"Vice Versa" semble avoir représenté un challenge énorme pour les animateurs. Pensez-vous qu’on puisse le compter parmi les films Pixar les plus difficiles à faire ?
Pete Docter : Je pense que les gens sous-estiment la somme de travail. Beaucoup pensent que le film entier était dans notre tête dès le départ. Ce n’est pas vrai du tout. Au début, j’avais de tous petits morceaux d’idées, et notre incroyable équipe n’a pas cessé de travailler, d’essayer des approches différentes, des idées différentes.
Beaucoup pensent que le film entier était dans notre tête dès le départ. Ce n’est pas vrai du tout.
C’est aussi le premier film du studio qui dépeint quelque chose d’invisible pour les yeux…
Je pense que dans un sens, tous les films sur lesquels nous avons travaillé avant nous ont préparés pour ça. Quand je repense à Monstres & Cie, on se demandait à quoi pouvait ressembler un monde rempli de monstres, à quoi pouvaient ressembler les monstres eux-mêmes. Personne ne savait vraiment, mais nous avons fini par nous inspirer d’éléments de la vie réelle. Cette fois, nous avions le même défi devant nous, mais rien sur quoi nous appuyer. On ne pouvait pas s’inspirer de gorilles ou d’ours pour trouver à quoi les émotions pouvaient bien ressembler. Et même le monde, le design, et les multiples histoires qui se répondent… Nous avons l’histoire de Riley et nous avons l’histoire intérieure à laquelle Joie doit faire face. C’était très difficile, je ne pense pas qu’on aurait été capables de faire ça il y a 10 ans. Je pense que ça nécessitait un peu de temps et d’expérience.
Je ne pense pas qu’on aurait été capables de faire ça il y a 10 ans.
Comment faites-vous pour arriver à associer l’héritage des studios Pixar et l’originalité ?
C’est un mélange d’expérience et de leçons apprises, avec le désir de ne jamais répéter les mêmes choses. Chaque film, et celui-ci en particulier, est très différent. Chaque fois qu’on se dit : "Attends une minute, on a déjà parlé de ça dans Toy Story 3 ou un autre film", on éloigne l’idée et on trouve une nouvelle façon d’en parler. Ce que je veux dire, c’est qu’à l’origine, on parle toujours d’expérience humaine. Quel que soit le moyen, qu’il y ait des voitures ou des poissons à l’écran, on veut que le spectateur se dise : "C’est mon problème ! Je suis concerné par ça. Je comprends ça." Mais on veut aussi s’assurer qu’on n’a pas déjà abordé le problème en question dans un de nos autres films, donc c’est compliqué.
Les artistes Pixar comptent parmi les meilleurs story-tellers du monde. Quel serait votre conseil pour raconter une bonne histoire ?
Il y a beaucoup de choses qu’on fait. Au final, l’un des fondamentaux essentiels est de faire en sorte que le spectateur se sente concerné par le personnage. Vous pouvez lire tous ces livres, anticiper sur la façon dont les choses doivent se passer à la page 47 du scénario, etc… Il y a toutes sortes de maths scénaristiques, comme je les appelle. Mais au fond, ça se résume à un enjeu : faire en sorte que les gens se préoccupent des personnages, s’attachent à eux. C’est facile à dire, mais plus difficile à faire. Vous n’allez pas au cinéma pour faire un devoir de maths, vous y allez pour être ému, pour expérimenter quelque chose. Pour moi, ça implique de me sentir concerné par ce que je mets à l’écran en tant que réalisateur. Et avec un peu de chance, ça transparaitra dans le film et vous vous sentirez concernés aussi.
Vous n’allez pas au cinéma pour faire un devoir de maths, vous y allez pour être ému.
"Pour chaque rire il faut une larme" était un principe cher à Walt Disney. Est-ce une règle que vous appliquez aussi quand vous réalisez des films ?
