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    ’71 : Yann Demange : "La manière dont la guerre affecte les enfants est un thème qui me touche"

    Pour son 1er long métrage le réalisateur Yann Demange nous offre "'71", un thriller haletant qui se déroule en pleine période de Troubles en Irlande. Rencontre avec un metteur en scène passionné. Le film sort ce mercredi 5 novembre sur nos écrans.

    Alexandra Lagasse / AlloCiné

    AlloCiné : 71 est votre 1er long métrage. Le film se déroule à Belfast en pleine guerre civile. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film qui se déroule durant  la période "des Troubles"  d'Irlande du Nord, d’autant que vous avez grandi à Londres et êtes né en 1977 ?

    Yann Demange : Au départ, je n’avais pas à l’esprit de faire un film sur l’Irlande qui se déroule à cette époque. J’avais envie de réaliser un long métrage depuis un bout de temps, j’avais d’ailleurs écrit un scénario mais il n’était pas assez bon. La boîte de production (Film 4), avec laquelle je travaillais, m’a alors proposé de lire les scénarios qu’ils avaient reçu. Dans mon esprit j’ignorais si j’allais pouvoir réaliser un second film, il fallait donc que je choisisse LE bon scénario pour le 1er.

    Film 4 a été très patient avec moi, donc quand ils m’ont dit qu’ils avaient reçu un script dont l’action se déroulait en Irlande j’ai accepté de le lire, mais au fond de moi il était hors de question que je le mette en scène. Je ne voulais pas passer après Steve McQueen. Hunger est un chef d’œuvre. Mais j’ai lu le scénario et j’ai été bouleversé. Ça ne parle pas uniquement de l’Irlande dans les années 70. C’est très contemporain, ça pourrait se passer en Algérie, en Irak, en Ukraine… 

    J’ai tout de suite vu l’opportunité de faire quelque chose qui transcende les spécificités de l’Irlande et de la guerre civile. C’est une histoire universelle. D’autant plus qu’il y avait déjà, dans la première version du scénario, des enfants. Et la manière dont la guerre les affecte est un thème qui me touche. Beaucoup de jeunes hommes s’engagent dans l’armée car elle fait office de figure paternelle, elle devient leur famille et leur vie.

    J’ai donc rencontré le scénariste (Gregory Burke) et les producteurs en disant que je voulais faire ce film mais qu’il fallait ajouter/modifier quelques scènes et personnages. Parce qu’au départ je ne me sentais pas à l’aise avec l’idée de réaliser un thriller haletant qui se déroulerait durant une période de peine et de souffrance.

    Ad Vitam

    Qu’avez-vous voulu ajouter / modifier ? Il me semble que justement vous avez insisté pour qu’il y ait plus d’enfants / de jeunes adultes dans l’histoire. C’est un sujet que vous avez  également traité dans la série Top Boy où des jeunes londoniens vivent dans le ghetto...

    Je ne voulais surtout pas faire un film qui prenne partie pour tel ou tel côté, il fallait donc humaniser tous les personnages. Montrer que chacun avait des raisons d’être là où il est. Rien n’est noir ou blanc et je ne voulais surtout pas tenir un discours politique ou démago. Je souhaitais poser des questions, provoquer une réflexion chez le spectateur, « Comment la guerre affecte les gens, et notamment les enfants ? ». C’est le côté humain qui m’intéresse. « Comment est-ce qu’on arrive à se construire quand on est enfant et qu’on grandit en temps de guerre ? Quelle sorte d’adulte on devient ? »

    J’ai donc insisté pour qu’il y ait des enfants tout au long du film, que ce soit le héros Gary (Jack O’Connell) qui n’est pas très âgé, son petit frère – d’ailleurs j’ai laissé planer le doute tout au long du film, on ne sait pas s’il s’agit de son frère ou son fils -, Sean (Barry Keoghan) qui est dans l’autre camp, ou encore le jeune Corey McKinley qui lui vient en aide. Je voulais que Gary ait un enfant dans sa vie, peu importe de qui il s’agit au final, il fallait qu’un enfant soit dans son entourage afin qu’il se sente responsable de quelqu’un et qu’à chaque fois qu’il voit un jeune il projette l’image de son frère. Il fallait qu’il soit touché par ces enfants qui vivent en pleine guerre. En plus ça renforce l’empathie du spectateur, on a envie que Gary survive. Et puis c’était d’autant plus important que lorsque vous faites des recherches sur la guerre d’Irlande - et c’est vrai avec toutes les guerres : l’Irak, l’Afghanistan, … - sur 70% des photos vous voyez  des enfants.  

