Allociné : D’où vient l’idée du film, dans laquelle un homme qui évite de signaler la dispute d’un de ses voisins voit ce dernier s’immiscer dans sa vie ?
Radu Muntean : Il y a 15 ans environ, j’avais découvert un fait divers dans un journal dans lequel un type avait été témoin d’une dispute dans un appartement proche du sien, localisé dans le même immeuble. Cette dispute avait conduit à un meurtre et j’avais été frappé par le fait que ce voisin n’avait rien fait, pas même du bruit ou un début de tentative pour empêcher la situation d’arriver. Cette histoire est restée dans un coin de ma tête jusqu’à ce que je rencontre cet homme, Pătrașcu, qui fait le même métier que mon personnage. J’ai observé la maitrise qu’il avait vis-à-vis de son job, sa faculté à exercer plusieurs tâches. Je me suis dit qu’il serait intéressant de confronter une telle personnalité à un environnement où il n’aurait plus le contrôle. C’est à ce moment-là que m’est revenu en mémoire le fait divers. C’est aussi la notion de dilemme qui m’a intéressé et que j’ai voulu transmettre au spectateur.
Allociné : On perçoit bien le caractère du personnage dès l’ouverture du film, dans son rapport à son chien par exemple, avec lequel il se montre à la fois doux et en contrôle. Comment avez-vous travaillé ce départ ?
Radu Muntean : Pătrașcu est une personne qui communique bien avec les animaux, particulièrement les chiens. Il découvrira plus tard qu’il a plus de difficultés à communiquer avec les êtres humains. Au début, je voulais réellement montrer comment ce type à un rythme de vie contrôlé, plutôt répétitif. Au sein de cette routine se glisse alors cet incident, qui dès le début brise son équilibre. Plus tard, la promenade avec son chien reviendra mais les choses ont changées : le maître et l’animal sont plus agressifs. Le même déséquilibre s’opère au sein de son travail, parfaitement contrôlé au départ et bien plus tendu après.
J’avais découvert un fait divers dans un journal dans lequel un type avait été témoin d’une dispute dans un appartement proche du sien, localisé dans le même immeuble. Cette dispute avait conduit à un meurtre...
Allociné : Dans la différence d’âge qui sépare Pătrașcu et son fils, il y a un fossé qui est technologique. Pourtant, Pătrașcu découvre quelque chose au travers de la page Facebook de la victime. On pense d’ailleurs que c’est l’enfant qui regarde la page, mais la respiration de Pătrașcu hors-champ nous confirme que c’est bien lui qui a les yeux rivés sur l’écran. Comment avez-vous travaillé l’aspect sonore de votre film ?
Radu Muntean : Vous avez besoin d’outils pour attirer l’attention du spectateur sur des points précis. Vous pouvez le faire par la mise en scène, par le déplacement des acteurs, par leur position, par la mise au point ou par le son. J’aime réfléchir à ce qui attire ou distrait le regard de l’audience et qui peut être hors du cadre.
Allociné : La durée des plans, ici comme allongée, nous aide aussi à prêter aux personnages une attention accrue.
Radu Muntean : Je voulais vraiment suivre Pătrașcu. Presque tout le temps, la mise au point se fait sur le personnage, alors qu’il peut entendre ce qui est hors du cadre. C’est un peu comme si je créais un point de vue subjectif parce que ce personnage a presque toujours autant d’informations que le spectateur. Cette plongée ne se fait pas toutefois pas à travers la forme mais en construisant la vie qui entoure le personnage principal.
Allociné : Comment travaillez-vous avec les acteurs pour donner une présence physique à votre mise en scène ?
Radu Muntean : La méthode est globalement la même envers tous les acteurs et passe par de nombreuses répétitions. Je travaille aussi beaucoup pour leur faire bien comprendre leur personnage parce que je n’aime pas manipuler les acteurs et les mettre dans une posture de marionnette. À ce processus, nous ajoutons avec l’équipe d’autres couches qui transitent par les mouvements, par le décor, par la position de la caméra… Il faut aussi laisser une marge pour le jour de tournage afin de rendre le tout naturel, même si la préparation est indispensable.
La situation n’est pas joyeuse pour le cinéma roumain, les spectateurs s’y rendent de moins en moins.
Allociné : La tension tenue durant tout le film implose lors de la bagarre finale. Comment avez-travaillez cette séquence avec les acteurs ?
Radu Muntean : C’était la scène la plus difficile à faire parce que je voulais tourner, comme dans le reste du film, cette séquence en un plan. Je ne voulais pas faire rapprocher ce moment du cinéma d’action traditionnel, où les coups de poings sont cachés par un montage composé de plans alternés. Nous avons tourné le film chronologiquement parce que nous nous attendions à des bleus, tout en répétant un maximum en amont ce morceau du récit. Nous avions au départ fait appel à un coordinateur des cascades que nous n’avons pas gardé parce qu’il entrainait les acteurs à réagir de manière trop préparée aux coups qu’ils allaient recevoir. Nous avons tout de même répété certains mouvements, afin d’avoir une idée générale de comment les coups allaient être portés. J’avais peur qu’à l’image la crédibilité s’effondre. Nous l’avons tourné une première fois, qui s’est révélée être très mauvaise. Iulian Postelnicu, qui incarne le voisin Vali, fut légèrement blessé à la tête. Nous avons donc repensé la lutte et avons opéré de nouvelles prises le dernier jour de tournage. Heureusement, Iulian fait de la boxe hors des tournages et a su comment éviter au mieux de prendre des coups. Le plus difficile, ce fut cette minute et demie juste avant que le combat s’amorce, un échange dialogué intense, que nous avons refait trois ou quatre fois afin que la tension soit parfaite. Je n’ai malgré tout été convaincu qu’une fois sur le banc de montage, lorsque la séquence a été intégrée au reste.
Allociné : Après le film il y a eu Cannes, un endroit qui ne vous est pas inconnu puisque c’est la troisième fois que vous y présentez une de vos œuvres. Quelle a été votre impression vis-à-vis de ce festival ?
Radu Muntean : C’est l’endroit parfait où être je crois. La situation n’est pas joyeuse pour le cinéma roumain, les spectateurs s’y rendent de moins en moins. La visibilité qu’offre un tel festival, sans doute le plus grand du monde, est donc idéale. C’est très fatigant, il y a beaucoup d’interviews à conduire mais comment s’en plaindre ? On n’y vient pas pour avoir des vacances mais pour promouvoir le film.