Des lettres en Times New Roman sur un fond noir, un air jazzy de clarinette, et un film qui s’ouvre sur un plan d’ensemble de New York. Un personnage névrotique au débit de parole impressionnant, au cynisme délicieux et aux perpétuelles réflexions sur les grands thèmes de la vie : le sexe, la mort, la religion…
Nombreux sont les indices qui pourront vous faire deviner, si vous vous êtes un jour glissé au hasard dans une salle obscure, que vous êtes en train de regarder un film de Woody Allen. Parmi ces caractéristiques, le titre du long métrage, souvent constitué de termes simples et de noms de villes qui font écho à la carrière du cinéaste, est symptomatique. Celui de Magic in the Moonlight, en salles celle semaine, ne fait pas exception à la règle, et brasse en deux mots seulement plusieurs thèmes majeurs du cinéma allenien.
Magic…
Magicien amateur durant son enfance, Woody Allen avait l’habitude de pratiquer des tours devant son miroir et même sur scène, lors de spectacles de magie. Les années passant, il laissa cette première passion de côté par manque de temps, mais continua à entretenir cette fascination pour la prestidigitation et pour l’illusion : nombreux sont ses films qui en portent la marque.
"Ça se glisse dans mon travail. Je ne décide jamais de l’intégrer à tout prix. Mais la magie s’y insère de façon inconsciente."
Ainsi, dans Alice (1991), Mia Farrow se retrouve sous l’emprise d’un chiropracteur de Chinatown qui lui fait abandonner toutes ses habitudes. Dans Le Sortilège du scorpion de Jade (2001), Allen se fait lui-même hypnotiser par le magicien Voltan, qui le force à voler des bijoux au son de son autoritaire "Constantinople", et à tomber follement amoureux de la femme qu’il déteste le plus au monde. Dans Scoop (2006), le prestidigitateur, c’est lui ! Sid Waterman, alias Splendini, fait involontairement revenir sur terre le fantôme d’un journaliste assassiné, qui pourrait bien fournir à Scarlett Johansson des indications sur l’identité du fameux "Tueur au Tarot".
Dans Minuit à Paris, c’est à l’aide d’une vieille voiture magique qu’Owen Wilson remonte le temps pour partir à la rencontre de ses idoles littéraires. Enfin, dans Magic in the Moonlight, Colin Firth joue le rôle d’un illusionniste britannique, et Emma Stone celui d’une prétendue médium, soupçonnée d’arnaquer une riche famille de la Côte d’Azur.
Et n’oublions pas La Rose pourpre du Caire, dans lequel c’est au cinéma que Woody Allen assimile habilement la magie, faisant passer le héros d’un mélodrame de l’autre côté de l’écran comme par enchantement. Le cinéaste n’hésite d’ailleurs pas à comparer septième art et prestidigitation :
"Le cinéma est une illusion ça ne se discute pas : vous voyez des images sur un écran, rien n’est réel dessus. Marlon Brando n’est pas le Parrain, c’est un acteur. (…) Tout n’est qu’illusion et effets spéciaux. (…) Mais c’est l’essence même du show business. (…) Ce sont des illusions, comme avec un magicien."
…in the Moonlight
Un ciel étoilé, l’air de la nuit, le clair de lune. Woody Allen n’a pas besoin de plus pour faire tomber deux personnages amoureux l’un de l’autre, ou pour faire rêver ses spectateurs.
C’est dans des ambiances nocturnes et romantiques que le cinéaste aime se laisser aller à ses talents de poète.
On se souvient entre autres de la séquence de danse enchantée et aérienne du cinéaste avec Goldie Hawn à la fin de Tout le monde dit I love you, la nuit, sur les bords de Seine. Toujours dans la Ville-Lumière, c’est également sous les étoiles que le personnage d’Owen Wilson se voit parachuter dans le Paris rêveur et féerique des années 20. Dernier exemple en date, Magic in the Moonlight porte très bien son nom puisqu’en voulant échapper à une averse, Colin Firth et Emma Stone se retrouvent finalement à observer les étoiles à travers le toit ouvert d’un planétarium dans une séquence d’un grand romantisme.
Mais si d’aventure on cesse de prendre ce "moonlight" au sens propre, et qu’on y ajoute une petite "serenade" pour observer la carrière de Woody Allen à travers le prisme du jazz, on se retrouve alors en plein Manhattan, à arpenter les rues de New York au son de Glen Miller.
Véritable fan de jazz, clarinettiste de renom et membre d’un jazz band, Woody Allen nourrit en parallèle une véritable passion pour sa ville natale : New York, qui s’est bien souvent retrouvée en tête du casting de ses films.
"In the Mood" de Glenn Miller dans Radio Days, "Moonglow" dans Annie Hall, "Moonlight Serenade" dans Stardust Memories... tous les classiques du jazz sont passés entre les mains du cinéaste dans un seul but : magnifier, célébrer, sublimer, la ville de New York. L’exemple le plus parlant de ce fil rouge dans la carrière de Woody Allen est sans conteste la scène d’introduction de Manhattan, portée par le mythique "Rhapsody in Blue" de George Gershwin et cette voix off éperdument amoureuse de la Big Apple :
"Chapitre Un. Il était aussi dur et romantique que la ville qu’il aimait. Derrière ses lunettes à monture noire se trouvait le pouvoir sexuel d’un chat sauvage. Oh, j’adore ça. New York était sa ville, et le serait pour toujours."