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    "Qu'Allah bénisse la France est un cri social dans le fond, un hommage au cinéma dans la forme..."
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Rédactrice en chef adjointe
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    Adapté du livre autobiographique du rappeur et écrivain Abd Al Malik, "Qu'Allah bénisse la France" sort en salles cette semaine. Rencontre avec l'auteur-réalisateur et son acteur principal, Marc Zinga.

    Giancarlo Gorassini / BestImage / Ad Vitam

    Allociné : Vous êtes une figure incontournable du rap français, également auteur d'une autobiographie dont Qu'Allah bénisse la France est l'adaptation. Un premier pas vers l'écriture de scénario et la réalisation pour le touche-à-tout que vous êtes. Parlez-nous de ce nouveau mode d'expression chargé aujourd'hui de porter votre cri, votre histoire...

    Abd Al Malik, auteur et réalisateur : Le cinéma est un art total. Je le dis souvent comme une boutade, mais je le pense : le cinéma n'est pas le 7è art, il contient les sept arts. On peut aller très loin dans l'émotion car l'immédiateté qu'apporte l'écran est très très forte. Ce film est un cri, c'est vrai, mais c'est un cri que les gens entendent parce qu'ils ont payé pour.

    J'ai choisi de filmer en noir et blanc tout d'abord pour rappeler au spectateur qu'il est au cinéma. Le noir et blanc souligne aussi davantage les émotions ou l'intemporalité. C'était une évidence et aussi bien sûr un hommage au cinéma fondamental. A des films comme La Haine, mais aussi au néoréalisme italien, et notamment à Rocco et ses frères, ou encore aux films de Robert Bresson

    Je suis un enfant de "La Haine"...

    Je suis un enfant de La Haine. Quand le film est sorti en 1995, j'étais un adolescent. Mathieu Kassovitz m'a inspiré, influencé. Mais je suis aussi un grand admirateur du Nouvel Hollywood, avec des gens comme Scorsese, Coppola, De Palma qui conçoivent le cinéma comme une forme d'art. J'aime enfin la manière dont Gus Van Sant filme des tranches de vie, montrant comment un événement peut entièrement transformer un adolescent.

    Ad Vitam
    Ce film est un cri social dans le fond, un hommage au cinéma dans la forme

    Ce film est donc pour moi un cri social dans le fond mais aussi un hommage au cinéma dans la forme. C'est une déclaration d'amour au cinéma comme medium, capable aujourd'hui de bouleverser davantage que la littérature, la musique, parce que notre monde est celui de l'image. Au-delà de la problématique sociale, de la réflexion sur l'intégration et l'identité, je voulais dire mon amour au cinéma.

    Vous êtes un homme des mots. Comment êtes-vous devenu un homme des images ?

    Abd Al Malik : A l'origine, je suis un cinéphile. Je suis aussi passionné par le cinéma que par la littérature ou la musique. Ensuite, depuis des années en musique, j'ai beaucoup participé à l'élaboration de clips, qui ont été pour moi des courts métrages, d'une certaine manière. Enfin, je pense savoir raconter des histoires auxquelles j'aime donner l'écrin qui leur correspond le mieux. Cela peut-être une chanson, qui dure trois minutes, un livre ou un film. Mais avec ce film, j'ai pu aller plus loin dans ce que je voulais partager, parce qu'il m'a permis de mêler la musique, la poésie, la littérature.

    Je suis un homme des mots, oui, et avec la caméra, c'est comme si je changeais de stylo...

    Je suis un homme des mots oui, et avec la caméra, c'est comme si je changeais de stylo. Elle devient mon stylo et l'écran une grande feuille. Ce qui m'intéressait, c'était de faire un vrai film de fiction, c'est-à-dire avec une singularité, différente de ce qu'offre la littérature. Il s'agissait donc de transformer la matière littéraire en matière cinématographique. Il s'agit en outre de ma vie, oui, à 90%. Les quelques rares différences sont dues au changement de langage, comme s'il s'agissait d'une traduction.

    Ad Vitam

    Un hommage au cinéma dans la forme et un cri dans le fond, donc. Que criez-vous à travers ce film ?

    Abd Al Malik : Je raconte l'histoire de quelqu'un qui a vécu des choses difficiles et qui, par la culture, le savoir, la spiritualité, a réussi à transcender sa condition. D'une certaine manière, j'ai pu m'en sortir et réussir car j'ai eu de la chance. Et ça, ce n'est pas normal. Quand on est dans un pays qui s'appelle la France, un si beau pays avec ses grandes institutions, ça devrait être juste normal de s'en sortir. Un pays qui n'arrive pas à s'occuper de la même manière de tous ses enfants, c'est un problème.

