Développé par une petite équipe d'une cinquantaine de personnes au sein du studio français Dontnod, le jeu d'aventures Life is Strange est sorti sous forme épisodique de janvier à octobre 2015, date de sortie du cinquième et dernier épisode.
Bénéficiant d'une direction artistique très inspirée, Life is Strange relate l'histoire de Max Caulfield, une adolescente se découvrant le pouvoir de remonter et manipuler le temps, et celle de son amie d'enfance Chloé Price, unies pour le meilleur comme pour le pire. Irrigué dans sa forme et son fond par l'influence du cinéma indé US, celui de Gus Van Sant ou Jeff Nichols et son Take Shelter notamment (mais pas que !), ainsi qu'un modèle de narration emprunté aux séries TV, le jeu de Dontnod est non seulement une superbe méditation sur le temps qui passe et même sur l'appréhension de la mort et le travail de deuil, mais aussi une magnifique chronique douce - amère des années lycées, de l'adolescence, cette période où notre vie se façonne parfois douloureusement, tandis que l'on s'achemine vers l'âge adulte. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un hasard si le patronyme de son héroïne principale, Caulfield, est le même que celui porté par le personnage principal dans le célébrissime roman de l'auteur américain J.D. Salinger, L'Attrape-coeurs.
Remarquablement écrit, nimbé d'un ton mélancolique et nostalgique renforcé par une fantastique bande-son en partie composée par Jonathan Morali avec son groupe Syd Matters (pour l'anecdote, Jonathan Morali vient de signer la BO du superbe film d'animation Tout en haut du monde, en salle depuis le 27 janvier), Life is Strange a incontestablement été une des révélations vidéoludiques de l'année 2015. Son éditeur, Square Enix, a d'ailleurs annoncé dès juillet 2015 avoir dépassé le million d'exemplaires vendus.
Après être passé par la case dématérialisée, le jeu vient de s'offrir une nouvelle vie avec une sortie en version boîte le 22 janvier dernier. Plus aucune raison de passer à côté du titre ! L'occasion de nous rendre dans les bureaux de Dontnod situés dans le 19e arrondissement parisien, et de nous entretenir avec deux des créateurs du jeu : Raoul Barbet, Game Director, et Luc Baghadoust, le producteur. Rencontre avec deux hommes volubiles et passionnés.
AlloCiné : Pouvez-vous vous présenter et résumer un peu vos parcours respectifs ?
Raoul Barbet : je suis pour ma part un des deux Game Directors de Life is Strange. J’ai fait une école d’ingénieur à la base, donc j’ai un background technique, plutôt audiovisuel d’ailleurs. J’ai très vite été amené à travailler dans la production audiovisuel comme le documentaire et le film, au Canada et en Asie. Ma première expérience en 3D dans le domaine du jeu vidéo, ca été pour Heavy Rain pendant deux ans, développé par le studio français Quantic Dream. Je m’occupais de ce qui concernait la Motion Capture, puis je suis passé au Game Design pendant un an. Après ça, j’ai voulu travailler dans le film d’animation. Je suis alors parti chez Mac Guff, la société spécialisée sur les images de synthèse et les SFX, et à qui l’on doit notamment Moi, Moche et méchant. Là, j’ai travaillé sur Le Lorax, où j’étais Layout Artist ; soit tout ce qui concernait placement de caméra et mise en scène.
L’univers des jeux vidéo et ses interactivités ont fini par me manquer ; j’ai donc voulu revenir dans cette industrie. C’est là que j’ai rejoint Dontnod sur le jeu Remember Me, où je m’occupais de tout ce qui touchait à la narration, en particulier la narration environnementale et les cinématiques, ainsi que toute la Motion Capture du jeu et ses animations. A la fin du développement de ce jeu, on nous a proposé de travailler sur un projet qui prenait comme base le principe du Memory Remix développé dans "Remember Me" ; soit ces possibilités de remonter le temps dans une sorte de "rembobinage" de séquences.
