Une oeuvre majeure
Dans la galaxie des auteurs très souvent adaptés à l'écran, Philip K. Dick occupe incontestablement une place de choix. On relève ainsi pas moins d'une dizaine de nouvelles ou romans portés sur grand écran, avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs. A un chef-d'oeuvre absolu et définitif comme Blade Runner ou les plutôt solides Minority Report et A Scanner Darkly, s'opposent des adaptations comme Next ou Paycheck qui n'ont pas tout à fait brillées au firmament du 7e Art...
Ecrit en 1962 et couronné l'année suivante par le prestigieux Prix Hugo du Meilleur roman, Le Maître du haut château est l'une de oeuvres de K. Dick les plus célèbres -et lues- dans le monde. Cultissime roman uchronique, il traîne aussi une réputation d'être plus ou moins inadaptable (tout comme Ubik, sur lequel Michel Gondry s'est cassé les dents), tant introspections et sous-intrigues se multiplient. L'auteur pratique même la mise en abîme en créant une uchronie dans l'uchronie. Pas vraiment le genre de choses dont le Hollywood Mainstream raffole, à moins de pratiquer un large caviardage...
Il faut dire aussi que l'adaptation de ce roman a connu un accouchement difficile. On en parle depuis 2010. A cette date, la société de production de Ridley Scott, Scott Free, voulait s'en charger, avec la bénédiction de la BBC, qui s'est finalement rétractée. Puis ce fut au tour de la chaîne SyFy de se désister du projet.
Jeune studio cherche projet innovant
Ce n'est finalement pas tout à fait du côté d'Hollywood que le pari de l'adaptation sera relevé, mais sous la houlette d'un nouvel acteur-mastodonte qui entend bien tailler des croupières à Netflix : le géant du E-commerce Amazon, via Amazon Studios. Et Ridley Scott en tant que producteur exécutif, lequel ne tarie d'ailleurs pas d'éloges sur l'oeuvre de K. Dick : "Le Maître du Haut Château est l'une des oeuvres de Dick les plus imaginatives et captivantes. Certainement l'une de mes préférées".
Si le projet était de créer une mini série en quatre épisodes, puis finalement dix, seul le pilote, scénarisé par Frank Spotnitz (bien connu des amateurs de X-Files) et réalisé par David Semel, a vu le jour dans un premier temps. Dévoilé aux abonnés Premium, ces derniers devaient ensuite voter pour donner une suite favorable ou non à ce pilote, et transformer ainsi l'essai. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les retours du public comme de la Critique été très élogieux. Et à juste titre. Cela tombe bien : ce vendredi 20 novembre, c'est le coup d'envoi de la série sur Amazon.
Une uchronie terrifiante
Basé sur le principe de l'uchronie, le roman décrit un univers terrifiant. Soit une réalité alternative, dans laquelle les Alliés auraient perdu la Seconde guerre mondiale face à l'Allemagne Nazie, le Japon impérialiste et l'Italie fasciste. Après la capitulation des Alliés en 1947, les Nazis occupent désormais une partie du territoire américain, tandis que le Japon en occupe une autre, formant ainsi le Grand Reich Nazi et les Etats Pacifiques Japonais. Au centre, une zone qui constitue un pays vassalisé et exsangue, où les rebus de la société sont expédiés.
L'intrigue se déroule en 1962. Hitler est âgé de 73 ans, et malade. Goebbels et Himmler luttent pour lui succéder à la tête du grand Reich. Sur le territoire américain, une lutte à mort clandestine s'est engagée pour tenter de résister, impitoyablement réprimée par les occupants nazis et japonais. Entre ces deux puissances conquérantes, les relations diplomatiques courtoises ne sont que pure façade : l'Allemagne Nazie méprise en réalité leurs alliés japonais, au point de se préparer à les frapper prochainement...
L'ouverture du pilote, très habile, est à ce titre glaçante. A travers une vidéo de propagande diffusée dans un cinéma de quartier, le spectateur assiste un peu médusé à une réécriture de l'histoire, qui montre comment les américains ont fini par accepter de se plier à la volonté de leurs maîtres nazis. "C'est un nouveau jour" affirme le narrateur, "le soleil se lève à l'Est. A travers notre pays, les hommes et les femmes vont au travail dans les usines et les fermes pour subvenir aux besoins de leurs familles. Tout le monde a un travail. Chacun connait son rôle pour maintenir un pays toujours plus sûr et fort. Aujourd'hui, nous remercions les leaders de notre pays, qui nous rendent chaque jour plus forts et fiers".