    Vous me parliez de Top Boy et je me rends compte qu’en effet, je n’en étais pas conscient, mais c’est la même chose. Quand on est jeune, on a besoin de faire partie d’une tribu alors on fait tout pour y appartenir et ensuite on se rend compte qu’on peut y arriver seul… Peut-être que je répète ces thèmes car ils me font penser à ma vie, ça aide quand on est gosse de faire partie d’un groupe. Et peu à peu en grandissant on se rend compte qu’il y a aussi un côté effrayant à cela. C’est à double tranchant.

    Quand j’étais jeune ça m’a vraiment dérangé de ne pas être quelque chose à 100%... Je suis moitié Algérien, moitié Français, je suis né à Paris, j’ai été élevé à Londres… Je ne suis pas vraiment Français, pas non plus Algérien, ni Anglais. J’ai un passeport français mais j’ai toujours vécu à Londres pourtant je ne peux pas voter en Angleterre… Aujourd’hui je suis parfaitement à l’aise avec ce mélange qui m’est propre, mais quand tu es jeune c’est un vrai problème, tu te cherches...  Alors j’imagine à quel point ça a dû être dur à l’époque, en pleine guerre, pour ces enfants et comme ça l’est toujours pour les enfants qui vivent ces atrocités.

    Ad Vitam

    Jack O’Connell, qui tient le rôle principal a été doublement récompensé  lors du dernier Festival de Beaune pour son interprétation dans Les poings contre les murs et ’71.  Comment l’avez-vous rencontré ?

    J’ai pensé à lui dès la lecture du scénario. J’ai eu un rendez-vous avec la société de production Warp Films, qui a produit This is England, il y avait un poster du film dans leur bureau, quand ils m’ont demandé quel acteur je souhaitais voir pour le rôle de Gary j’ai répondu « Il faut qu’on trouve le prochain Jack O’Connell ». Dans le scénario le héros a 17 ans, il doit commencer la guerre en étant jeune et en sortir adulte.  J’avais vu des photos de Jack  sur Internet, il s’entrainait pour la suite de 300 et était très musclé, je me suis donc immédiatement dit que c’était raté !

    J’ai fait passer beaucoup d’auditions pour le rôle et puis ma directrice de casting m’a demandé pourquoi je ne rencontrerai pas Jack parce qu’il avait perdu tout le poids pris pour 300. On s’est donc vu à Londres dans un pub autour d’une bière, et puis je me suis aperçu qu’il faisait encore très jeune, en plus il est assez petit, il correspondait parfaitement au rôle. Une semaine plus tard on a fait un essai et je n’ai eu aucun doute c’était lui depuis le début et pas un autre !

    Il a un côté très Old school, il comprenait très bien son personnage et partageait la peine de celui-ci. Quand on lui demande d’interpréter la peine, il ne le joue pas, il est vraiment peiné. Il a eu une vie compliqué et il se sert des émotions vécues par le passé quand il joue. Il me fait penser à Gary Oldman jeune. Il donne vraiment tout au metteur en scène sans avoir peur.

    Quels sont vos futurs projets ?

    C’est difficile à dire parce que depuis le Festival de Berlin j’ai pas mal de propositions de la part des Américains, mais je n’ai pas envie de faire une suite… Quitte à choisir entre suite et remake je préfèrerai un remake. Mais pour le moment j’ai envie de faire quelque chose que je puisse contrôler où il n’y a pas énormément d’argent en jeu afin de garder la main sur le projet. Certes j’ai envie de faire des films avec plus de budget, un plus gros casting mais je veux pouvoir avoir le dernier mot.

    J’ai également un autre projet, un film français cette fois-ci, ce serait un film de crime qui se déroule dans la communauté algérienne ou espagnole – gitane, ce serait une histoire de  frères… Mais rien n’est encore sûr ou signé, et puis tourner en France m’effraie parce que je ne parle plus très bien français. Je suis en pleine réflexion.

    Voir le bande-annonce de "'71"

     

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