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    Rencontre "En Secret" avec Sarah Kazemy !

    Rencontre avec la comédienne Sarah Kazemy, interprète de Shirin dans le long métrage de Maryam Keshavarz "En Secret", sur nos écrans ce mercredi 8 février.

    Allociné : Il me semble qu’au départ vous ne souhaitiez pas devenir actrice, c’est un ami commun qui vous a présenté à la réalisatrice… Pouvez-vous nous parler du point de départ et de la manière dont vous avez été impliquée dans le projet ?

    Sarah Kazemy : Tout s’est fait très progressivement. Je me suis retrouvée à la première audition parce qu’un ami commun m’a mis en contact avec Maryam (Keshavarz, la réalisatrice). Au départ c’était par curiosité et puis le contact est tout de suite bien passé. Mais je n’avais pas d’attente particulière parce que je n’envisageais pas de devenir actrice. Pendant l’audition j’ai trouvé Maryam très sympathique, on a parlé du projet et j’ai découvert une femme forte qui était vraiment passionnée. C’était une belle rencontre. On est resté en contact mais en dehors du contexte du film, et pendant tout ce temps elle m’a fait partager son amour pour le scénario et pour ce qu’elle faisait.

    Trois mois plus tard elle m’a annoncé que nous n’étions plus que 2, et m’a demandé si je pouvais venir à Toronto pour la dernière audition. J’ai donc commencé à me poser des questions parce qu’il s’agissait d’aller, à mes frais, à Toronto, et si je n’avais pas vraiment l’ambition de devenir comédienne ou de jouer dans ce film, il n’y avait pas d’intérêt.

    A cet instant, je dois avouer que j’ai commencé à être excitée à l’idée d’aller à Toronto et à l’idée de devenir actrice… Puis Maryam est iranienne, c’est un projet iranien qui m’avait l’air assez nouveau et différent, dérangeant un peu, mais à ce moment là je n’étais pas au courant de l’ampleur de ce qui allait déranger. J’ai donc été à Toronto où j’ai rencontré Nikohl Boosheri (la seconde actrice du film), on a tout de suite accroché.

    On a ensuite commencé à parler des sujets sensibles, de la sexualité, de la possible impossibilité de ne plus pouvoir aller en Iran, c’est devenu de plus en plus sérieux, et plus ça le devenait, plus c’était excitant. Plus on avançait plus on était attaché aux personnages et ça a commencé comme ça.

    On a tout de même travaillé 11 mois en amont pour le film. Et comme Nikohl et moi avions les 2 rôles principaux il fallait qu’on se rapproche, parce que Nikohl vit à Vancouver et moi à Paris. C’était important qu’on se connaisse avant le tournage parce que ça facilite les choses, surtout quand on n’a pas le temps parce qu’il faut tourner des scènes en une prise et qu’on n’a pas le droit à l’erreur.

    On est très vite arrivée à un accord sur ce qu’on imaginait être l’histoire d’Atefeh & Shirin. Amour, amitié, peu importe en réalité, ce que les gens devaient voir c’était l’amour et pour ça il fallait qu’on soit le plus proche possible et que ça transparaisse. Et je pense qu’on y est arrivé parce que grâce aux différents retours, on se rend compte de la sensualité qui se dégage pendant le film.

    C’est un premier rôle fort, qui a de lourdes conséquences sur votre vie privée puisque vous ne pouvez plus retourner en Iran…

    Tout à fait. Je le dis aujourd’hui beaucoup plus facilement que je ne le disais juste après avoir tourné le film, parce que ça reste très difficile. Mais aujourd’hui j’ai vraiment accepté l’idée et je sais que je ne regretterai jamais d’avoir fait ce film. Il faut payer le prix de ses actes et de ses engagements et je l’ai accepté. On ne m’a pas menti, on ne m’a rien caché, j’ai fait un choix, aujourd’hui je l’assume et je n’ai pas de problème à ce niveau là. Je trouve ça dommage mais la vie publique finie par s’immiscer dans la vie personnelle. C’est comme ça…

    Le tournage s’est déroulé au Liban puisqu’il était impossible de tourner en Iran. Il n’y a pas eu de problèmes particuliers ?