Ce n'est toutefois qu'à la fin de cette vidéo de propagande que sont faites les références explicites aux nazis vainqueurs : "oui, c'est un nouveau jour pour notre fière patrie, mais le meilleur est encore à venir. Sieg Heil !", avant que notre regard ne s'attarde, horrifié, sur une relecture du Stars & Stripes, la fameuse bannière étoilée des Etats-Unis, revue à la sauce nazie...
Un peu plus loin, le pilote continue de planter le décor; sombre. Témoin ce plan sur Time Square à New York, où l'on distingue au dessus d'un néon, une citation de sinistre mémoire : "Work Will set you Free"; "le travail rend libre". Une variante US de l'atroce citation qui était sur les frontispices des portes d'entrées des camps de concentration et d'extermination nazis : "Arbeit Macht Frei".
Ci-dessous, un aperçu de la ville de San Francisco, occupée par les Japonais :
Le Pilote a bénéficié d'un soin maniaque du détail, tant au niveau des décors que des costumes, pour plonger au mieux le spectateur dans l'atmosphère oppressante de The Man in the high castle. Et c'est franchement réussi.
Il prend aussi son temps pour mettre en place ses personnages. Deux en particulier, qui vont jouer un rôle très important par la suite. D'abord un énigmatique Joe Blake (Luke Kleintank), chargé par le chef de la résistance de convoyer à bord d'un camion un très précieux colis dans la zone centrale des Rocheuses. Et une certaine Juliana Crain (solidement jouée par Alexa Davalos), vivant en territoire japonais, qui s'improvise malgré elle résistante en prenant le relais de sa belle-soeur Trudy Walker, qui devait livrer une étrange bobine de film. Des images d'archives en fait, relatant la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe. De là à dire que le cours de l'Histoire ne s'est pas tout à fait déroulé comme prévu...
Atmosphère, atmosphère...
Atmosphère oppressante disions-nous plus haut. A laquelle il faut même ajouter un malaise diffus. Témoin cette séquence dans laquelle Joe Blake, en pleine campagne, est garé sur le bord d'une route avec une roue de son camion à changer. Un policier nazi s'arrête alors à sa hauteur, et lui propose de l'aider à changer sa roue. Commence alors à pleuvoir des cendres. Réponse du policier : "Oh ça c'est à cause de l'hôpital, tout les mardis, il brûle les handicapés et les malades en phase terminale". Une référence glaçante au programme d'euthanasie mis en place par les nazis en 1939 visant à exterminer systématiquement les handicapés physiques et mentaux...Ou encore cette séquence de torture, que certains ont jugé inutile. Là aussi on ne partage pas cet avis : sans spoiler, elle trouve sa justification en ce qu'elle montre que les nazis ont en fait un coup d'avance dans leur impitoyable traque contre la Résistance.
Un sans faute ?
The Man in the High Castle parvient-il à faire un sans faute dans ce pilote ? Evidemment non. Les fans du roman de Philip K. Dick hurleront peut-être à la mort sur certains choix effectués dans cette adaptation; comme par exemple le fait d'évacuer des personnages importants dans ce pilote (celui de l'Antiquaire Childan dans le roman) ou d'introduire une nouveauté comme les images d'archives de la victoire des Alliés évoquées plus haut (et qui vont jouer un rôle essentiel donc), alors que dans le livre, il s'agit d'un roman, Le poids de la sauterelle, une uchronie dans l'uchronie, dans laquelle les Alliés sont effectivement les vainqueurs contre les forces de l'Axe. Un roman écrit par un certain Hawthorne Abendsen...Le fameux maître du haut château.
Avec sa reconstitution soignée, une solide interprétation et un Cliffhanger très réussi, le pilote avait de solides atouts à faire valoir pour transformer effectivement l'essai en série. C'est désormais chose faite à compter d'aujourd'hui sur Amazon.
Ci-dessous, la bande-annonce de la série, dévoilée lors du Comic Con...