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    "The End" : Gérard Depardieu dans le rêve de Guillaume Nicloux
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Ce vendredi, Guillaume Nicloux dévoile son nouveau long métrage "The End", en e-Cinéma. Né d'un rêve du réalisateur, le film met Gérard Depardieu au premier plan, perdu dans la forêt. Rencontre avec le cinéaste Guillaume Nicloux.

    AlloCiné : Comment positionnez-vous The End par rapport à Valley of Love, votre précédent long métrage ?

    Guillaume Nicloux, réalisateur : On avait très envie de retourner ensemble avec Gérard (Depardieu). Ca s’est vraiment précisé au fur et à mesure du tournage (de Valley of Love, le précédent long métrage de Guillaume Nicloux, Ndlr.). Très vite, j’ia réfléchi à un autre projet. Il y a deux autres projets qui ont été imaginés mais qui ne rivalisaient pas avec ce qui s’était passé entre nous sur le film. Il manquait quelque chose qui pouvait se comparer à l’émotion, à l’intensité qu’on avait eu en travaillant ensemble. J’ai donc renoncé à ces projets, et puis un matin je me suis réveillé et j’avais fait The End, en rêve.

    Un matin, je me suis réveillé, et j'avais fait The End en rêve

    Quelque chose m’est apparu de façon assez évidente ; c’était de profiter de toutes ces rémanences pour en faire un film et proposer à Gérard d’interpréter mon rôle dans mon propre rêve. Tout ça s’est décidé très vite, parce qu’au fur et à mesure des mois, je n’avais pas trouvé le sujet pour lequel j’avais la certitude qu’il y avait quelque chose de vital à faire entre nous et qui pourrait nous permettre de nous retrouver sur un plan également de l’intimité. Ce qui avait déjà été le cas sur Valley of love.

    Mais là de le réduire encore plus, qu’une sorte de connexion, de porosité entre mon mental et la condition, et l’existence de Gérard. De trouver des correspondances qui permettraient d’un seul coup à Gérard d’endosser mon personnage, qui était un personnage qui sort purement de l’inconscient. Et d’un seul coup de lui donner chair, et d’introduire une part extrêmement fantasmée également dans tout ça. Ne serait-ce qu’au travers des dialogues. Et puis à la façon dont Gérard s’accapare le personnage.

    On est souvent régis par la volonté, c’est ça qui est l’ennemi principal du désir

    Ce ne sont que des personnages qui endossent des costumes, parce que le mien, au sortir de mon rêve, c’est la part cachée finalement de ce qu’il se passe au-delà de cette barre de censure qui nous interdit souvent de voir ce qui est l’objet de nos désirs. On est souvent régis par la volonté, c’est ça qui est l’ennemi principal du désir. Je ne dis pas que j’y suis parvenu, mais lorsqu’on essaie de creuser dans cette direction, on découvre des choses assez fascinantes.

    Cela vous était-il déjà arrivé par le passé d’avoir un rêve qui vous inspire un film ? Et d’avoir simplement ce réflexe de noter.Souvent les rêves, on les oublie.

    Sans doute que certaines images ont pu profiter d’une rémanence de rêve, mais pas au point d’être une histoire totale, de devenir un sujet de film, et surtout de pouvoir le réaliser, car ça a quelque chose d’extrêmement singulier.

    Je me considère comme quelqu’un de très chanceux. De vous réveiller le matin et d’appeler votre productrice en lui disant : « voilà, j’ai envie qu’on fasse ce film avec Gérard, qu’on tourne le rêve que je viens de faire cette nuit… Il faut le faire dans deux mois » . Ce n’est pas gagné d’avance ! Donc il faut trouver les outils qui permettent à ce projet de prendre forme.

    Bestimage

    La solution, là, c’était d’essayer de profiter du même montage financier que pour L’Enlèvement de Michel Houellebecq. C’est à dire de proposer une exclusivité de diffusion à Arte et que le film reste un film de cinéma dans le reste du monde. Sauf que là le problème, c’est qu’on n’avait pas le temps. On ne rentrait pas dans un calendrier de faisabilité parce qu’il fallait attendre le mois de septembre, et je devais tourner à la fin du mois de juillet.

    Et il y a eu cette idée de plateforme de e-cinéma premium TF1. Ils ont été assez enthousiastes, ils nous ont suivi avec vraiment beaucoup d’excitation. Avec à la fois une liberté totale et un accompagnement. Donc le film a cette exclusivité de diffusion en France, qui est du e-cinéma, mais c’est un film de cinéma dans le reste du monde.

