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    "Il était une forêt" : rencontre avec les créateurs du film

    Après les succès de "La Marche de l'empereur" et du "Renard et l'enfant", Luc Jacquet a choisi de s'atteler à la réalisation d'un documentaire sur les forêts primaires. En compagnie du botaniste Francis Hallé, le metteur en scène nous en dit plus sur le monde fascinant d'"Il était une forêt".

    Le botaniste Francis Hallé © The Walt Disney Company France

    Comment est né le projet ?

    Francis Hallé : J’ai commencé à travailler sur les forêts équatoriales en 1960 en Côte d’Ivoire, et je les ai vues disparaitre petit à petit. Je me suis dit qu’il ne va plus en rester. Il était donc urgent de faire un film pour montrer à nos descendants à quoi ressemblaient ces forêts primaires. Mon goût pour les arbres trouve son origine ici. Il fallait ensuite que je trouve un cinéaste qui puisse le faire, avec le talent de le faire. J’avais approché des quantités de réalisateurs mais ça n’avait jamais marché. Je tombe sur Luc par hasard, à Angers, en 2010. L’affaire s’est faite comme ça.

    "Il fallait montrer la forêt comme on ne l'avait jamais vue"

    Luc Jacquet : C’était un moment où j’avais envie de m’engager dans un projet davantage porteur de sens. Je ne dis pas que mes anciens films n’en avaient pas. Je vois le monde se dégrader à toute vitesse et j’avais envie de faire des choses plus politiques, plus engagées. Il s’agissait aussi de mettre le petit succès que j’avais eu comme capital en disant : je veux faire en sorte que ces sujets importants puissent émerger et être vus par le plus grand nombre, parce que sinon, on va continuer à ne pas aborder ces sujets de la bonne manière. Il fallait montrer la forêt comme on ne l'avait jamais vue. Il y a vraiment eu une synergie : je ne connaissais rien à la forêt tropicale, je n’avais jamais mis les pieds dans de tels endroits. On a fait un premier voyage avec Francis qui était vraiment fondateur.

    Luc Jacquet © The Walt Disney Company France

    En quoi avez-vous cherché à vous démarquer des autres documentaires sur la forêt ?

    Luc Jacquet : Durant mon premier voyage dans les forêts primaires, j’ai vraiment découvert un monde que je côtoyais tous les jours mais en même temps que je n’avais jamais vraiment pris le temps d'observer : c'est le monde des arbres. Je n’avais jamais fait attention à cette idée élémentaire que pour voir les arbres bouger, il faut entrer dans un temps qui est différent. Si j’imagine qu’une minute est une heure, une heure une année et une année un siècle… En jouant comme ça, vous allez voir la forêt qui va bouger de plus en plus vite jusqu'à bruisser comme un épiderme. Et c'est ce que nous avons voulu retranscrire dans le film.

    "J’avais envie de m’engager dans un projet davantage porteur de sens"

    C’est quelque chose de prodigieux : si j’arrive à embarquer les gens là-dedans, c’est la connaissance qui amènera nécessairement à l’émerveillement. Le premier principe c’était d’éviter de parler de déforestation, tout le monde est au courant, il faut aller au-delà de ça. Il fallait montrer la forêt du point de vue des arbres. Il s’agissait de transmettre cette notion de génie végétal : raconter 700 ans de la vie d’une forêt du point de vue des arbres. Et c’est un homme qui a toute la légitimité pour le faire qui va le faire : Francis Hallé.

    Luc Jacquet et une partie de son équipe © The Walt Disney Company France

    Compte tenu du lieu de tournage très reculé, est-ce que vous vous considérez comme des cinéastes aventuriers ?

    Luc Jacquet : Ce n’est pas de l’aventure, on a l’habitude de travailler dans des conditions difficiles, éloignées, isolées, mais parce qu’on aime ça. On ne peut pas être à la fois explorateur et ramener un film de cinéma. On est allé très loin dans des conditions qui tenaient de l’expédition, on était 60, un village de tentes, un matériel sophistiqué, des installations… Il a fallu 6 jours de travail pour installer un plan, celui du début quand on a l’impression que la caméra vole… L’équipe de 5 cordistes (les montagnards des arbres qui nous installaient des plates-formes dans les troncs qui nous permettaient de travailler en sécurité), il y avait autant de machinistes, une équipe caméra, la gestion du flux des données qui était complexe parce qu’on ne pouvait pas rapatrier les rushs... Tout va très vite, et après il faut faire manger tout ce petit monde, il y avait un médecin sur le camp, Francis avait sa maquilleuse…

    Francis Hallé : Ce n’était pas une aventure, moi je n’aime pas les aventuriers, ce sont des fumistes, j’en rencontre souvent mais je n’arrive pas à les prendre au sérieux. Moi, ce que j’aime c’est que la forêt soit accessible à tous et qu’on puisse y travailler calmement.

    Quel est votre meilleur souvenir de tournage et quelles ont été les scènes les plus difficiles à tourner ?

    Luc Jacquet : Ce moment où on émerge d’un grand arbre, à 50 mètres du sol et que d’un coup on sort la tête et qu’on voit l’océan à perte de vue, la canopée, toutes ces nuances. C’est un bien-être qui est prodigieux. Dans l’hémisphère occidental, le Gabon et le Pérou sont les deux seuls pays où il reste encore des forêts anciennes dignes de ce nom...

    "Les scènes les plus compliquées ont été celles des éléphants filmés du point de vue de l’arbre."

