Lee Daniels et la France : épisode 3 ! Sauf que c'est à Deauville que le metteur en scène est venu présenter son nouveau long métrage, après deux passages par Cannes, en 2009 et 2012. Aux côtés de Forest Whitaker, son interprète principal, il nous a dévoilé son Majordome, en salles le 11 septembre.
Que pensez-vous des diverses controverses qui ont accompagné la sortie du film, et notamment celle du fils de Ronald Reagan, disant que son père n'était pas comme ça en vrai ?
Lee Daniels : Par rapport à mes précédents films [Precious et Paperboy, ndlr], la controverse est vraiment minuscule. Et de toute façon certains peuvent même polémiquer sur Cendrillon, donc tout y passe. La population américaine est très nombreuse, et il suffit d'une personne pour lancer la controverse sur un blog, mais à côté de ça nous avons eu d'excellents retours, aussi bien de Barack Obama [qui dit avoir pleuré devant le film, ndlr] que de ma grand-mère, qui le juge aussi bien destiné aux Noirs qu'aux Blancs. D'ailleurs le box-office nous prouve à quel point de telles controverses sont minimes.
Forest Whitaker : Je pense que la réception varie selon les pays. Pour ma part je n'ai lu qu'un seul article sur le film pour le moment, mais je trouve normal que le fils de Reagan veuille défendre son père. Sauf que Le Majordome est juste à son sujet, car il est souvent ressorti que c'était quelqu'un de bon. Mais c'est bien que les gens parlent, qu'il y ait du dialogue, surtout quand le public du film est mixte.
Le film évoque les différentes façons de lutter pour le Mouvement des Droits Civils mais sans trancher, et Malcolm X et les Black Panthers ont y même une image négative. Pensez-vous que leurs actions ont été si négatives ?
Lee Daniels : Je ne trouve pas qu'ils soient si mal dépeints. L'une des dernières scènes montrant les Black Panthers expose bien la tragédie qui a été la leur, lorsqu'un message à la radio dit des choses horribles à leur sujet alors qu'il est écrit à la craie dans leur QG qu'ils étaient pour la paix avant tout. Qu'ils soient habillés en noir ne signifie pas que ce sont des militants. Ils l'étaient, bien sûr, mais ça n'a rien de négatif et je n'ai jamais eu l'intention d'en donner une mauvaise image.
"Je voulais qu'un maximum de personnes puisse voir le film."
Avez-vous cherché dès le début à faire jouer les présidents par des acteurs connus, ou est-ce venu plus tard ?
Lee Daniels : Ça n'était pas prévu mais je me suis posé la question pendant le casting. Est-ce que je prenais des célébrités, en sachant qu'elles peuvent vous sortir du film, ou des inconnus ? Mais je voulais qu'un maximum de gens puisse voir Le Majordome, et son histoire était assez importante pour nécessiter que des talents de ce calibre l'interprètent. Ce qui m'importait, c'était que des gens du monde entier se déplaçent dans les salles. Mais le plus dur, c'était de faire disparaître les comédiens derrière leurs rôles respectifs, qu'on ne voit plus leurs visages si facilement reconnaissables.
Qu'en a-t-il été pour vous Forest, avec ce rôle très minimal ?
Forest Whitaker : Ça a demandé beaucoup de travail et j'y suis allé étape par étape pour vraiment trouver comment le jouer. C'est très différent d'un personnage flamboyant comme celui du Dernier roi d'Ecosse, où je devais savoir quelles étaient ses peurs et ce que ça faisait de sentir qu'on est un guerrier. Ici je devais chercher à comprendre l'Histoire, le fait d'être un majordome et de vieillir. Il y avait quelques similtudes, mais davantage de différences.
Le film se termine avec la victoire de Barack Obama aux élections présidentielles de 2008, présentée comme un énorme accomplissement. Quel est donc le prochain combat pour la communauté noire-américaine ?
Lee Daniels : Pour ma part ce sera que mes enfants puissent aller dans une bonne université. Mais il faut que la reconnaissance se poursuive, et c'est d'ailleurs pour cela que j'ai fait Le Majordome. À la base, c'est surtout l'histoire entre le père et son fils [Forest Whitaker et David Oyelowo, ndlr] qui m'a donné envie de la réaliser. Mais au fur et à mesure que nous avançions, je me suis aperçu que les gens qui étaient dans les "Bus de la Liberté" étaient des héros restés dans l'ombre. Donc j'espère que les gens voudront agir en voyant ce film.
Êtes-vous surpris par le succès du film en salles ? Était-ce le bon moment pour le réaliser ?
Lee Daniels : Vas-y Forest, parle ! (rires)
Forest Whitaker : Je pensais que le film plairait dans la mesure où, comme l'a dit Lee, l'intrigue centrale entre un père et son fils parle à tout le monde. Et elle est ici insérée au sein de l'histoire du mouvement des droits civils, donc je me doutais que Le Majordome pouvait marcher. Peut-être pas à ce point, certes, mais je sentais qu'il serait un succès d'une façon ou d'une autre : sur le plan critique, financier ou même les deux. Et quoiqu'il arrive, c'était déjà une réussite pour moi que d'avoir pu vivre cette expérience.
"Un "Forrest Gump" afro-américain.
"Le Majordome" mêle deux histoires : celle de la communauté noire-américaine, et celle du père avec son fils. Était-ce important pour vous d'inscrire celle-ci dans ce contexte ?
Lee Daniels : Ce n'est pas moi qui l'ai fait, c'est Danny Strong, le scénariste. Mais ça me semblait super car on voit peu d'histoires sur l'amour qu'un père porte à son fils. Et là c'était encore mieux avec le mouvement des droits civils en arrière-plan.
C'est un peu comme "Forrest Gump", qui traverse une partie de l'Histoire américaine avec des vrais personnages.
Lee Daniels : Personnellement, j'ai toujours vu Le Majordome comme un Forrest Gump afro-américain. Mais j'ai quand même tenu à me détacher de ce film, y compris au montage, où j'ai consciemment retiré les aspects Forrest Gump. Ceci dit, il reste la scène de l'entretien à la Maison Blanche : quand ton personnage ris, c'est très Forrest Gump (rires)
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 1er septembre 2013