Bien sûr. J’ai un peu connu Joe Grant qui a été le bras droit de Disney pendant des années dans les années 40. Je l’ai connu dans les années 90, et lorsque je lui pitchait des histoires, il me demandait souvent : "Que donnes-tu aux spectateurs à emporter chez eux ? Qu’est-ce qui va les suivre à la maison ? A quoi vont-ils repenser ?" Nous avons appris en faisant des recherches sur ce film que les souvenirs qui vous restent le plus longtemps sont ceux qui vous ont touché émotionnellement. Quand vous avez peur, que vous éprouvez de la colère, vous allez vous souvenir de ces moments beaucoup mieux que des moments fades où rien de spécial ne se passe. On est vraiment conscients de ça, et pour ce film, nous nous sommes directement posé la question : qu’est-ce qui va faire que les gens vont s’attacher à ces personnages ? Quel est le noyau émotionnel de tout ça ?
Quelle est la plus grande qualité requise pour travailler à Pixar…
Je pense que c’est l’endurance. Parce qu’il y a toujours un moment, en quatre années de travail sur un film, où vous avez été démoralisé tellement de fois, simplement par le fait que l’histoire ne fonctionne pas… Et puis vous vous ressaisissez, et vous vous dites : "Okay, on y retourne !" Le fait de pouvoir se relever et repartir demande de la ténacité. Il y a beaucoup de gens qui sont des sprinters, ils vont très vite sur de courtes de distances et puis c’est terminé. Ici, c’est un marathon. Vous devez continuer à courir pendant des années.
C’est un marathon. Vous devez continuer à courir pendant des années.
Vous souvenez-vous de votre tout premier jour à Pixar ?
Selon mes souvenirs, à cette époque, Pixar était encore à Point Richmond, de l’autre côté du pont. Je suis arrivé, et le studio était assez petit. Il n’y avait que quelques bureaux. Je voulais me mettre tout de suite au travail, et John Lasseter m’a dit : "Je suis occupé. Assieds-toi et regarde Andrew travailler." Parce qu’Andrew Stanton avait commencé deux ou trois mois avant moi. Il commençait tout juste à apprendre comment animer sur un ordinateur. Donc John m’a dit de regarder Andrew pour apprendre le système. Donc je me suis assis là, j’ai regardé Andrew qui jetait des regards à son ordinateur et à son stylo. Et il soupirait des choses comme : "Fichu truc ! C’est pas possible !" (rires) Et je me suis dit que ça n’allait pas être facile. Je me rappelle ça plutôt bien. Il y avait un écran vectographique. C’était complètement différent d’aujourd’hui. J’ai été aussi surpris par l’aspect banal du lieu. Je m’attendais à des ordinateurs étincelants, comme dans un vaisseau spatial. A la place, il y avait des trous dans les murs, des poubelles… A l’époque on était associés à Lucasfilms, donc de l’autre côté de la rue, ils construisaient des maquettes pour des films. C’était plutôt cool, donc on se faufilait là-bas pour voir ce qui se passait…
Je m’attendais à des ordinateurs étincelants, comme dans un vaisseau spatial.
Quel est votre premier souvenir d’animation en tant que spectateur ?
C’était probablement à la télé, devant le "Monde merveilleux de Disney". Mes parents nous permettaient de veiller pour regarder l’émission certains dimanches soirs. On avait 7 ou 8 ans. Parfois, c’était des séquences en prises de vues réelles, ou des documentaires… Et on priait toujours pour que ce soit des dessins animés. Ils montraient des cartoons de Donald Duck, ou des extraits des films, et j’adorais ça. Je pense que ce qui me fascinait, c’est que même en tant qu’enfant, je pouvais voir que ce n’était pas réel puisque c’était dessiné, mais ça avait l’air vivant ! C’est incroyable. Je suis toujours fasciné par ça, et j’en ai fait mon gagne-pain. (rires)
Comment nos émotions réagissent-elles un premier jour d'école ?