    En ce qui concerne les scènes, les plus compliquées ont été celles des éléphants filmés du point de vue de l’arbre et qui venaient récolter les fruits mûrs de l’arbre. Quand le fruit est mûr, il tombe et produit des micros vibrations dans le sol qui vont être perçues par les pattes de l’éléphant…

    © The Walt Disney Company France

    Il y a dans le film plusieurs passages en animation. Qu’est ce qui a motivé ce choix artistique ?

    Luc Jacquet : Tout a été fait pour faire rentrer les gens dans le monde végétal. Le monde végétal bouge, sauf qu'on a pas le temps de le voir bouger. Il fallait donc tout faire pour voir ça, et uniquement l’animation pouvait nous le permettre. Ensuite, parce que le travail du botaniste est beaucoup fondé sur le dessin, il y avait également une logique naturelle de quitter la feuille de dessin pour se diriger vers l’animation.

    Francis Hallé, vous aviez vu les films de Luc Jacquet quand vous l’avez rencontré ?

    Francis Hallé : Bien sûr, c’est pour ça que je me suis dit que je suis bien tombé. J’avais essayé des quantités de cinéastes, des gens très connus qui n’avaient pas le temps et des gens très peu connus qui n’avaient pas les moyens. Il y avait par exemple Jacques Perrin : il m’a dit que mon scénario est super mais (il venait de se lancer dans Océans) il m’a dit qu’il n’a pas le temps de l'adapter.

    Luc Jacquet, compte tenu des succès de vos deux premier films, comment appréhendez-vous la sortie d’"Il était une forêt" ?

    Luc Jacquet : Je n’ai pas d’avis parce que je vis dans cette espèce de bulle qui est ce film. Il y a un moment où j’ai l’impression que vous êtes sur le nez du tremplin et qu’à un moment donné on ne peut plus rien faire. Moi, je fais une proposition qui est sincère et motivée, qui a du sens et qui est la somme de beaucoup d’énergie. Après, ça va être au public de suivre ou pas.

    "Je fais une proposition qui est sincère et motivée. Après, ça va être au public de suivre ou pas."

    Ce n’est pas moi qui décide, même si j’espère que le public sera conquis. C’est aussi tout le travail qu’on a fait avec mon association Wild-Touch pour élargir le débat. C’est une logique de bien commun qui doit être défendue. Même si ces forêts sont lointaines, c’est chez nous, sur la planète.

    Avant de commencer le tournage, aviez-vous une idée précise de ce que vous vouliez faire ?

    Luc Jacquet : Le film était storybordé mais il y avait quand même une part d’improvisation. Vous allez chercher un objectif et pour diverses raisons vous allez trouver des choses qui sont moins intéressantes ou plus intéressantes. Il faut avoir un guide et vous composez en permanence. Si vous êtes trop rigide, vous allez passer un an sur une scène, et si non, vous allez partir dans tous les sens. J’ai la chance de travailler avec des techniciens qui ont une très bonne connaissance de ce type de tournage qui exige de l’adaptation, de la réactivité, de la mobilité. Vous avez par exemple décidé de tourner dans cet arbre, et quand vous arrivez, l’arbre est en fleurs… donc on se déplace, on change ce qui était prévu.

    © The Walt Disney Company France

    En quoi filmer les végétaux diffère de filmer les animaux ?

    Luc Jacquet : C’est fondamentalement un problème d’empathie. Vous allez en avoir de manière spontanée pour le manchot et le renard, puisque c’est un animal qui nous ressemble et sur lequel on a un vécu affectif, mais on a pas du tout cette empathie pour les arbres. Les arbres, c’est le décor, ça sert à se chauffer, à faire joli dans le jardin... Tout le problème est là et il a fallu renverser ça justement, amener les spectateurs à changer de point de vue pour considérer ces êtres qui sont tout aussi vivants que nous. Et d’une manière bien plus maline que nous ! C’est à la portée de tout le monde de vivre mobile, il faut avoir beaucoup d’imagination pour vivre immobile…

    Pensez-vous retravailler ensemble ?

    Luc Jacquet : Je n’ai pas d’objection à ça, mais il faudra trouver quelque chose de nouveau. Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai été sollicité pour une "Marche de l’empereur 2"… Je suis le spectateur de mes propres films, ce qui m’intéresse c’est de découvrir des univers, contrairement à Francis qui est spécialiste d’une chose, moi j’aime bien voir plein de milieux différents, ça me permet de découvrir le monde dans sa diversité.

    "Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai été sollicité pour une "Marche de l’empereur 2"…"

    Nous avons un projet sur le corail, un autre sur le glaciologue Claude Lorius, qui va être en tournage début de l’année prochaine. Mais bon, pour retourner en forêt, il ne faudra pas me convaincre bien longtemps…

    Comment se passe la collaboration avec Disney ?

    Luc Jacquet : Ils distribuent, ils ne sont pas producteurs, ça fait la troisième collaboration, avec la même équipe. Nous sommes très complices. J’ai fait le tour du monde avec mes films, donc ça me permet d’apprécier leur travail de distributeur. Distribuer un film c’est très compliqué. Voir son film pris en mains avec intelligence comme l'a fait Disney c’est ce que je souhaite à tous les réalisateurs du monde parce que la distribution aujourd’hui prend une place considérable dans l’existence des films. Quand vous avez bossé pendant trois ans et que vous arrivez en face de 20 films le mercredi… Moi, je compare ça à des guerres napoléoniennes, vous mettez deux armées en ligne, vous chargez les fusils et vous tirez. Les vivants se relèvent, rechargent, et tirent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne. On est arrivé dans une logique qui m’échappe complètement : personne ne peut enrayer le phénomène.

    Propos recueillis à Paris le 5 novembre 2013 par Laurent Schenck

    La bande-annonce

    Il était une forêt

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