Découvrez un réalisateur à suivre, Sebastian Schipper, qui vient de signer le long métrage Victoria, plan séquence de 2h15 mené par une actrice étonnante, elle aussi à surveiller, Laia Costa. Victoria est reparti récompensé de l'ours d'argent du dernier festival de Berlin et du Grand Prix du jury au festival du cinéma policier de Beaune. Rencontre avec un homme au franc parler rafraîchissant, et une vision peu commune du cinéma.
Vous avez réalisé une prouesse technique, je commence par une question technique : comment écrit-on un plan séquence de deux heures vingt ?
On ne l’écrit pas. J’ai rédigé 10-12 pages, car lorsque j’ai eu l’idée du plan séquence, je savais que je devais écrire le scénario parfait. Or écrire, c’est très chiant ! Et j’ai réalisé que pour avoir le scénario parfait, il ne fallait pas de scénario. (…) Si vous construisez un gratte-ciel, il doit être flexible, sinon il se brisera.
[Pour ma mise en scène], j’ai aussi changé la façon que j’avais de diriger. J’ai fait de la micro-direction : "plus près, souris plus, souris moins, plus fort, plus drôle, plus sombre". Je micro-dirige le film. C’est impossible de tout écrire. Donc c’est un film quasiment sans papier.(…) J’ai vécu une expérience de cinéaste. Avec mes tripes.
Pas beaucoup d’écrit, j’imagine donc qu’il y a eu énormément de répétitions ?
Oui, nous avons répété. Nous avons découpé le film en prises de dix minutes. Par exemple la première nuit : dancefloor-rue-voiture américaine-marche-traversée de la rue-vol de bières-retour-police-monter sur le toit-coupez. Puis je leur ai dit : "plus vite, plus drôle, très bon"… (…) C’est comme ça que l’on a travaillé. Finalement c’est pendant les dix jours de répétition que nous avons écrit le scénario.
Je me demandais… Avant de réaliser un braquage, vos personnages prennent de la drogue. Est-ce une pratique dont vous aviez entendu parler ou un choix personnel ?
J’ai effectué beaucoup de recherches. J’avais des conseillers techniques pour m’expliquer comment on braque une banque. Ils prennent de la drogue [avant le cambriolage] pour prendre confiance en eux et au cas où ils seraient pris. Si c’est le cas, "ils étaient sous l’effet de la drogue". On m’a aussi beaucoup expliqué ce que [mes acteurs] devraient ou ne devraient pas faire dans la banque.
De quelle façon avez-vous pu tourner… (il coupe la question)
Je voudrais ajouter une chose. Pour moi, Victoria est un projet fou et décalé. Un bâtard. Prenez des films comme Apocalypse Now ou A bout de souffle, c’était avant tout de la spontanéité. Le plus important dans ces films n’était pas le scénario, c’était le déroulé [du tournage]. Avoir des idées (…).
Avoir une vision de cinéaste, également ?
Oui, et pour moi la vision ne vient pas du papier. Et je sais que l’histoire est la chose la plus importante, mais je me disais ce matin que le cinéma devenait professionnel, voire trop professionnel. Tout le monde est expert : direction de la photo, éclairage, mais c’est un peu comme les films Pixar. Ils marchent très bien car ils peuvent tout rendre parfaitement. C’est frustrant. Et les spectateurs adultes se tournent vers la télévision américaine, vers HBO et disent : "on va aux fêtes où il y a de l’alcool et où on peut dire "merde"" (rires). Et c’est vrai. Il faut défendre le cinéma.
Certaines des séries HBO dont vous parlez ont tentées le plan séquence. Comment avez-vous travaillé avec votre directeur de la photographie Sturla Brandth Grøvlen pour tourner le vôtre ?
Sturla et moi n’avons pas essayé de faire un beau film [plastiquement parlant, NdlR]. Nous n’avons pas essayé de faire Apocalypse Now, A bout de souffle ou Les Quatre cents coups, mais nous les avons admiré, nous avons allumé un cierge devant, puis quitté l’église. Car c’est cela l’admiration. Copier ce n’est pas admirer.
On doit faire entendre sa propre voix…
Exactement ! Car c’est ce que ces réalisateurs ont fait [à l’époque].
"Victoria", une expérience à vivre dans les salles ce mercredi 1er juillet :
Propos recueillis à Paris par Corentin Palanchini le 16 juin 2015.