Luc Baghadoust : moi mon parcours est moins glamour ! J’ai fait une école d’audiovisuel avant d’arrêter pour devenir vendeur à Micromania (rires) En même temps je faisais de la musique avec un groupe de Rock. Le jeu vidéo étant une passion depuis toujours, j’ai voulu rentrer dans cet univers. J’ai commencé comme testeur de jeux vidéo dans une société spécialisée dans les jeux sur mobile, avant même l’arrivée des Smartphones. J’ai rapidement été en charge de tous les départements tests sur le monde. C’était des projets qui courraient sur des périodes assez courtes, 2-3 mois. J’ai ensuite eu envie de travailler sur des jeux consoles, et j’ai été attiré par le projet que proposait le studio Dontnod qui était "Remember Me". Ca été ma première expérience de jeu console qui visait un standard AAA. J’ai travaillé étroitement avec Nicolas Simon qui était à l’époque producteur de "Remember Me", et on faisait l’interface avec l’éditeur [NDR : Capcom ; celui de "Life is Strange" étant Square Enix]. Après ça, j’ai rejoint l’équipe de "Life is Strange" à peu près au moment où l’éditeur Square Enix a accepté de prendre en charge le jeu, mais je n’ai pas participé à toute la phase de conception du jeu.
Raoul Barbet : Luc, c’est vraiment le lien entre nous et l’éditeur ; c’est une relation compliquée. Ce sont eux qui produisent et payent le jeu. Donc il y a logiquement des comptes à rendre, et il faut veiller à ce qu’elle soit saine. Créativement parlant déjà, et ensuite au niveau du planning. Je dois dire qu’on est vraiment heureux de notre relation avec eux.
AlloCiné : Faire la transition du monde du cinéma au jeu vidéo en passant par le film d’animation, c’était une évolution naturelle pour vous ? Les passerelles ne sont pas toujours évidentes…
Raoul Barbet : Effectivement. C’est une grammaire différente. Mais dans les jeux vidéo, on se nourrit clairement des autres médias, que ce soit la littérature, le cinéma, la bande-dessinée… Ce qui me plaît dans les jeux vidéo, et que je trouve très fort, c’est cette notion d’interactivité. Aucun autre medium ne peut proposer ça. Ca demande aussi une réflexion différente. Par exemple quand on a eu le scénario de "Life is Strange", celui-ci fonctionnait pour un film ou une série, mais pas pour un jeu vidéo. Il fallait le rendre interactif. Il fallait rendre les séquences interactives, et faire en sorte que les joueurs ne soient pas juste spectateurs. C’est donc par le biais du Game Design, du Gameplay et de la mise en scène qu’on fait rentrer le joueur dedans.
Je me souviens que lorsque je travaillais sur Le Lorax, j’étais en extase sur ce fantastique univers, j’avais vraiment envie de rentrer dedans et m'y balader. Sauf qu’évidemment c’était impossible, parce que j’étais tributaire de la vision imposée par le réalisateur. Ca c’est une frustration qu’on n’aura pas dans le jeu vidéo, où le joueur peut aller où il veut, voir ce qu’il veut et prendre son temps. Dans "Life is Strange", cette notion là était très importante. Si on veut passer une heure à regarder tous les détails d’un environnement ou d’une scène, tu as le droit. Et en plus, on va même te pousser à le faire ! Ca nourrit et renforce beaucoup l’immersion dans le jeu.
AlloCiné : A l’époque où Dontnod avait présenté le projet de ce qui allait devenir «Remember Me», vous aviez rencontré pas mal de difficultés pour imposer un personnage féminin au cœur du jeu auprès de certains éditeurs, qui ne voulaient pas en entendre parler. Dans «Life is Strange», on a non pas un mais deux personnages féminins au cœur du récit, Max Caulfield et Chloé Price. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de mettre à nouveau en avant des personnages féminins ?
Raoul Barbet : On n’était pas du tout dans un agenda politique, ça c’est clair. Au départ d’ailleurs, il n’y avait pas forcément de personnage féminin dans "Life is Strange". On s’est avant tout posé la question de savoir qu’est-ce qu’on souhaitait raconter. Ensuite s’est greffé le concept du pouvoir de remonter le temps, avec ses notions de choix et conséquences. Puis on s’est demandé quel serait le meilleur personnage pour raconter cette histoire. C’est là que celui de Max va naître et grandir. A l’arrivée, on a l’histoire de cette adolescente un peu timide, renfermée sur elle-même, qui va apprendre à grandir durant les cinq jours que dure l’histoire, et à accepter ses choix. En fait, c’est toute l’idée de base du jeu qui a donné naissance à Max. Ce qui primait, c’était le soin apporté à l’écriture de ce personnage, et à sa cohérence.