    Le e-cinéma a été l’outil idéal pour pouvoir faire ce film

    Il n’y a aucune frustration… J’ai entendu cette question. Je leur ai dit que non parce que quoi qu’il arrive, c’était la 2ème vie des films, d’être vu sur des écrans qui n’étaient pas ceux du cinéma. Les gens découvrent ensuite les films par le biais du DVD ou de la diffusion télé ou bien de la vod. Et ça c’est une chance qui est offerte au film, d’avoir plusieurs vies en fait.

    Et ça ne l’empêche pas par exemple d’avoir été sélectionné à Berlin, dans le reste du monde…

    Bien sûr, il a son cadre de diffusion. Les avant-premières se font à la Cinémathèque de Paris et de Lyon. Il y a des projections exceptionnelles en France. Mais c’est vrai que la diffusion grand public, elle se fera en e-cinéma.

    La date de sortie de ce film est intéressante parce qu’il y a un débat en ce moment qui anime la profession sur l’exposition des films d’auteur, qu’on opposerait aux « grosses machines »… Là c’est peut être une façon de garantir une grande exposition à des plus petits films. Avez-vous un point de vue très tranché sur ce sujet ?

    Oui, bien sur, mais il y a plusieurs questions dans votre question. Nous, finalement, on obéit à une autre forme de production dans la mesure où le e-cinéma a été l’outil idéal pour pouvoir faire ce film. C’est à dire qu’on n’est pas dans le même cas de figure que Made in France par exemple, qui lui finalement n’a pas pu sortir en salle et trouve à emprunter un autre chemin pour finalement trouver sa diffusion, et qui lui a porté chance. C’est une autre démarche.

    Il ne faut pas cultiver de vision passéiste ou trop nostalgique de la façon dont le cinéma a existé

    Nous, on savait dès le départ que ce film allait avoir cette exclusivité de diffusion par la VOD en France et sa vie à l’étranger comme un film de cinéma « traditionnel ». Maintenant, la concurrence en France, elle est terrible dans la mesure où 20 films par semaine, c’est trop, on le sait bien, et les espaces de diffusion sont extrêmement réduits. Et la sanction du lundi matin pour les programmateurs est quelque chose de redoutable pour les réalisateurs. L’avenir du film se joue en effet au dimanche soir.

    C’est très compliqué, et en même temps, je crois qu’il ne faut pas cultiver de vision passéiste ou trop nostalgique de la façon dont le cinéma a existé. Nous ne sommes plus dans l’ère du cinématographe. On est passé dans l’ère du digitographe depuis plusieurs années. Les films sont projetés en DCP. Il faut accepter à la fois la démocratisation du digitographe, et en même temps, sa nouvelle forme de diffusion qui passe par de nouveaux médias.

    Je crois qu’on peut conserver une espèce de liberté filmique, malgré le support

    Ca ne veut pas dire qu’il faut penser les films pour ces médias-là, même si certains réalisateurs le font, c’est à dire sachant que les spectateurs vont regarder des films sur des écrans de plus en plus réduits, ils ajustent leur mise en scène dans une systématisation des cadres plus serrés pour permettre au spectateur de ne pas être perdu, ou trop éloigné par rapport au sujet. Mais je crois que c’est ça l’erreur. Je crois qu’on peut conserver une espèce de liberté filmique, malgré le support. Il m’est arrivé très souvent de découvrir des films en DVD et d’éprouver énormément d’émotion et de plaisir.

    Il faut juste savoir que ce sont des plaisirs différents qu’avec celui de la projection de salle. Je ne crois pas qu’ils s’opposent. On peut éprouver du plaisir à se baigner en mer et puis en piscine (sourire).

    Bestimage

    De revoir la chronologie des médias vous semble-t-il nécessaire ?

    Ce qui me semble illusoire, c’est de penser que les choses peuvent rester immuables et immobiles. Comme je vous le disais, le cinématographe est devenu digitographe, donc sa diffusion bouge également. On est dans la dématérialisation, on est dans la mémoire non visible. On n’est plus dans la pellicule, on n’est plus dans le physique. Avant, on pouvait ouvrir un boitier de caméra, voir la pellicule tourner, savoir qu’elle a été impressionnée. La chimie était visible. Maintenant, on est dans l’ère de la magie, de la magie invisible. Donc c’est autre chose.

