate Beckinsale serait la meilleure Lady Susan"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Avec Love and Friendship, Whit Stillman s'empare de l'univers de Jane Austen et en montre une rare facette comique. Il retrouve le tandem des Derniers jours du disco, Kate Beckinsale et Chloë Sevigny. Rencontre à Paris avec un cinéaste francophile.

    Blinder Films - Chic Films - Revolver Amsterdam - ARTE France Cinema

    Allociné : Quelle est votre relation avec la ville de Paris ? Vous y avez habité ?

    Whit Stillman, réalisateur : J’y ai tourné le pilote de la série The Cosmopolitans en février 2014. J’ai fait des aller-retour à Paris depuis. Et avant ça, j’ai vécu ici entre 1998 et 2007. Je vis ici. C’est ma ville maintenant.

    Est-ce que Paris est une source d’inspiration pour vous ?

    Pas pour ce film, même si on l’a terminé ici. On a fait le montage ici. Mais ma série The Cosmopolitans entre en connexion avec Paris. Nous avons fait un épisode à Paris en 2014, et je suis en train d’écrire de nouveaux épisodes. Mais la série ne se situera pas uniquement à Paris, nous irons en Europe. Mais les personnages viennent de là.

    Parlons de Love and Friendship. Tout d’abord je me demandais comment vous aviez découvert cette nouvelle de Jane Austen, qui d’ailleurs ne s’appelle pas comme ça en réalité.

    Oui, j’ai changé le titre. Love and Friendship sonne davantage comme du Jane Austen. Elle avait utilisé ce titre Love and Friendship pour une autre nouvelle assez insignifiante qu’elle avait écrite quand elle était enfant. Le titre Lady Susan n’était pas son choix et je n’aime pas ce titre. Donc la première étape de l’adaptation était de changer le titre.

    C’est une histoire très drôle de Jane Austen. C’est assez différent du reste de son œuvre, quoique il y a du comique dans son œuvre, mais qui est souvent perdu lorsqu'elle est adaptée. Je pensais que c’était une chance de montrer le versant comique de Jane Austen.

    Vous pensez que les adaptations ne sont habituellement pas très drôles ?

    Normalement c’est classique et romantique dans la façon dont c’est fait. Mais à vrai dire elle n’était pas romantique du tout ! Elle ne montrait pas beaucoup d’émotion.

    Dans la façon vous avez filmé cette histoire, vous avez d’ailleurs cherché à y apporter un peu de modernité

    Je n’ai pas essayé ça à vrai dire. Ce qui explique cela, c’est que la fin du XVIIIe siècle était en fait très moderne. Je crois que nous sommes plus proches dans notre façon de penser du XVIIIe siècle que du XIXe.

    Jane Austen est devenue en quelque sorte l’incarnation de l’époque pré-Victorienne. Donc pour beaucoup de choses morales du début de l’ère Victorienne, Jane Austen était précurseur. Par exemple, quand elle a écrit Mansfield Park, ce serait tout à fait acceptable d’un point de vue victorien, mais c’est sorti avant, lorsqu’elle était encore imprégnée de l’esprit du XVIIIe siècle. Je pense que c’était comme une sorte de Liaisons dangereuses comique.

    D’ailleurs beaucoup de gens pensent que Lady Susan avait eu une influence française. Elle avait un cousin qui avait fait un peu scandale, marié à une aristocrate française. Le mari de cette femme avait en effet été exécuté pendant la Terreur de façon tout à fait injuste. Il y avait beaucoup de paranoïa pendant la Terreur. Il a été accusé d’avoir comploté pour affamer la population parce qu’il avait abandonné ses employés de ferme. En fait il avait laissé ses champs en jachère. Il a été exécuté. Cette cousine qui était veuve restait auprès des Austen et elle était assez sophistiquée. Elle a flirté avec le frère préféré de Jane Austen. Donc cette dynamique de cette sœur voulant protéger son frère de cette femme séductrice voulant flirter avec lui était cette cousine voulant épouser ce Français. Mais en fait on ne sait rien de cette cousine, on ne sait pas si elle était amorale. Donc Lady Susan peut être vue comme une histoire drôle qui a eu lieu dans sa famille.

    Un extrait de Love & Friendship

    J’ai lu que ce projet a été fait sur un laps de temps assez long...

    Quand les gens savent combien de temps j’ai travaillé sur ce projet, il pense que c’était un projet que j’avais du mal à avancer. Mais en fait c’est le contraire. C’était en quelque sorte un projet sur lequel j’avançais quand j’avais un break, quand il ne fallait pas que je travaille sur un projet alimentaire.

    J’avançais sur ce projet pour moi-même. C’était comme mon projet "fun". Donc j’ai avancé le cœur léger sur une longue période avant tout pour changer la structure épistolaire de la nouvelle d’origine. Je voulais avoir une structure dramaturgique, qui impliquait des changements de lieu et de personnages. Je savais que ce serait quelque chose que je ne ferai pas bien si j’avais une contrainte de temps, en un laps de temps de 6 mois. Donc j’ai fait une très longue version du scénario. Au fil du temps, ça a pris la forme d’un film. 

    Quand avez-vous commencé le projet exactement ?

    Concrètement, j’ai commencé en 2004. Il y a 12 ans donc. Mais je crois que j’avais même commencé avant, je commençais à y réfléchir.

