Après avoir scruté l’influence de Salvador Allende et d’Augusto Pinochet sur les habitants du Chili, Pablo Larrain revient sur ses terres natales avec El Club, Ours d’Argent au dernier festival de Berlin. L’occasion de discuter d’une autre forme de répression silencieuse, celle de prêtres reclus au sein d’une charmante maison sur un village côtier du Chili, à la suite de leurs exactions passées sous silence.
Allociné : Au travers de vos films, vous avez exploré l’influence d’Augusto Pinochet et de Salvador Allende sur le Chili. Avec El Club, vous tournez votre regard vers une autre forme de pouvoir. Comment en êtes-vous arrivé à un tel sujet ?
Pablo Larraín : J’ai été éduqué dans des collèges catholiques. J’ai connu et je rencontre aujourd’hui encore des curés très honorables, de belles personnes, mais également des curés aujourd’hui incarcérés et d’autres perdus, disparus. C’est d’eux dont j’ai eu envie de parler. Je suis aussi intéressé par un autre thème, celui de l’impunité, qu’on retrouve dans chaque structure de pouvoir. Face à cela, on peut se poser deux questions : sommes-nous tous égaux face à la loi ? Et face à Dieu ? Il se greffe à ces questionnements la figure très contemporaine des médias, qui sont la principale peur de l’Eglise. C’est une chose pire que l’Enfer pour cette institution. J’ai donc voulu entrer dans ces maisons-là et voir le monde depuis l’intérieur, d’observer ce qu’il s’y passait.
Les médias sont une chose pire que l’Enfer pour l’Eglise
Allociné : Dès l’ouverture, on perçoit que derrière les murs de cette maison, au-delà de l’exaltation de ces côtes, se dissimule une terreur sous-jacente. L’apparente tranquillité des plans, leur fixité, est brisée par les mouvements très nets des personnages. De quelle manière avez-vous travaillé cette ouverture ?
Pablo Larraín : Le mouvement en cercle de la branche tenue par le père Vidal, faisant courir son chien, ramène à la figure du cercle, du cycle et laisse à penser que tout finit toujours de la même manière. Après le lévrier, Sandokan devient au final la mascotte de ce groupe de prêtres là. L’autre motif est celui de la répétition : le balai agité violemment par Monica, dans des mouvements identiques et secs, reflète une pulsion de mort. A la base, je souhaitais créer un espace mystérieux et l’associer à des choses invisibles, comme la Foi qui est intangible et qui est associée à l’âme. Comment la filmer ? Il faut la faire transparaitre par l’atmosphère, ce que le cinéma permet. Il fallait aussi que le spectateur puisse porter ses propres conclusions en regardant le film, que nous lui apportions plusieurs niveaux de lecture. C’est de l’inconnu et du danger que naît le cinéma.
Allociné : Ce danger est aussi visuellement apparent : le filtre tirant vers le violet, la lumière laiteuse qui éblouit le cadre… Etait-ce important pour vous d’apporter une dimension supplémentaire au travers de l’image ?
Pablo Larraín : Deux choses ont été définies. Il y a d’abord une dimension vaporeuse, un manque de clarté qui provoque d’emblée chez le spectateur des questionnements. Il fallait que l’on ait l’impression d’être immergé dans un endroit inclassable, aux repères inconnus. Ensuite, le film agit comme un manifeste envers l’hégémonie de la Haute Définition. La pellicule impose un travail de laboratoire afin d’en révéler son image. C’est une tâche qui implique l’utilisation de divers composants, dont l’eau. Or cette dernière est différente dans chaque pays, influençant l’esthétique du film. De cette manière, on pouvait avant véritablement reconnaitre la patine d’un film français, d’un film italien, asiatique ou latino-américain. Le travail de la pellicule était donc un phénomène géo-politique. Maintenant, le capteur photographique de la caméra est le même dans le monde entier, homogénéisant l’esthétique des films. C’est dans une telle ère que l’on s’est demandé comment donner à notre projet une patine unique.
Le film agit comme un manifeste envers l’hégémonie de la Haute Définition
Allociné : Durant votre parcours, vous avez pu toucher différents formats : la télévision en collaboration avec HBO (Profugos), le cinéma et le théâtre, puisque le personnage de Sandokan d’El Club a d’abord existé au travers d’un monologue théâtral il y a presque deux ans de cela. Comment avez-vous abordé ces différents arts, à la fois proche et distincts ?
Pablo Larraín : Il y a beaucoup de différences entre le cinéma, le théâtre et l’opéra, que j’ai aussi eu l’occasion d’expérimenter. Une dissemblance majeure est l’usage du temps. Il peut être terrifiant en théâtre lorsqu’il est drôle au cinéma. L’art de la direction consiste à savoir comment l’utiliser pour atteindre son objectif. En revanche, vous créez dans tous les cas une illusion avec des éléments très simples. Faire de la mise en scène, c’est un peu comme être ce magicien qui fait léviter une feuille ou qui projette de la fumée pour disparaître. Il faut que le spectateur ne se rende compte de sa position passive que lorsque la lumière se rallume, victime, en quelque sorte, de cette illusion. Observer comment le public se sent à la fin d’une projection ou d’une représentation, c’est ce qui me fascine.
A la télévision, le temps n’existe pas. Il est en compétition avec la migration vers d’autres chaînes, avec le téléphone, son alarme ou même le micro-ondes qui bipe. Le contenu proposé doit donc attraper le spectateur pour que celui-ci reste rivé face à l’écran. Automatiquement, il suit d’autres règles.