AlloCiné : le personnage de Niels Schneider dit à un moment : "Ce qui compte, c’est la vitalité". Une phrase qui pourrait s’appliquer au film…
Yann Gonzalez : Je suis d’accord. Je m’ennuie beaucoup au cinéma en ce moment. Il y a une espèce de peur du sentiment, de l’intensité. Et moi c’est quelque chose vers lequel j’ai envie d’aller en permanence, quitte à frôler le ridicule, le grotesque. Ce qui m’excite au cinéma, c’est l’excès, l’intensité : que les choses vibrent !
Cela passe aussi par la surprise : le film ne déroule pas un programme que le spectateur connait dès le premier quart d'heure. On ne sait jamais ce qui nous attend...
J’adore les ruptures de ton. J’ai envie que le spectateur soit déconcerté, que d’un plan à l’autre on ne sache pas où le film va. C’est un programme aventureux qui me plait.
Revendiques-tu une part de théâtralité ?
Il y a plein de domaines très différents qui trouvent un point d’accroche dans le film, et peut-être même davantage la littérature que le théâtre. J’ai été très influencé par les écrivains des Années Folles pendant l’écriture du scénario : des gens pas très connus comme Mireille Havet, une proche de Cocteau, dont on a retrouvé le journal il y a une dizaine d’années, et qui a eu une vie extravagante, romanesque, romantique à souhait. René Crevel aussi. Des gens chez qui il y a une fébrilité, un goût du risque, de la crudité, et en même temps du sentiment.
Extrait vidéo de notre interview avec Yann Gonzalez
Le casting réunit des personnalités qui ont des parcours très différents, tout en ayant un air de famille...
Il y a certains acteurs qu’on a peu vus comme Julie Brémond ou Kate Moran qui ont tourné dans mes courts métrages, et d’autres qui sont des figures publiques comme Béatrice Dalle, Eric Cantona ou même Alain-Fabien Delon. Ils traînent un imaginaire, voire un mythe pour Cantona. J’aime partir de quelque chose que tout le monde connait, et faire fondre peu à peu tous les clichés qui nous viennent en tête par rapport à un acteur. On trouve le cœur et l’âme du personnage, son humanité, en oubliant le mythe. Et le casting, c’est une alchimie improbable. Ce qui les relie, c’est la mélancolie, une espèce de spleen, de tristesse. Ce sont des personnages poreux, ouverts aux autres. La question de la sexualité ne se pose jamais par exemple. Ils peuvent embrasser des garçons, des filles, parfois ils sont un peu transgenres. J’aime l’idée que ce ne soit jamais un problème. C’est un film très ouvert.
Un peu comme ton frère en musique [Yann Gonzalez est le frère de Anthony Gonzalez de M83], tu mêles l’expérimental à des éléments plus grand public et accessibles.
Ca me fait plaisir que tu dises ça. On travaille tous les deux sur des harmonies très particulières, et en même temps il y a je pense une certaine générosité, dans sa musique comme dans mon cinéma, qui fait que tout le monde peut s’y retrouver. Tout se passe dans un appartement mais il y a suffisamment de trouées, de portes secrètes, pour que chacun puisse se projeter dans le film. J’ai envie que les gens puissent s’immerger dans l’intimité des personnages, et faire partie de cette communauté que j’ai créée.
Justement, comment as-tu travaillé sur la musique du film avec ton frère ?
A partir de la fin du montage, je lui ai envoyé des images, qui l’ont inspiré. Je lui ai envoyés diverses choses, comme des morceaux d'Emeralds, et d’un des membres du groupe Steve Hauschildt : c’est très electro et en même temps très vaporeux, englobant, ça forme comme un cocon musical. Et puis aussi des musiques de François de Roubaix, Ennio Morricone… C'était très éclectique et on a essayé de trouver une cohérence à partir de tout ça.
Quel genre de questions se pose-t-on au moment de filmer les scènes de sexe ?
L’acte sexuel est une des choses les plus difficiles à filmer, et ça ne m’intéresse pas beaucoup. C’est très vite chiant, je trouve. Par exemple je ne vois pas trop l’intérêt des pornos, à part la fonction masturbatoire. Sauf des pornos des années 70 vraiment sidérants, qui proposaient des épiphanies figuratives. Je pense à L'Essayeuse de Serge Korber, un film que j’ai vu à la Cinémathèque l’an dernier et qui m’a marqué : il y a une émotion dans ces corps qui s’assemblent, dans la liberté des acteurs… On sent qu’ils sont heureux d’être là, de s’embrasser, de baiser ensemble. C’est pour moi un chef d’œuvre absolu, un film qui m’a ému aux larmes. Mais moi je ne saurais pas le faire… La crudité du verbe me parle davantage que celle de l’image, et ça laisse plus de place à l’imaginaire.
Tu as été toi-même journaliste avant de tourner des films. A l’époque, voulais-tu déjà devenir réalisateur ?
Je voulais devenir réalisateur depuis toujours. La critique de cinéma m’est tombée dessus un peu par hasard. Ca a été un accident heureux. J’ai notamment écrit pour la revue Max, qui a disparu depuis, je m’occupais des pages Culture, j’y ai rencontré des tas d’amis, on s’est beaucoup amusés, on avait carte blanche, ca a été une belle école.
Et qu'apprend-on dans une fac de cinéma, étape par laquelle tu es également passé ?
J’ai été très marqué par une enseignante, Nicole Brenez, qui m’a initié au cinéma expérimental, à la forme, aux films de Godard ou d’Eisenstein. En tant que cinéphile et cinéaste, c’est une leçon de générosité qui m’a beaucoup marqué.
Cannes 2013 N°67 - Niels Schneider et Béatrice Dalle, d'Albator à Vladimir Poutine
Il y a quelques années, tu avais signé un article cinglant sur le cinéma français dans Les Cahiers du cinéma. Cette année à Cannes, les films français sont particulièrement nombreux, et souvent tournés par de jeunes réalisateurs. La situation a-t-elle changé à tes yeux ?
Les films français sont ceux que j’ai vus en priorité ici. Je connais la plupart des réalisateurs et j’ai envie de voir leur travail. Je sens une émulation, un frémissement. Ca me stimule, ça donne envie de faire d’autres films… C’est génial. J’ai beaucoup aimé le film de Katell Quillévéré ["Suzanne", en salles le 18 décembre] celui d’Alain Guiraudie (qui est de la génération un peu au-dessus) [L'Inconnu du lac]. J’ai été vraiment sidéré par le film de Bozon [Tip Top], que je trouve incroyable, dément. Toute la folie qui faisait défaut au cinéma français ressurgit de façon hyper-violente, ça m’a fait un bien fou. En plus j’ai trouvé ça hilarant, il y a de la mise en scène à chaque plan. C’est mon coup de cœur du festival !
Propos recueillis au Festival de Cannes par Julien Dokhan
Les Rencontres d'après minuit