Luc Baghadoust : côté relation éditeur(s), c’est vrai qu’à l’époque de « Remember Me », il fallait convaincre sur le jeu, mais ce n’était pas uniquement la composante féminine qui était concernée. Certains éditeurs fonctionnent encore avec des données marketing, ça créé un cercle vicieux qui fait que les choses n’évoluent pas…
AlloCiné : il y a quand même peu de personnages féminins qui sont au cœur des jeux… Non ?
Luc Baghadoust : Ca commence à changer, depuis 2-3 ans. Au dernier salon de l’E3 en juin dernier, c’était vraiment manifeste que les choses changent, même si le mouvement est lent. Les éditeurs deviennent moins frileux. Sur ce point, Square Enix a été d’un total soutien. Il a accroché à l’histoire, les thèmes développés, etc. Il nous a fait confiance, et ne s’est pas mis à nous demander de changer le personnage central du jeu sous prétexte que c’est une femme.
AlloCiné : Qu’est-ce que le développement du précédent jeu "Remember Me" vous a appris pour «Life is Strange» ?
Luc Baghadoust : Bonne question. Déjà ce n’étaient pas les mêmes personnes, les rôles étaient différents. Raoul était notamment en charge des cinématiques. A l’époque, la vision de «Remember Me» était portée par l’ancien directeur créatif de Dontnod qui était en charge du projet et qui est parti depuis, Jean-Maxime Morisse. Dans «Life is Strange», le cœur est différent. Raoul et Michel Koch étaient co Game Directors, ils ont eu l’histoire qu’ils voulaient. On a pu avoir une équipe efficace malgré sa petite taille. Là où «Remember Me» c’était 100 à 110 personnes, on a jamais dépassé les 50 personnes sur "Life is Strange". Ca a pu fonctionner parce que la plupart des personnes ont déjà travaillées ensemble, se connaissaient. Avoir une vision directrice claire associée à une équipe qui a déjà travaillé ensemble, ca nous a permis de sortir un jeu dans cette qualité dans des délais finalement assez fous.
Raoul Barbet : Dans «Remember me», il y avait beaucoup d’aspect qu’on aimait mais qu’on a pas pu développer. Par exemple, les environnements. Le monde de «Remember Me» était fantastique, mais son exploration n’était clairement pas au cœur du jeu. Je sais que certains ont été frustrés de ne pas pouvoir l'explorer. Du coup dans «Life is Strange», on voulait dans une certaine mesure laisser cette possibilité aux joueurs.
AlloCiné : Au-delà de l’argument financier, qui est certes essentiel, le choix du format épisodique pour le jeu s’est imposé dès le départ ?
Raoul Barbet : Absolument. On a pensé l’histoire sous forme épisodique dès le départ. On suit avec beaucoup d’intérêt tout ce qui se fait au niveau narratif dans les séries TV, où on peut voir une vraie et nouvelle efficacité pour raconter une histoire, en prenant son temps. Dans une série TV, les scènes prennent leur temps, pour poser le cadre, les personnages, quitte à avoir des moments de flottements qu’on n’aurait pas forcément dans un film où il faut être en théorie plus condensé. Le format épisodique permet de donner du temps au joueur.
En plus de cela, il y avait créativement parlant des choses très intéressantes dont on parlait tout à l’heure, à savoir la maîtrise du «comment va-t-on jouer au jeu». Un joueur va jouer à un épisode pendant peut-être 2 ou 3h, voire risque d’y jouer en entier. Du coup on a une maîtrise parfaite du rythme auquel le joueur va jouer à ton titre. En tant que Designer, on est parfois frustré sur cet aspect, on se dit que le joueur va peut être arrêter la console au mauvais moment, couper au milieu d’une scène. Proposer une expérience cohérente et efficace sur chacun des épisodes était primordial. En ayant à chaque fois un épisode sur lequel se focaliser, je pense qu’on est plus efficace d’un point de vue créatif.
Luc Baghadoust : C’est ça qui est intéressant. Il faut voir un épisode comme un jeu entier, avec un début et une fin. Comme dans un film, chaque scène ou chaque plan a sa raison d’être. On fait ça sur 5 épisodes. Au final, on obtient un jeu de 12-13h, plus concentré, pas forcément en événements, mais en écriture.
AlloCiné : Comment expliquez-vous à la fois cette tendance de fond et ce succès du jeu épisodique ?