    Il me semble que l’équipe a envoyé un faux scénario dans lequel il n’y avait pas de sexe, pas de drogue, pas d’amitié ambigüe entre femmes, pour pouvoir avoir les autorisations de tournage. Donc on a eu les autorisations sur un scénario qui ne se tournait pas. Le tournage était assez délicat parce qu’on était constamment sous tension, et qu’à tout moment la police pouvait débarquer et demander des comptes. Ce qui est d’ailleurs arrivé à deux reprises dans des conditions terribles. Mais on peut faire le parallèle entre la pression pendant le tournage et celle qu’on raconte dans le film, donc au final ça nous a peut-être servi.

    Les réalisateurs iraniens sont soumis à la censure, Maryam Keshavarz l’est moins puisqu’elle a la double nationalité américaine. Pensez-vous que c’est grâce à cette double nationalité qu’elle a pu se permettre de réaliser "En Secret" ?

    Je pense que le fait que les réalisateurs iraniens ne puissent pas s’exprimer librement fait qu’en Iran les réalisateurs font du très très bon cinéma, du moins, c’est mon avis…

    Parce qu’ils ont tellement de choses à dire et leurs moyens d’expression sont tellement limités qu’ils doivent user de très belles choses afin de contourner la censure et rendre un film formidable. Ce sont des films pour lesquels on se demande "comment on arrive à contourner la loi en disant tellement plus", "comment on arrive à avoir cette force dans les images". Je pense que quelque part cette oppression a servi l’art iranien - même si l’art persan a toujours été présent et très riche -  d’une certaine manière ça a servi à exprimer différemment ce qu’on ne pouvait pas dire et ça a fait de très belles choses.

    Mais le cinéma de Maryam et sa manière de le raconter est très différent parce qu’elle peut se permettre de dire des choses et qu’elle en a la possibilité. Elle assume le fait de prendre des risques et de dire crument ce que la plupart n’oserait pas dire. Mais je les comprends, parce que c’est beaucoup de risques.

    Il a fallu une femme comme Maryam pour pouvoir sortir des choses qui vont étonner les gens parce que la plupart du public étranger ne s’attend pas à voir une image aussi proche de la notre d’un pays qu’il ne voit que de très loin et dont il ne voit aucune affinité, aucune attache, du moins dans le mode de vie.

    Pourtant les jeunes iraniens font la même chose que les jeunes européens. Ils le font même à la  puissance 10. Quand la simple petite chose est un acte illégitime qui va être réprimé, on se dit quitte à faire des conneries, autant les faire jusqu’au bout! Et il faut composer avec ça, leur vie est faite de ça.

    Il faut également souligner qu’un film sur l’homosexualité féminine c’est déjà rare, mais un film sur l’homosexualité féminine en Iran l’est encore plus.

    Dans ce film tout est suggéré et on ne sait pas finalement si elles sont lesbiennes. Parce que le contexte dans lequel elles évoluent les force à exprimer leur sexualité, leur désir, leur amour l’une pour l’autre - parce qu’elles s’aiment d’amitié à la base - sous toutes les formes qu’elles peuvent dans leur intimité. Peut-être que dans un autre contexte les choses auraient été différentes. Elles ne mettent pas de mots sur ce qui se passe entre elles. Elles sont conscientes qu’elles sont très proches et qu’elles partagent quelque chose de particulier mais je ne sais pas si elles se disent « je suis homosexuelle ». Je ne pense pas, mais en tout cas elles s’aiment et ce que je trouve formidable, c’est que Maryam a réussi grâce à la sensualité, à dégager tous les clichés de la sexualité. Ce qu’on voit et ce qu’on retient c’est essentiellement cet amour qu’elles se portent, qui est tellement fort et qui est parfois tellement innocent.On les voit traverser ça et en même temps on ne voit pas grand-chose, mais tout ce qu’on sait c’est que c’est fort et que ça passe par la sensualité et par ce qu’elles peuvent s’apporter ou laisser transparaitre quand elles sont l’une en face de l’autre.

    Selon vous, pourquoi Atefeh et Shirin ne réalisent-elles pas leur rêve et ne partent-elles pas ensemble à Dubaï ?