    Je ne vis pas du tout dans une espèce de culture passéiste, où il faudrait laisser tout ça intact. Non, je trouve que c’est très excitant même d’évoluer et de savoir que c’est une porte ouverte à une autre diffusion, peut être à une autre technologie. Il faut accepter cette évolution. Je ne sais pas où elle mène, je ne sais pas si elle est juste ou injuste. Elle va forcément conduire à une espèce d’équilibre. Je suis plutôt assez excité par ce qu’il se passe.

    Avez-vous eu l’occasion d’en parler avec des confrères cinéastes qui peut être seraient intrigués par le fait que vous soyez le premier réalisateur français à expérimenter le e-cinéma ?

    Je n’ai pas parlé avec d’autres confrères, mais je sais que la façon dont le film a été fait suscite beaucoup d’intérêt et que TF1 a maintenant énormément de propositions. Pas seulement TF1 d’ailleurs. Car c’est une autre façon d’envisager la production cinématographique.

    Finalement, très curieusement, on pourrait se demander pourquoi cet espace de liberté d’un seul coup apparaît d’une façon aussi flagrante alors qu’on pourrait se dire qu’on n’a pas forcément la même (liberté) dans un mode de production traditionnel. C’est juste une constatation, je ne tire pas du tout de leçon de tout ça pour l’instant.

    On explore des territoires qui jusque là étaient vierges. Il est naturel qu’il y ait un débat, des oppositions, que chacun défende des avis. Moi je dirai qu’il est trop tôt pour en avoir un encore. C’est quelque chose qui est en plein bouleversement, donc il faut attendre que la poussière retombe.

    Pouvez-vous nous parler de ce lien singulier qui semble vous unir avec Gérard Depardieu de films en films ?

    Gérard fait partie de ma vie depuis l’âge de 10 ans. J’ai découvert ses films au cinéma d’abord. Je me souviens avoir été spectateur d’Inspecteur La Bavure. Et puis j’ai bifurqué vers des choses plus adultes, comme Sept morts sur ordonnance (de Jacques Rouffio, 1975), Stavisky (d'Alain Resnais, 1974, Ndlr.), les films de Ferreri...Il a toujours eu un pied dans le cinéma, on va dire, d’auteur, parfois radical, comme Marguerite Duras, et puis à la fois dans les films très grand public.

    Gérard Depardieu fait partie de ma vie depuis très longtemps

    Il fait partie de ma vie depuis très longtemps, et d’une façon plus physique, visible et mentale depuis peu de temps finalement, depuis deux ans. Il y a une espèce de matérialisation et d’incursion extrêmement réaliste dans quelque chose qui était fantasmé au départ. Je l’avais sur le grand écran, et le rêve s’est transformé en réalité, pour se retransformer en cinéma. Tout ça est très mouvant. Et puis finalement, ce n’est pas une histoire d’acteur et de réalisateur. C’est plutôt quelque chose qui évolue dans le tissu humain.

    Lorsqu’on parle ensemble, le cinéma est rarement abordé finalement. On parle de nous, des choses de la vie qui nous émeuvent ou pas. Mais parce qu’on est bien ensemble. C’est rare finalement d’être bien avec quelqu’un. Surtout qu’on peut être bien ensemble sans forcément parler. Ca c’est le plus rare. On a toujours l’impression qu’il faut remplir les vides, mais c’est souvent l’inverse, quand on a compris que c’est le vide qui nous remplit, on est beaucoup plus à l’aise.

    Un mot sur vos projets. Il était question d'un film appelé Les Confins du monde avec Gérard Depardieu. Est-il toujours d'actualité ?

    Oui, pour le début d’année prochaine. Gérard Depardieu a un rôle et dont le personnage principal devrait être interprété par Gaspard Ulliel.

    On a effectué de gros repérages pendant deux ans dans un pays (au Cambodge) et il se trouve qu’on change de pays. On va finalement tourner au Vietnam, ce qui est d’une certaine façon assez logique puisque le film est censé s’y passer 50 ans auparavant. On retrouve finalement ce qu’on avait voulu éviter, pensant que ce serait plus compliqué. En fait, il se trouve que ça va être beaucoup plus simple, à tous les points de vue.

    J’ai lu également que vous aviez un projet de série.

    Je développe ma propre série pour Arte. Bruno Nahon produit.

    La bande-annonce de The End, disponible en exclusivité en France en e-Cinéma dès aujourd'hui :

     Propos recueillis le jeudi 31 mars 2016 à Paris

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