Luc Baghadoust : Je pense déjà que le jeu Walking Dead du studio Telltale a énormément marché, et a ouvert la voie, même s'il faisait déjà beaucoup de jeux épisodiques avant. Ils ont eu Retour vers le futur, Jurassic Park... Ils ont affiné la recette en mettant au coeur du jeu les notions de choix et conséquences, et ont sorti ça à un moment où la série cartonnait. Le goût des jeux indépendants a joué aussi. Ils ont explosés ces dernières années, notamment sur des plateformes de ventes comme Steam. Des jeux disponibles à petit prix, surtout en période de soldes. Du coup certains ont cherché à reproduire ça. Pour "Life is Strange", cela a sans doute été plus simple de le vendre aux éditeurs. S'il n'y avait pas eu le jeu Walking Dead et qu'on était arrivé avec un jeu au format épisodique avec toutes les règles que cela implique, ca aurait été beaucoup plus dur d'être pionniers ! Donc Telltale a vraiment ouvert la voie. Leur force leur permet désormais de développer tous ces jeux basés sur des licences, comme Game of Throne, et j'ai d'ailleurs hâte de voir ce qu'ils vont faire avec Batman !
Raoul Barbet : Après, nous ne voulions pas du tout refaire du Telltale, on voulait vraiment amener quelque chose de différent. Par exemple dès le début, on savait qu'on voulait la même équipe de développement, là où chez Telltale, ils ont une équipe différente sur chaque épisode d'une même saison. Pour élargir mon propos sur le succès des jeux épisodiques, je constate que c'est aussi le succès des jeux d'aventures en général. Qu'ils soient épisodiques est clairement une force sur certains aspects, mais je crois qu'il y a une vraie demande de jeux d'aventures. Quantic Dream fait ca très bien, et ils ont contribué à relancer cet intérêt, montrer qu'on peut parler de choses adultes, de thèmes matures, de façon très cinématographique. Tout récemment, il y a l'exemple du gros succès du jeu d'horreur chez Sony, Until Dawn.
Après la grande époque des Point'n Click avec les titres comme Monkey Island, il y a eu un creux, même si le genre n'a pas totalement disparu. D'une certaine manière, les jeux d'aventures épisodiques sont aussi les héritiers des titres de cette époque. Le public a toujours été là, c'est l'offre qui était faible. Je me souviens qu'à l'époque de Heavy Rain, certains ont eu envie de tester d'autres jeux de même nature. Sauf qu'il n'y en avait pas.
AlloCiné : Ces jeux permettent aussi d'attirer un public davantage identifié comme "casual" ou occasionnel.
Luc Baghadoust : Absolument. Beaucoup de gens ne sont pas forcément attirés par les jeux vidéo, en raison notamment de ces gameplay parfois Hardcore. On a eu beaucoup de témoignages de personnes nous expliquant que leurs conjoints, sans expérience de jeu préalable, se lançaient dans l'aventure "Life is Strange" et avaient adoré l'expérience. Il faut pouvoir amener plus de personnes sur le media.
Raoul Barbet : Si on a fait "Life is Strange", c'est aussi pour ça. Personnellement, je suis très heureux de pouvoir parler du jeu avec ma famille, dont certains sont âgés et pas du tout habitués à jouer. Dans l'inconscient collectif, jouer aux jeu vidéo ne va pas encore de soi; il y a un peu un rejet pour un media encore perçu comme infantilisant. Les jeux vidéo peuvent aussi aborder les problèmes de société, c'est un medium comme un autre pour en parler. C'est même d'autant plus fort du fait que ce soit interactif.
AlloCiné : En parlant d'enthousiasme, le jeu a bénéficié d'un important engouement des fans, surtout entre les épisodes, où chacun y allait de sa petite théorie sur le devenir des personnages dans les forums de discussions. Ca vous a surpris ? Comment avez-vous vécu ça ?
Luc Baghadoust : on s'attendait à ce que ca plaise à certains fans de Point'n Click, mais honnêtement, pas à un succès dans ces proportions. Ca donc été une très bonne surprise à la fin du premier épisode. Ca été vraiment un moment fort, parce qu'en même temps qu'on vivait des heures difficiles en production, on partageait au sein de l'équipe les messages qu'on recevait, les cadeaux, les lettres, certaines extrêmements touchantes, les dessins... Je peux vous dire que ca gonflait le moral de l'équipe, ca créait un cercle vertueux, parce qu'elle s'efforcait de livrer à chaque fois un épisode à la hauteur de l'attente des fans.