    Quand Atefeh et Shirin se font arrêter, leur vie va changer. Mais la peine de Shirin serait indéfinissable alors que la peine d’Atefeh va être complètement amoindrie par le pouvoir de ses parents, et elle va donc être sortie d’affaires. Shirin n’a absolument personne sur qui compter et ce qui peut lui arriver est désastreux, donc il faut prendre conscience de la douleur qu’elle ressent à ce moment là.

    Elle est dans l’instinct de survie. Elle va être mariée et quand Mehran (Reza Sixo Safai) se présente comme un potentiel bon futur mari, c’est l’opportunité pour elle de faire partie de la famille d’Atefeh et donc d’être constamment à ses côtés.

    Atefeh a toujours été soutenue par sa famille, elle a donc le luxe de pouvoir agir comme une adolescente normale, ce que ne peut pas se permettre Shirin, qui toute se vie a porté des poids : celui de ses parents, du manque d’argent,… De ce fait elle ne voit que les choix qui s’offrent à elle selon ses circonstances, qui sont totalement différentes de celles d’Atefeh.

    Elle parle de partir au départ mais en même temps elle pleure parce qu’elle sait que ce ne sont que des fantasmes. Elle aimerait croire qu’ailleurs tout est possible, qu’ailleurs elle puisse avoir une autre vie, mais la réalité la rattrape. Elles se font arrêter par la police et on lui renvoi au visage une réalité qui est dure.

    Pour moi Shirin a existé et je suis certaine qu’elle existe quelque part. Je suis très attachée à elle, et je pense que c’est aussi pour elle que j’ai accepté tout ce qui allait avec le fait de faire ce film. C’est vraiment un beau personnage et j’ai conscience du luxe que c’est de m’être vu offrir un rôle pareil pour un premier rôle.

    Le film a été primé à Sundance et présenté dans de nombreux festivals, pensiez-vous qu’un film sur un sujet si fort et délicat puisse faire le tour du monde ?

    Ce qui s’est passé autour de ce film depuis le début était très particulier. Toutes les personnes qui ont travaillé sur le tournage étaient unies autour de cette croyance qu’on faisait quelque chose d’énorme. Peu importe la vie du film au final, même si évidemment on voulait qu’il soit vu pour que le message passe. Mais à chaque nomination c’était un cadeau : Sundance, New York, Tokyo,… Pour un film pareil, qui est un petit film en persan c’est comme un cadeau. C’est une aventure unique en ce sens. On ne pensait pas qu’il aurait autant de succès, notamment recevoir le prix du public à Sundance, avec tout le buzz qu’il y a eu là-bas! C’était presque flippant parce que c’était encore plus fort que ce qu’on aurait pu imaginer. C’est magique et représentatif de l’aventure.

    Parallèlement, lors du Paris Film Festival le film a été critiqué. On a notamment entendu que la réalisatrice n’avait jamais été en Iran…

    Ce qu’on ne sait pas c’est que la personne qui a fait cette remarque est le distributeur européen des films iraniens qui passent sous la censure en Iran. C’est donc quelqu’un qui, très clairement, est venu pour bafouer le film. Il a pris la parole très rapidement à la fin du film et comme il a l’exclusivité de tous les films iraniens qui sortent d’Iran, le fait qu’En secret soit hors de sa portée a dû l’agacer.

    Et surtout, c’est un film qui ne correspond pas au cinéma iranien tel qu’il est autorisé. Donc venant de lui ça n’a pas eu grand impact sur nous, surtout que ce n’était pas un jeune homme. Donc qu’il nous dise que ce genre de soirée n’a pas lieu en Iran c’est limite. Si tu me dis ça, que tu as 20 ans et que tu vis en Iran, je veux bien te croire, mais si tu ne vis pas en Iran depuis des années et que tu as plus de 60 ans, non…

    Il a quand même repris la parole 2-3 fois et au départ on s’est dit qu’il n’était pas d’accord, qu’il n’avait pas le bon âge, il a donc pu être choqué. C’est possible et dans ce cas on accepte la critique. Mais notre distributeur nous a expliqué qui était cette personne, donc on a compris. Ce qui est plus dérangeant c’est que le public ne le savait pas... Mais très vite les spectateurs ont réagi et lui ont demandé si lui-même vivait en Iran, donc justice a été rendu dans la salle et c’était plutôt appréciable.

    Propos recueillis le 3 février 2012 à Paris par Laëtitia Forhan.

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