© Ed Distribution
Allociné : Pourquoi travailler sur un personnage féminin et non sur un homme comme vous l’aviez fait jusqu’ici ?
Bill Plympton : Mon inspiration pour ce film se base sur une de mes anciennes relations amoureuses, datant d’une quinzaine d’années et qui était des plus passionnées. Je pensais que ce serait l’amour de ma vie, mais petit à petit, la colère et la jalousie se sont installés dans notre couple et rapidement, nous en étions venus à nous battre, verbalement, bien entendu. Je voulais l’étrangler et dans le même temps lui faire l’amour. Je pensais que ce serait une perspective intéressante de peindre un couple qui voudrait tout à la fois se tuer et s’aimer. Donc, il m’est apparu que la femme devait raconter l’histoire. Cela devait être fait de son point de vue parce qu’elle était tellement amoureuse de son mari qu’elle était prête à être trompée tant qu’elle pouvait continuer à expérimenter le rapport physique qui les liait. J’ai pensé que c’était un concept intéressant, parce que je ne l’avais jamais approché auparavant.
"Je voulais l’étrangler et dans le même temps lui faire l’amour."
Allociné : Par ailleurs, la musique doit être vraiment primordiale dans le film, du fait que vous n’y insérez aucun dialogue ?
Bill Plympton : La musique a pris la place des dialogues, a assumé leur rôle et c’est quelque chose d’important dans le film, que les gens remarquent cette absence de parole. Les mots ne sont pas nécessaires si la musique et les images racontent suffisamment bien l’histoire, ça en devient même plus poétique. On est bien plus immergé dans l’histoire et happé par les personnages parce qu’on fait plus attention à leurs mouvements et à leurs expressions faciales.
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Allociné : Comment en êtes-vous venu à utiliser la technologie numérique, vous qui habituellement êtes plutôt partisan du fait main ?
Bill Plympton : Tout est toujours entièrement dessiné à la main ! Il y a près de 45 000 dessins dans ce film, tous réalisés par mes soins. C’est la couleur qui est maintenant faite à l’ordinateur, mais ce n’est pas la première fois que j’utilise le numérique : j’ai numériquement colorisé Des Idiots et des Anges. C’était véritablement une expérience des plus plaisantes parce que cela facilitait beaucoup le travail : c’était plus rapide, moins cher et pour la moindre transformation, je n’avais qu’à appuyer sur quelques boutons, enfin...pas moi, mais mes associés. Ce qui fut unique pour Les Amants Électriques, et c’est la raison pour laquelle j’aime autant ce film, ce fut l’ajout de l’effet d’aquarelle sur les images. Je n’avais jusque-là jamais pu recréer cet effet dans mes longs-métrages, tout simplement parce que cela me revenait trop cher et que cela prenait beaucoup trop de temps. Mais pour ce film, ma directrice artistique, Lindsay Woods, et ma productrice, Désirée Stavracos, développèrent un outil After Effects pour que je puisse rendre cet effet d’aquarelle. C’était génial : j’en suis littéralement tombé amoureux. C’est le genre de travail que j’aime faire et le genre de rendu que j’aime avoir, je leur ai donc dit de suite “Ok, allons-y”. Malheureusement, c’est un procédé malgré tout assez couteux et qui prend du temps.
"Ce film est une sorte d'opéra disproportionné, totalement dans l'exagération et la distorsion."
Allociné : Il y a aussi un très beau traitement sur la déformation dans le film, bien plus important que ce que vous faîtes habituellement. Est-ce une réelle évolution dans votre style graphique ou l’avez-vous adapté à cette réalisation en particulier ?
Bill Plympton : Ce film, comparé à mes précédents, notamment Des Idiots et des anges, est construit sur un travail graphique et artistique bien plus stylisé et bien plus exagéré. Je voulais qu’il en soit ainsi parce que ce film est une sorte d’opéra disproportionné, totalement dans l’exagération et la distorsion. C’est la première fois que je réalise un tel type de stylisation et ça m'a procuré une certaine liberté. Je n’avais pas à me soucier de la perfection des dessins, de l’anatomie des personnages. J’ai tenté d’exagérer cette dernière et ça rendait plutôt bien, à chaque tentative. J’étais vraiment content de ce look, pour lequel je voulais me donner de la peine, et ça valait le coup.
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Allociné : Même si l’histoire des Amants électriques est assez agressive, elle est plus accessible que vos long-métrages précédents, peut-être moins difficile à aborder et à apprécier pour le grand public. Avez-vous agi dans l’idée d’élargir votre audience, en adoucissant le ton du film, où est-ce un pur hasard ?
Bill Plympton : Ce n’est pas une coïncidence. Sur les critiques américaines que j’ai reçues tout au long de ma carrière, beaucoup reprochaient à mes histoires de ne pas être assez bonnes, assez fortes. Or, je ne me suis jamais trop senti concerné par l’histoire, parce que ce qui me plaisait, c’était l’humour, la folie et le bizarre, dans le sexe et la violence. Mais je voulais essayer pour ce film de faire une histoire qui soit plus cohérente, un peu plus psychologique et avec plus de profondeur au niveau des personnages. Vous avez remarqué qu’il n’y a pas tant de violence et de sexe dans le film, ni tant d’humour que ça d’ailleurs. Il tourne plus autour des personnalités. Et je pense que cela a payé.
Allociné : Dans "Les Amants électriques", certains aspects et passages rappellent des sketches et un humour typique des Monty Python, ainsi que certains films réalisés par ses anciens membres. Font-ils partie de vos inspirations ou la trouvez-vous ailleurs ?
Bill Plympton : Oh, il y a beaucoup d’inspirations différentes dans ce film, les Monty Python et Terry Gilliam en font certainement partie. Mais on y trouve également Roland Topor, Jacques Tati… qui d’autre… Charles Addams, vous savez, de la famille Addams… Mais il y a aussi Moebius, Crumb… et Ralph Bakshi ! Il est d’une énorme influence pour moi. Je devrais toujours mentionner Bakshi parce qu’il est une sorte de dieu le père pour moi. Il a commencé tout ça, tout ce cinéma d’animation pour adultes, tant du point de vue du style que des histoires. J’adore Ralph, c’est un très bon ami à moi et nous discutons souvent, alors c’est agréable de pouvoir mentionner ici son nom. Mais évidemment, je pourrais également citer, parmi mes influences, Walt Disney, je ne serai rien aujourd’hui sans Disney, Tex Avery, Bob Clampett… tous ces créateurs m’ont réellement inspiré.
Propos recueillis par Claire Lefranc à Paris le mardi 11 mars 2014.