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    Marguerite : "Avec Catherine Frot, je suis tombé sur une actrice en état de grâce"
    Clément Cuyer
    Clément Cuyer
    -Journaliste
    Clément Cuyer apprécie tous les genres, du bon film d’horreur qui tâche à la comédie potache. Il est un "vieux de la vieille" d’AlloCiné, journaliste au sein de la Rédaction depuis maintenant plus de deux décennies passionnées. "Trop vieux pour ces conneries" ? Ô grand jamais !

    Rencontre avec Xavier Giannoli, le réalisateur du long métrage Marguerite, en salles ce mercredi, dans lequel Catherine Frot incarne une femme passionnée d'opéra mais qui chante... terriblement faux !

    2015 Concorde Filmverleih GmbH

    Avec le long métrage Marguerite, en salles ce mercredi, Xavier Giannoli signe une oeuvre tragi-comique racontant l'histoire d'une femme fortunée passionnée d'opéra mais qui chante... terriblement faux ! Une histoire d'ailleurs inspirée d'une véritable chanteuse, Florence Foster jenkins, que vous pouvez écouter ici.

    Rencontre avec un cinéaste passionné, fortement marqué par sa collaboration avec Catherine Frot, interprète de Marguerite et "actrice en état de grâce."

    AlloCiné : Comment le projet "Marguerite" est-il né ?

    Xavier Giannoli : Tout a commencé par un grand éclat de rire. Un jour, à la radio, j'entends cette voix incroyable d'une femme qui chantait Mozart complètement faux. C'était hilarant. Je me suis dit : "Mais comment un tel disque a pu exister ?" Je me suis renseigné sur le personnage, et j'ai découvert que cette femme existait dans les années 40. Elle s'appelait Florence Foster Jenkins, était riche et généreuse, voulait partager son amour de la musique et de l'opéra avec un cercle d'habitués devant qui elle avait l'habitude de chanter. Mais jamais personne ne lui a dit qu'elle chantait complètement faux. Par cupidité, par hypocrisie, par lacheté, ou par cruauté aussi. J'ai eu envie de suivre cette femme, de raconter son histoire.

    AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce personnage ?

    Ce qui était beau dans l'histoire extraordinaire de cette femme, c'est qu'il y a une vérité humaine, qui est tout simplement qu'on a tous besoin d'illusions pour vivre. Elle n'a jamais su qu'elle chantait complètement faux et il va falloir qu'elle découvre la vérité. Toute la tension du film, c'est : "Qu'est-ce qui va se passer quand elle va découvrir qu'on lui a menti toute sa vie ?" Je crois que ce risque, ce danger qu'il y a à perdre ses illusions sur soi-même, sur une histoire d'amour, sur ses capacités professionnelles, d'être confronté à la réalité, ça a une vérité humaine. Je crois que c'est ça qui touche chez le personnage.

    Ce personnage a quelque chose entre le grotesque et le sublime

    Une de mes premières intuitions a été de me dire que les déchirements de sa voix, complètement fausse, étaient sans doute aussi l'écho du déchirement de son coeur. Que, finalement, je ne raconte pas seulement l'histoire d'une chanteuse, mais d'une femme qui est chanteuse. C'est vrai qu'il y a quelque chose de drôle et d'hilarant à la voir monter sur scène en croyant qu'elle chante juste, alors qu'on a l'impression qu'elle étrangle le perroquet de Mozart. Mais en même temps, il y a la profondeur de ce personnage, sa solitude, et cette idée toute simple qui est que c'est aussi l'histoire d'une femme qui voudrait récupérer le regard et l'attention de son mari. Il y a quelque chose de l'amour qui se joue, du drame passionnel. C'est pour ça que ce personnage a quelque chose entre le grotesque et le sublime. C'est ça qui, je pense, en faisait un destin fort au cinéma.

    Memento Films

    AlloCiné : Racontez-nous votre collaboration avec Catherine Frot...

    Le personnage est à la fois comique et burlesque, et en même temps tragique. Personne au monde à part Catherine, je pense, ne serait arrivé à incarner avec une telle grâce ces deux sentiments. Quand je repense à ce film, à son tournage, la première chose qui me revient à l'esprit, c'est une actrice en état de grâce. Elle n'avait pas tourné depuis un ou deux ans et ce rôle a, je crois, touché quelque chose en elle, une part assez mystérieuse pour moi, et que d'ailleurs que je ne veux pas connaître. Mais je voyais sur le tournage, dans chacun de ses regards, de ses gestes, de ses propositions, que ce soit dans l'excentricité, la drôlerie, la folie, ou l'émotion et la profondeur, que quelque chose lui était évident et naturel avec ce personnage. Je n'ai jamais vécu ça sur un plateau. L'impression à ce point-là que l'actrice et le personnage ne faisaient qu'un, qu'il n'y avait aucune distance. Qu'il y avait une incarnation bouleversante pour moi, comme metteur en scène, qui me donnait autant le désir de raconter l'histoire que d'observer Catherine vivant cette histoire.

    Le problème technique que j'ai eu, c'est que Catherine chante très bien

    AlloCiné : Pour ce film, Catherine Frot a du apprendre à chanter... faux !

    C'était très dur. Le problème technique que j'ai eu, c'est que Catherine chante très bien, et que du coup il fallait arriver à ce qu'elle ait à la fois les gestes et les postures d'une grande diva, et en même temps inventer cette voix qui serait à la fois drôle, ridicule, grotesque, mais aussi sumblime et émouvante. Il fallait que tous ces déraillements et ces notes fausses aient une émotion. Elle chante faux mais elle est vraie, c'est ça qui était beau. Dans l'arc du personnage, ce que j'aimais, c'est qu'au début on est du côté des rieurs, des gens qui se moquent d'elle, et à la fin, quand elle se produit et qu'elle chante toujours aussi faux, on est de son côté à elle. Elle a une telle générosité, elle exprime tellement d'émotions et de désir d'être aimée, et non pas reconnue, que cette fausseté devient en fait la preuve de sa profonde honnêteté et de son émotion.

    AlloCiné : Ce film met par ailleurs à l'honneur l'opéra...

    Il y a quelque chose dans l'opéra qui est important pour l'écriture du film. Quand j'écrivais, j'avais un essai sur mon bureau, L'Opéra ou la défaite des femmes. La plupart des grands personnages d'opéra, ce sont des femmes qui vivent des histoires d'amour tragiques, qui meurent, comme La Dame aux camélias. Je pensais à des cinéastes que j'admire beaucoup, Lars von Trier ou Billy Wilder, je pensais à leurs personnages féminins, dans Breaking the Waves ou Boulevard du crépuscule. Il y a quelque chose de la cruauté du destin d'une femme qui est un spectacle de cinéma ou d'opéra fascinant. Cette émotion-là est dans le sujet du film : à la fois cette fragilité et cette grande violence. Moi, je retrouve ça dans la musique baroque. Il y a de pures scènes dans le film où il y a quelque chose de très subtil et délicat dans la musique baroque, et en même temps d'une très grande violence. Je sais que c'était une note importante pour moi dans le film.

    La bande-annonce de "Marguerite" :

     

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