Raoul Barbet : Les retours de la communauté sur le jeu, c'est vraiment quelque chose d'hallucinant. Tous les jours on reçoit des témoignages, soit par mails soit par lettres manuscrites...
AlloCiné : Vous prenez le temps de leur répondre ?
Raoul Barbet : on essaie, on fait le maximum, surtout quand on demande des photos de l'équipe, mais on en a vraiment beaucoup ! En lisant certaines lettres, on a parfois les larmes aux yeux. On rentre souvent dans l'intime, ils ont vécu une expérience qui les a beaucoup touché. Ca peut être des personnes qui vivent plus ou moins les événements décrits dans le jeu, qui ont cette pression énorme lorsqu'on est adolescent, de ne pas savoir qui on va être. Et on a aussi des gens qui se souviennent de ces années là, pour qui le jeu a fait vibrer la corde nostalgique.
AlloCiné : le jeu dose de manière très subtile l'élément surnaturel qui est le rembobinage du temps que peut faire Max, avec une approche réaliste. C'était difficile de trouver cet équilibre et surtout de le préserver au cours du développement du jeu ?
Raoul Barbet : Bonne question ! Pour être honnête, le Rewind était techniquement très dur à gérer. Il fallait enregistrer tous les événements qui se déroulent dans le jeu, les animations de particules, pouvoir tout ramener à l'envers, n'importe quand... Donc un grand bravo à toute l'équipe de développement, parce que ca été dur ! D'un point de vue narration et création, on voulait que ce pouvoir soit au coeur de l'histoire, parce qu'il change Max. Pour la dimension réaliste, "Life is Strange" n'est pas un jeu de science-fiction. Il ne fallait surtout pas faire ça. Pour nous, c'est un jeu se déroulant dans une petite ville dans l'Oregon, coincée entre la forêt et la mer. On saupoudre un élément fantastique, qui révèle les individus composant cette ville. Ils ont des réactions humaines, parfois touchantes. Là-dessus, Stephen King a été une très grosse influence. Il fait souvent surgir l'horreur ou le fantastique dans des environnements crédibles, ordinaires, parfois simples, qui révèle la vraie nature des individus.
AlloCiné : La BO du jeu, magnifique, mélancolique, est vraiment un personnage à part entière dans le jeu. Comment s'est passé votre collaboration avec Jonathan Morali ?
Raoul Barbet : Je suis un fan de Jonathan depuis son premier album, A Whisper and a Sigh, sorti en 2003. Je le considère comme un des grands artistes français dans son domaine à l'heure actuelle. On voulait deux chansons, To All of You, tirée de l'album Someday We Will Foresee Obstacles, et Obstacles. On a commencé à travailler les scènes avec ces musiques là par-dessus. Il y avait d'autres artistes, anglo-saxons comme Angus & Julia Stone, José Gonzalès... On voulait voir Jonathan pour lui expliquer notre projet, en espérant qu'il soit intéressé. Ce qui a été le cas, lui-même étant en plus un Gamer à la base !
S'il fait de la BO pour le cinéma, il n'avait jamais tenté l'expérience pour un jeu vidéo. On lui a demandé plusieurs thèmes, et il nous en a sorti huit, qu'on a pu ensuite retravailler et les rendre interactifs, comme par exemple en modifiant un peu l'arrivée d'un instrument en fonction de telle ou telle action du joueur. On est vraiment ravi de notre collaboration avec lui. A côté de ça, on voulait aussi une Tracklist d'artistes pas tous très connus, mais en tout cas qu'on aime, et surtout dont les chansons racontaient quelque chose par rapport à notre univers, à chaque personnage. Ces chansons avaient aussi un impact sur le montage des scènes. Les chansons ont parfois une puissance supérieure à un "simple" Score, même si nous voulions travailler sur ces deux niveaux.
Ci-dessous, la chanson "Obstacles" du groupe de Jonathan Morali, Syd Matters, qui donne une bonne idée du ton du jeu...
AlloCiné : dernière question, faut-il attendre une saison 2 de "Life is Strange", ou bien vivre avec le souvenir ému d'un jeu conçu comme un "One Shot" ?
Raoul Barbet : (rires) L'histoire de Max et Chloé est finie. On voulait raconter cette histoire, on l'a écrite du début à la fin, et je suis heureux de pouvoir dire qu'on s'y est tenu.
Propos recueillis le 21 janvier 2016 par Olivier Pallaruelo
Ci-dessous, la bande-annonce de lancement de l'édition physique de "Life is Strange"...