    Blinder Films - Chic Films - Revolver Amsterdam - ARTE France Cinema

    Avez-vous réussi à trouver un producteur au départ ?

    Heureusement, non ! Je parlais avec quelqu’un à Londres qui m’a aidé à en parler autour de moi. Mais je n’ai jamais vraiment signé avec un producteur au départ. Mais c’est bien car j’ai découvert que c’était mieux si j’écrivais un scénario seul, sans contrat. Sinon vous êtes lié à des choses compliquées, des questions juridiques et d’argent.

    C’est important quand vous êtes cinéaste de garder en tête que vous faites un film et pas quelqu’un qui attend d’être payé. C’est dur car ça veut dire que vous ne touchez pas d’argent pendant un certain temps, mais si vous gagnez la confiance de quelqu’un, vous pouvez survivre et mener votre propre projet dont vous avez le contrôle. 

    Avez-vous d’autres projets comme ça, sur lesquels vous travaillez en continu ?

    Maintenant, je vais essayer de faire tous mes projets de cette façon. Des projets dont je ne parle pas, je travaille juste dessus, et quand c’est prêt, je le montre à quelqu’un.

    Dans le cas de Love and Friendship, j’ai eu une bonne productrice qui n’a pas lâché. Pendant 3 ans, elle n’a pas lâché, entre le début de notre collaboration, dont presque deux ans pour qu’il soit tourné, et la sortie du film. 

    Et j’imagine que ça a dû aider lorsque Kate Beckinsale et Chloë Sevigny ont été associées au projet. Etiez-vous restés en contact avec elles depuis Les Derniers jours du disco ? Comment ont-elles rejoint le projet ? 

    J’étais en contact avec Chloë pour diverses raisons. Elle joue dans le pilote que j’ai fait de The Cosmopolitans. C’était la première à rejoindre le film. J’ai toujours pensé que Kate serait la meilleure Lady Susan. Son agent avait beaucoup aimé le projet ; il voulait qu’elle le fasse. Donc c’était une idée amusante quand la possibilité de les réunir a émergé. Et pour nous, la présence de Stephen Fry a été importante aussi. Il a un tout petit rôle, c’est juste un caméo, il a juste une grande scène. Mais l’investissement de Stephen Fry dans le projet a été déterminant. 

    Bestimage

    Trouvez-vous qu’elles avaient beaucoup changé depuis que vous avez tourné avec elle la première fois?

    Non. Quand j’ai lu la nouvelle la première fois, j’ai tout de suite pensé que Kate serait formidable en Lady Susan, mais à l’époque, en 2003-2004, elle aurait été beaucoup trop jeune pour la jouer. Mais avec le temps, elle a fini par avoir le bon âge pour jouer le rôle. 

    Je crois que nous étions tous beaucoup plus détendus sur ce film. J’étais davantage en contact avec les acteurs. 

    Est-ce que Les derniers jours du disco est le film dont on vous parle le plus ? J’ai l’impression qu’il y a une sorte de culte autour de ce film.

    J’adore ça. Quand le film est sorti au tout début, on a un peu souffert. Et avec le temps, je crois qu’on a gagné un peu un statut de film culte. Mais j’adore ça, parce qu’avant, on ne me parlait que de Metropolitan. Avant, c’était Metropolitan, Metropolitan, Metropolitan. Après vous faites d’autres films qui ont de la valeur à vos yeux, vous voulez que les gens apprécient les nouveaux films. Donc c’est bien si Disco le devient. Je ne sais pas si c’est culte en France, mais aux Etats-Unis, c’est le cas. Le film est beaucoup passé à la télé. 

    D.R.

    Vous disiez un peu plus tôt que désormais vous ne parleriez plus des films sur lesquels vous travaillez, alors…

    La chose que je peux dire est que je travaille sur cette série qui prend place en Europe, pour Amazon. Je viens d’écrire 6 nouveaux scénarios. 

    Pour le premier épisode, l’idée était que tout se passe à Paris. Mais depuis j’ai eu une autre idée qui emmènera les personnages ailleurs. La plupart des membres du casting du pilote sera de retour, selon leur disponibilité. J’avais un très gros casting pour le pilote mais je ne suis pas sûr qu’ils pourront être tous là tout au long de la série. Il y aura un petit groupe de réguliers, et quand d’autres seront disponibles, ils reviendront.

    D’écrire une série, était-ce pour vous une façon également de vous essayer à une nouvelle forme d’écriture ? On lit souvent que d’écrire pour la télé offre une plus grande liberté créative…

    C’est totalement faux, totalement faux. Mon problème n’est pas du tout l’absence de liberté créative au cinéma. Si vous faîtes des films de façon indépendante, votre liberté est garantie. Vraiment. J’ai fini par aimer le process de la télévision, avec Amazon, c’était super. Mais je n’avais jamais eu autant de supervision. Jusqu’ici, j’ai toujours eu la possibilité de recruter qui je voulais, que ce soit des monteurs, ou autres. Mais là, j’ai dû négocier à chaque fois. C’est leur système. Ça s’est très bien déroulé. Ils m’ont beaucoup aidé, mais j’étais très surpris au début. Donc il y a une forme de liberté mais comparé à d’autres chaines de télé. Mais je n’ai jamais eu d’expérience avec d’autres télé. J’ai écrit des scénarios pour d’autres chaines télé, mais ce n’est jamais allé au-delà de l’étape du scénario.

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet à Paris le 14 juin 2016

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top