    Un pays qui confond la spiritualité des uns et l'instrumentalisation de l'Islam par d'autres à des fins politiques, est indigne des intellectuels qui l'ont habité...

    Un pays qui confond la spiritualité des uns et l'instrumentalisation de l'Islam par d'autres à des fins politiques, est indigne des intellectuels qui l'ont habité, de Rousseau à Derrida en passant par Sartre et Camus. J'ai voulu parler de cette indifférence, de ces amalgames-là. Lorsqu'on révèle la pédophilie d'un prêtre, personne ne dit que le christianisme est pédophile et on ne demande pas au chrétien de s'en justifier. Pourquoi le demande-t-on à l'Islam? Les institutions de la France permettent de croire en qui l'on veut et de bien vivre ensemble...

    Marc Zinga, acteurQu'Allah bénisse la France parle également de la nécessité de se libérer de ses peurs pour aller à la rencontre de soi. C'est une fois que l'on s'est rencontré soi que l'on peut rencontrer les autres sans conflit. Le point de départ est la peur, motivée par plein de choses, une peur dont il faut absolument se libérer au préalable.

    Ad Vitam

    Abd Al Malik, vous transformez une autobiographie écrite à la première personne, en un film de fiction, interprété par Marc Zinga. Parlez-nous du choix de votre acteur principal...

    Abd Al Malik: Il ne s'agissait surtout pas de trouver un sosie ou quelqu'un qui joue mon rôle. Il me fallait quelqu'un qui incarne quelque chose, qui incarne une énergie, le peuple des cités, cette jeunesse en quête d'elle-même capable de faire les choses que ce soit des choses voulues ou parfois, en fonction des situations, des choses contraires à ce qui était voulu. Il fallait quelqu'un de capable d'exprimer cette confusion entre ce que l'on fait volontairement et ce qu'on est amené à faire malgré soi, et cette capacité à recoller les morceaux.

    Dans l'expression de ce parcours initiatique qui a été le mien,  Marc Zinga a été bouleversant. Il ne m'a pas imité.

    Dans l'expression de ce parcours initiatique qui a été le mien, Marc Zinga a été bouleversant. Il ne m'a pas imité. Je l'ai découvert après plusieurs castings, lorsque je suis tombé sur Mister Bob, un unitaire qui passait sur Canal +, à propos du mercenaire Bob Denart. Clovis Cornillac jouait le rôle titre aux côtés de Marc qui interprétait  Mobutu. Il était tellement saisissant et bluffant de vérité, il m'a fait littéralement peur. Ensuite je l'ai vu au théâtre dans Une saison au Congo d'Aimé Césaire. C'est un acteur incroyable. Une amitié est née entre nous et ça a été une évidence professionnelle et humaine.

    Ad Vitam
    Je n'ai pas lu le livre de Malik, je me suis dit "Partons de zéro !"

    Marc Zinga : Entre Malik et moi, il y a eu dès notre rencontre une connexion, une sorte de reconnaissance même. On s'est compris et aujourd'hui, c'est un grand ami à moi. Je n'ai pas lu son livre parce que je me suis dit : "Partons vraiment de zéro". D'un metteur en scène et d'un acteur qui tentent de faire un film ensemble. Je l'ai senti comme ça cette fois-ci. J'ai peut-être, comme on dit, lu en lui comme dans un livre ! Notre manière de travailler ensemble a été très fluide.

    Vous êtes Marc Zinga, la révélation de ce film et comme Abd Al Malik, un véritable touche-à-tout...

    Marc Zinga : J'ai été formé dans mon travail d'acteur en partie grâce à mon groupe de musique. Dans mon rapport à la scène, à la question artistique, à savoir comment on fabrique son objet artistique et pourquoi. Qu'est-ce qu'on est prêt à faire pour arriver là où on veut aller artistiquement. Ce groupe m'a fait comprendre le rapport entre le chemin et la destination. Se donner une destination, c'est une chose, mais il ne faut surtout pas mépriser le chemin. Ce qui me plait, c'est de raconter des histoires.

    Il faut être là où on est le plus efficace, le plus précis possible.

    Il faut être là où on est le plus efficace, le plus précis possible. Et en cela, le multitâche peut être une entrave. C'est formateur d'avoir mené plusieurs activités, d'avoir réalisé un court métrage, de savoir chanter (NDRL : il chante dans le film), mais au fur et à mesure, je me suis dépouillé de certaines de ces activités-là pour me concentrer vers le jeu, au cinéma ou au théâtre qui est essentiel pour moi.

    La bande annonce de "Qu'Allah bénisse la France"

    Tout sur le film

    Propos recueillis à La Réunion, le 10 octobre 2014.

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